par Philippe Foussier 23 avril 2014
Henri Pena-Ruiz, Dictionnaire amoureux de la laïcité, Plon, 920 p., 25 €.
Avec Catherine Kintzler, qui a récemment publié Penser la laïcité (Ed. Minerve), Henri Pena-Ruiz est sans aucun doute le meilleur théoricien actuel sur le sujet. Auteur prolifique sur ce thème depuis son Dieu et Marianne paru en 1999 (rééd. PUF, 2012), Henri Pena-Ruiz est un philosophe, écrivain, ancien membre de la Commission Stasi et à l’évidence, il était le plus indiqué pour figurer parmi la désormais longue liste des auteurs de Dictionnaires amoureux pour évoquer la laïcité.
Nous voici donc avec plus de 900 pages d’une prose qui, pour être celle d’un philosophe, n’est à aucun moment ni absconse ni jargonnante. Pena-Ruiz sait être pédagogue et ses démonstrations sont toujours à la fois clairement énoncées et ce dans une langue agréable à entendre… ou à lire.
Ce sont donc près de 250 entrées que nous offre le philosophe pour évoquer la laïcité. Il va puiser dans les concepts philosophiques bien-sûr mais aussi dans l’histoire, la théologie, la géographie, la sociologie…
C’est la règle pour un dictionnaire : on y pioche au gré de ses envies et de ses recherches.
D’abord, signalons-le d’emblée, Henri Pena-Ruiz recourt souvent et à bon escient aux textes d’auteurs de diverses disciplines pour éclairer ou préciser le sujet traité à l’aide de courts extraits. Victor Hugo y revient souvent, entre autres auteurs fétiches.
Dans l’impossibilité de passer ces 900 pages au crible sans y consacrer à notre tour un très long développement, nous piocherons donc de ci de là. On sera volontiers convaincu par la démonstration de l’auteur au sujet des « accommodements raisonnables » : « La réalité ne s’aligne pas d’un seul coup sur les principes, mais ce n’est pas une raison pour affaiblir ceux-ci par des accommodements », dit-il notamment.
On sera tout aussi séduits de lire à la rubrique « amalgames » comment il déconstruit ceux qui sont traditionnellement liés à la laïcité pour le plus grand bonheur de ses contempteurs.
On pourra aussi trouver très pertinente son interprétation d’« Antigone » pour illustrer la délimitation entre la sphère privée et la sphère publique et on sera tout autant éclairé par sa lecture du « clash des civilisations ».
De la même façon, comment défendre sérieusement le Concordat napoléonien après avoir lu l’entrée « Alsace-Moselle » ?
Pena-Ruiz convainc aussi lorsqu’il explique la « nation » et qu’il y développe l’idée que « la laïcité n’est pas une identité » et se montre aussi très éloquent pour évoquer le « relativisme » : « Contester une tradition rétrograde, ce n’est pas renier ses racines, mais distinguer les registres d’existence en évitant de confondre la fidélité à une culture et l’asservissement à un pouvoir ».
L’auteur nous est également utile pour démêler les concepts au sujet de la « morale » et de l’enseignement laïque qui en est programmé.
On ne s’étonnera pas, non plus, de lire avec bonheur les lignes qu’il consacre à « éducation », « école » ou « instruction », résumant ce qu’il développa naguère dans Qu’est-ce que l’école ? (Folio). La rubrique « crèche », celle sur le « symbolisme laïque » ou celle, tout simplement, sur la « philosophie » seront également consultées avec profit.
La rubrique « Te Deum », avec le renvoi à la jurisprudence Juarez-Clemenceau, pourra être consultée par des responsables politiques parfois égarés dans leur jugement. Le long développement sur le « sionisme », bien argumenté, est inattendu mais bienvenu. De même que les considérations sur la « pensée de derrière » chère à Blaise Pascal, fort instructives.
La démonstration sur la question du « voile » devrait logiquement rabaisser le caquet de ceux qui y voient un acte de liberté pour les femmes musulmanes concernées. En évoquant l’ « universel », Pena-Ruiz rappelle ce qui devrait être évident, à savoir que « tous les peuples ont droit à l’émancipation », ce qui est loin d’être le cas, en particulier pour justifier le port du voile islamique.
Dans un registre proche, on sera sans doute surpris de voir apparaitre l’entrée « islamophobie » mais elle est judicieusement contrebalancée par ses cousines « athéophobie » et « judéophobie ». Ses citations des extraits du « Coran » sont également précieuses, permettant d’éviter les confusions et contresens.
Une des originalités de ce dictionnaire est qu’il permet aussi de se lancer dans une exploration de la laïcité dans le monde, en Amérique ou en Asie par exemple. Concernant l’Europe, le panorama proposé est assez complet mais on aurait attendu un éclairage sur les institutions européennes elles-mêmes – politiques et judiciaires – et leur rapport à la laïcité.
Et, au registre des regrets, on reste un peu sur sa faim concernant l’« humanisme », le « multiculturalisme », l’ « obscurantisme » ou la « raison ». Sur les « Lumières », on se référera tout autant à l’entrée « autonomie ». Et sur « Marianne », on se reportera plus volontiers à la très belle préface de l’auteur qu’à la rubrique trop rapide qui lui est dévolue.
Les portraits sont également réussis, d’Atatürk à Jefferson, de Giordano Bruno à Locke ou Kant et Voltaire, entre autres. On aura volontairement esquivé la rubrique « laïcité » pour laisser au futur lecteur le plaisir de la lire et de la relire tant elle est éloquente.
Et on conclura en assurant que ce Dictionnaire-là constitue une acquisition quasiment indispensable pour tous les laïques, et même bien au-delà !
Philippe Foussier
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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