Revue de presse

H. Pena-Ruiz : "Solidarité avec la crèche Baby-Loup" (mediapart.fr , 29 mars 13)

30 mars 2013

"Plus que jamais, il faut soutenir Natalia Baleato, admirable directrice de la crèche Baby-Loup qui accueille des enfants de 54 nationalités différentes et leur assure une éducation fondée sur l’émancipation laïque, respectueuse de tous, car dispensée par un encadrement soucieux d’universalité.

Ce souci passe évidemment par la neutralité observée dans l’exercice de la tâche éducative. Il est inacceptable que dans une République laïque, une crèche elle-même conçue comme une structure laïque pour accueillir tous les enfants ne puisse même pas faire valoir cet esprit universaliste et en soit sanctionnée. Chacun peut bien comprendre que pour les familles qui confient leurs enfants à une crèche, il est impératif que l’encadrement respecte la neutralité dans sa tenue vestimentaire. 54 nationalités et traditions différentes… une telle diversité ne doit subir la violence d’aucune manifestation religieuse particulière. Cela va de soi, si du moins on est de bonne foi.

Aucune liberté, dans le cadre d’un groupe, n’est absolue, comme le rappellent les déclarations des droits de l’être humain. La liberté, c’est le droit de faire ce qui ne nuit pas à autrui. En fin de compte, le devoir de réserve et de neutralité, dans l’exercice d’une fonction sociale aussi précieuse que la prise en charge simultanée d’enfants d’origines et de traditions aussi diverses, est une forme de respect pour tous les autres. La personne qui ne veut pas comprendre cela et n’est attentive qu’à sa conviction personnelle fait preuve d’une certaine forme de fermeture aux exigences sociales. Une tenue vestimentaire ne colle pas à la peau. Comme disait Montaigne, « il ne faut pas confondre la peau et la chemise ».

Chaque être humain peut réfléchir sur les conditions dans lesquelles il peut porter ou non une tenue qui manifeste son appartenance. Le nier, c’est s’enfermer dans le fanatisme. C’est dire que la décision d’afficher ou non un symbole religieux dépend de soi et de la conscience des circonstances. Nul ne peut se mettre en avant au détriment de sa responsabilité sociale, du savoir-vivre civique, de la simple civilité qui veut qu’on n’inflige pas à autrui une symbolique partisane. [...]

Et qu’on ne dise pas que l’exigence laïque ainsi affirmée stigmatise une religion. Ce reproche serait infondé. La personne viendrait-elle coiffée d’une kipa, d’un turban sikh, d’une cornette de religieuse, ou en exhibant une croix charismatique, que cela ne changerait rien à l’affaire. Il lui serait demandé de renoncer à une telle manifestation pendant son temps de travail.

Qu’on ne dise pas non plus que l’on menace ainsi les libertés des travailleurs. Une modification très précise, rigoureusement ciblée en raison du contexte et de la finalité, ne ferait que préciser dans quelles circonstances il peut être légitime d’exiger la neutralité vestimentaire. La capacité d’intégration d’une institution de la petite enfance, au regard d’une grande diversité d’origines des familles, n’est-elle pas une raison suffisante pour que les personnes chargées de l’accueil et de l’encadrement respectent par leur tenue vestimentaire la neutralité ?

Pour s’en convaincre, elles peuvent faire un petit raisonnement tout simple. Si elles sont croyantes, accepteraient-elles que leurs propres enfants soient encadrés par une personne qui afficherait une conviction rigoureusement opposée à la leur, par exemple, qu’un éducateur les prenne en charge vêtu d’un tee-shirt portant la mention “ Ni Dieu ni maître ” ?

Faut-il rappeler que dans nombre d’écoles privées religieuses financées sur fonds publics, le caractère “ propre ” est affiché ostensiblement sous forme de symboles religieux, et assumé sans scrupules dans l’enseignement lui-même, souvent au mépris de la liberté de conscience des élèves et des familles. Que fait l’institution judiciaire ?

Bref, le paradoxe est le suivant. Des structures religieuses ont le droit d’afficher ouvertement leur prosélytisme. Mais une structure laïque n’a semble-t-il pas le droit de faire valoir chez les personnes auxquelles sont confiées les enfants une neutralité synonyme d’universalité et de respect de la liberté de conscience !

Seules la sécurité et l’hygiène seraient des motifs légitimes de réglementation... Mais la qualité d’un lien social de concorde, privilégiant non ce qui divise et oppose mais ce qui émancipe et réunit, ne serait-elle pas un motif légitime ? La décision de la Cour de cassation s’est appuyée sur un vide juridique. On voit qu’il est aisé de le combler, sans bouleverser le code du travail, mais en ajoutant un cas à ceux qui figurent déjà. Hygiène, sécurité, mais aussi souci de paix sociale et de concorde par une neutralité synonyme d’universalité. Accueillir tous les enfants, sans discrimination, c’est rendre visible l’universalité qui met en avant ce qui est commun à tous, et non ce qui n’est que de certains. La neutralité n’est donc nullement une atteinte à la liberté de conscience. Dans nombre de professions, le devoir de réserve est assumé comme condition du vivre ensemble.

Mesdames et Messieurs les député(e)s, sénatrices et sénateurs, merci de faire cesser cette injustice en comblant le vide juridique qui la rend possible ! Il suffit de faire préciser dans le droit du travail que la neutralité du personnel d’encadrement des structures d’accueil de la petite enfance peut être exigée au titre de l’orientation universelle qui permet de faire coexister des enfants de toutes origines sans en soumettre aucun à une symbolique partisane."

Lire "Solidarité avec la crèche Baby-Loup".


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