Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République 2 janvier 2025
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"L’année écoulée a vu combien l’entrisme islamiste est en progression et fait des dégâts, menant une stratégie de communautarisation par victimisation de nos concitoyens musulmans, pour peser en faveur de concessions de la République aux exigences de la charia.
Lire "Entrisme islamiste, montée du rigorisme religieux : un bilan 2024 alarmant".
L’année écoulée a vu combien l’entrisme islamiste est en progression et fait des dégâts, menant une stratégie de communautarisation par victimisation de nos concitoyens musulmans, pour peser en faveur de concessions de la République aux exigences de la charia. On devait cela jusqu’alors à des groupes prônant l’intégrisme religieux bien identifiés, les Frères musulmans, les salafistes… Le fait nouveau est le relai de cette tendance par un islam rigoriste de plus en plus ordinaire, poussant au séparatisme. Un phénomène qui est aussi perceptible à travers un télescopage qui commence à se faire sentir avec le reste de la société, selon un effet repoussoir, et pas seulement en France.
Une évolution de l’islam en France vers plus de rigorisme qui inquiète
A la veille du passage en 2024, une enquête de l’Ifop révélait qu’une très large majorité de français musulmans (78%) partageaient le sentiment que la laïcité, telle qu’elle était appliquée, était discriminatoire envers eux. 20 ans après la loi du 15 mars 2004 interdisant les signes religieux ostensibles à l’école, les deux tiers d’entre eux (65%) se disaient favorables au port de ces derniers, contre seulement 18 % pour l’ensemble des Français. Une majorité était aussi favorable à l’introduction de menus à caractère confessionnel à la cantine, justifiait le refus d’assister à certains cours d’éducation physique pour les jeunes filles (au nom de la pudeur)… Alors que l’interdiction des abayas annoncée à la rentrée de septembre 2023 est approuvée à 81% des Français, chez ceux de confession musulmane ils ne sont qu’à peine 28%. Selon l’enquête, 75% souhaitent qu’on autorise désormais « le financement public des lieux de culte et des religieux des principales religions, alors que seulement 28% des Français y sont favorables. Mais aussi, que le degré de religiosité des musulmans est trois fois plus élevé que chez les adeptes des autres confessions, tous niveaux sociaux confondus.
La Fondation Jean Jaurès, dans l’une de ses dernières enquêtes, en mars 2024, sur le thème des rapports des jeunes à la laïcité, offre la même image. Si 49% des jeunes chrétiens se disent favorables au port de signes religieux ostensibles, c’est le cas de 77% des musulmans (contre 33% de ceux qui disent n’appartenir à aucune religion).
L’école laïque de plus en plus visée
On ne peut oublier les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard, commémorés cette année, ces enseignants amoureux de la liberté qui en faisaient partager le sens à leurs élèves, ce qui leur a couté la vie en raison du terrorisme islamiste.
De nombreux faits témoignent que le climat se détériore encore cette année dans l’école, soulignant l’affrontement entre une laïcité qui proscrit les signes religieux ostensibles pour faire respecter un libre accès à l’éducation contre toute prédestination restrictive, religieuse ou culturelle, et la montée d’une conception intolérante, rigoriste de la religion, entendant tout régenter. On ne compte plus les menaces de violence, voire de mort, en direction d’enseignants, de chefs d’établissements.
Ce fut le cas à Paris, en février dernier, au sein de la cité scolaire du lycée Maurice-Ravel, où une élève de BTS qui portait le voile dans la cour et refusait de le retirer, a déclenché l’intervention du proviseur qui n’avait d’autre choix que de la ramener vers la sortie. L’élève à front renversé a porté plainte contre lui pour violence, classée sans suite, mais sur les réseaux sociaux ce fut un déferlement de haine, avec menaces de mort telle que : "C’est une dinguerie. Faut le brûler vif, ce chien". Face à cela, le proviseur avait dû se mettre en retrait de ses fonctions.
On aura aussi en mémoire, début avril 2024, après les violences subies par la jeune collégienne Samara à Montpellier, la dénonciation par son entourage d’une dimension idéologique voire religieuse dans ces faits, en soulignant le harcèlement dont elle faisait l’objet depuis longtemps en raison de son apparence « à l’européenne », avec des insultes telles que "mécréante", "kouffar", "kahba" (pute en arabe).
En octobre dernier, c’est une élève d’un lycée de Tourcoing qui porte le voile islamique dans l’enceinte de l’établissement, une enseignante lui demande de le retirer et a pour réponse d’être violemment agressée.
Ailleurs, c’est encore une autre élève, au collège Montesquieu à Narbonne, qui a menacé de mort un enseignant lors d’un cours sur la liberté d’expression, le 9 décembre dernier…
Quasiment pas une semaine ne passe sans de tels événements. Selon une enquête du Syndicat national des directions de l’Education nationale (SNPDEN-Unsa), les principaux et proviseurs sont 26% à dire avoir été confrontés à des contestations d’enseignement au nom de la vérité religieuse.
L’entreprise, l’autre champ de l’entrisme islamiste
Du côté de l’entreprise, les choses ne vont pas mieux. Le responsable d’un magasin Geox près de Strasbourg est accusé d’« islamophobie », de « racisme », avec menaces de mort, après avoir refusé une jeune intérimaire portant un voile. Suite à cette situation, l’entreprise rappelle dans un communiqué que son « règlement intérieur respecte strictement les termes de la législation française (notamment l’article L1321-2-1 du Code du travail) qui autorise les employeurs pour ce qui est de la liberté religieuse à insérer une clause de neutralité ou une note de service relevant des mêmes règles », concernant les relations avec la clientèle. Rien à voir donc avec du racisme ou on ne sait quelle « islamophobie », terme dont on connaît la toxicité.
Dans une association du secteur social et médico-social de Nancy, qui gère des missions de lutte contre les exclusions confiées par l’Etat, on a mis en adéquation le règlement intérieur avec le statut d’opérateur de l’Etat, en introduisant dans le règlement intérieur une clause de neutralité en direction du personnel, dans le respect de la loi. Deux salariées portant le voile se voient ainsi demander de s’y conformer, le syndicat SUD du coup monte au créneau pour exiger le retrait de cet article du règlement intérieur, ce qui équivaut à demander l’abrogation de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat qui définit le caractère laïque de ce dernier. Il n’en a rien été, bien heureusement.
Selon le dernier Baromètre du Fait religieux en entreprise (novembre 2024) on constate une progression des difficultés que pose le fait religieux au bon fonctionnement de l’entreprise, et que dans 8 cas sur 10 il s’agit de salariés se réclamant d’être musulmans. En 2024, 54% des situations marquées par le fait religieux ont nécessité une intervention managériale. La proportion d’entreprises rencontrant une densité forte d’impact dans ce domaine est de 23%. Les salariés qui repèrent régulièrement des comportements religieux considérés comme rigoristes étaient 7,8 % en 2019, 14 % en 2022 et 16 % en 2024. Dans 91 % (contre 89 % en 2022) des situations dans lesquelles des comportements considérés comme rigoristes sont repérés, la principale religion est l’islam.
Sentiment d’être discriminés des musulmans en Europe et enjeux politiques
Mais à en croire une étude de l’Agence des droits fondamentaux dans l’Union européenne (FRA) qui a été menée entre octobre 2021 et octobre 2022, dans 13 pays européens, selon un rapport intitulé "Être musulman dans l’UE", il serait de plus en plus difficile d’être musulman en Europe. Selon cette étude, 47% des musulmans affirment avoir été victimes de discriminations au cours des cinq dernières années, contre 36% en 2016. Il s’agit de femmes portant des vêtements religieux, principalement un voile islamique, qui seraient « davantage confrontées à la discrimination raciale que celles qui n’en portent pas, en particulier lorsqu’elles cherchent un emploi (45% contre 31%) ». 27% des musulmans assurent avoir fait l’objet d’un harcèlement raciste au cours des cinq années précédentes… Cette situation se serait encore renforcée depuis l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023 en Israël.
S’il existe des discriminations qu’il faut combattre, ce constat uniquement fondé sur le ressenti des personnes ne serait-il pas à comprendre en en inversant la lecture, à la lumière des problèmes d’intégration rencontrés par une part importante de nos concitoyens de confession musulmane au regard des grands principes politiques, démocratiques et sociaux, qui régissent ces sociétés européennes, ce qui fait qu’ils se sentent de plus en plus rejetés ? Cela n’est-il pas la manifestation d’un télescopage culturel, religieux, de plus en plus patent, alors que le rigorisme dans l’islam semble bien ne cesser de se développer, selon une série d’indicateurs incontestables, engendrant une défiance de plus en plus importante, avec des conséquences se traduisant jusque dans des discriminations ? Cela n’exprimerait-il pas aussi, l’inadaptation de nos politiques publiques à cette réalité pour en tirer toutes les conséquences au lieu de continuer de jouer avec le feu, en flattant la logique communautaire, voire une reconnaissance plus ou moins explicite d’un droit à la différence en concurrence avec les libertés et droits communs, avec notre conception du citoyen ? Ne serait-il pas temps de reposer la question de comment on fait société ?
Les nations modernes sont nées de la volonté de vivre ensemble sous le signe de repères communs partagés et portés ensemble, d’un Etat de droit, au-dessus de ce qui nous différencie, sans quoi, il n’y a pas de société viable. C’est sans doute la question vitale posée à notre République laïque, et ainsi à ceux qui nous gouvernent pour l’année qui vient, si on veut pouvoir contrer l’entrisme islamiste et son corollaire, le communautarisme, qui ne cessent de gagner du terrain."
Comité Laïcité République
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