Revue de presse

H. Pena-Ruiz : "Lettre ouverte à François Hollande sur la laïcité" (lemonde.fr, 23 fév. 12)

24 février 2012

"Je m’étais réjoui d’entendre François Hollande afficher sa volonté de conforter la laïcité. Je suis aujourd’hui consterné de la tournure prise par une telle promesse. Pour la laïcité cela vire au cauchemar. D’une part seul le premier article de la loi de 1905 est mentionné littéralement dans le projet de constitutionnalisation. D’autre part le concordat encore en vigueur en Alsace-Moselle, liste de privilèges publics de trois religions octroyés par Napoléon en 1801 et en 1807, est promu au rang constitutionnel.

Bref, l’égalité prévue par l’article deux est censurée, et les privilèges concordataires sont renforcés dans la hiérarchie des normes ! Si les choses demeurent en l’état non seulement le programme du Parti socialiste (PS) ne renforce pas la laïcité mais il l’affaiblit... [...]

  • [...] Les deux articles indissociables du titre premier de la loi de 1905.
    C’est une faute de ne pas mettre sur le même plan l’article deux et l’article premier. Pourtant, les énoncés sont simples, nets, purs comme du cristal. Jaurès s’en est expliqué. Lisons. Le premier article dit haut et fort "Liberté !" : "La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes." Le second article dit haut et fort "Egalité !" : "La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte." L’Etat porteur du bien public – res publica – n’a pas à privilégier les croyants, pas plus d’ailleurs que les athées. Ni statut de droit public, ni financements d’aucune sorte, pour une croyance qui n’engage qu’une partie des citoyens. La santé, l’instruction, la culture, elles, sont le bien de tous, et méritent tous les égards. Pour Jaurès, la chose était claire : supprimer le budget des cultes, ce n’est nullement nuire aux croyants, car le transfert de l’argent public à ce qui est universel, commun à tous, profite autant aux croyants qu’aux athées. Bref, il faut absolument constitutionnaliser littéralement les deux articles de la loi de 1905, réunis sous le titre "Principes". Il serait étrange qu’un parti dit socialiste laisse tomber l’égalité de celui qui croit au ciel et de celui qui n’y croit pas...
  • [...] Le droit local d’Alsace Moselle.
    Ce droit local comporte deux composantes complètement distinctes et de généalogies à la fois historiques et nationales sans aucun rapport. D’un côté le concordat napoléonien de 1801-1807, loi française ; de l’autre le droit social promu par Bismarck pour endiguer la radicalisation révolutionnaire, loi allemande. Les religieux crispés sur leur privilèges concordataires prétendent qu’ils sont inséparables des droits sociaux. Ils mentent, et trompent le peuple. On peut supprimer le concordat sans toucher aux droits sociaux spécifiques aux habitants de l’Alsace Moselle. S’il faut rassurer les électeurs, c’est ainsi qu’on peut le faire dans le respect des principes indissociables de liberté et d’égalité. Je comprends mal l’argument du "respect d’une histoire particulière". Nulle tradition n’est a priori respectable. La notion machiste de chef de famille, l’infériorisation des femmes, des homosexuels, des francs-maçons, des humanistes athées, ont longtemps fait partie des traditions occidentales. Fallait-il les respecter ?

François Hollande, il est encore temps de rétablir les choses. On peut comprendre que certains religieux cherchent à préserver leurs privilèges, et vous le fassent savoir. Encore qu’ils montrent ainsi qu’ils pensent davantage à la terre qu’au ciel. On ne peut comprendre que vous renforciez juridiquement ces privilèges, en les constitutionalisant. Vous ne pouvez raturer ainsi l’égalité républicaine des athées des croyants et des agnostiques. Surtout vous qui êtes du même parti que Jean Jaurès. Est-il légitime que des athées soient tenus de subventionner, par l’impôt, un culte religieux ? L’argent public ne doit pas servir l’intérêt particulier mais l’intérêt général. Au moment où vous militez pour une gestion rigoureuse de la dépense publique, on peut s’étonner de votre position. Que ferez-vous demain si des libres penseurs ou des francs maçons vous demandent de l’argent pour leurs lieux de réunion ? Allez vous consacrer une approche discriminatoire qui donne aux croyants un statut de droit public alors que les athées sont confinés dans la sphère privée ? [...]"

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