6 septembre 2014
"La direction de cet établissement du XVIe arrondissement parisien impose une ligne de plus en plus réactionnaire. Sans que les instances catholiques ni l’Education nationale ne réagissent.
La glaciation après la tempête. Mi-avril, plusieurs enquêtes de presse dévoilent les soupçons de dérive catholique ultra au sein du groupe scolaire Gerson, un établissement privé sous contrat du XVIe arrondissement parisien. La venue de conférenciers d’Alliance Vita, une association anti-avortement dénonçant les « semi-meurtrières » qui prennent la pilule, choque. Immédiatement, c’est le branle-bas-de-combat rue de Grenelle : le ministre Benoît Hamon diligente une enquête de l’inspection générale de l’Education nationale. Quatre mois plus tard, c’est le calme plat. Selon nos informations, le ministère s’apprête à rendre, dans les prochains jours, ses conclusions. Bilan : « Aucune atteinte à la liberté de conscience des élèves ne peut être constatée au lycée Gerson, pas plus que dans le reste de l’établissement. »
Fin de l’histoire ? Loin de là. Car, en coulisses, les cercles catholiques sont en ébullition. Une mobilisation feutrée, mais qui ne trompe pas. « La crise à Gerson a été étouffée et évacuée », estime Alain Bernard, délégué du Snec-CFTC dans l’académie de Paris. Le syndicaliste, peu suspect de « cathophobie », ne mâche pas ses mots : « Le secrétaire général de l’enseignement catholique insiste régulièrement sur la nécessaire ouverture de nos établissements. A Gerson, ça semble être une fermeture. »
Plusieurs hauts responsables des milieux catholiques, sous couvert d’anonymat, dénoncent aussi « l’ambiance et le pilotage » du groupe scolaire dirigé par Philippe Person, un ancien prof d’histoire aux convictions « traditionalistes » [1]. « C’est vrai que l’extrême droite catholique a gagné en influence à Gerson », explique une de nos sources. « La venue d’Alliance Vita, une association anti-avortement, lors d’un cours de catéchèse, était un épiphénomène », précise-t-elle. La radicalisation idéologique et confessionnelle serait bien plus avancée que ce qui émerge en surface.
« On peut en effet s’interroger sur le fait d’exiger un certificat de baptême pour inscrire un nouvel élève », illustre Alain Bernard. Un ancien professeur abonde : « Les deux dernières années, marquées par l’action de la Manif pour tous, ont été l’occasion pour certains d’affirmer des positions contre l’avortement ou les "déviances sexuelles" ». Dans son viseur, Virginie Maury, directrice du collège et membre de l’Opus Dei, ou encore Cyril Gordien, aumônier du secondaire et tête d’affiche de la Manif pour tous. Le professeur décrit notamment ces séances de catéchisme, dont certains élèves sortaient « révulsés » après avoir entendu des propos tels que « Je veux faire entrer la foi dans ta tête ». Un enseignant évoque ces voyages scolaires remplacés par des pèlerinages à Lourdes, un autre cette « obsession de l’homosexualité masculine chez monsieur Person ».
« La direction de Gerson souhaite en faire un établissement communautariste, dirigé par des catholiques pour des catholiques, résume Philippe Onfroy, délégué CGT pour l’enseignement privé. Cela ne respecte pas du tout l’esprit de la loi de 1959 qui pose qu’un établissement sous contrat doit être ouvert à tous. » Le recrutement des élèves favorise largement les patronymes à particules. « La particularité de Gerson, qui était d’accueillir des enfants de tous les milieux, est en train de disparaître », regrette un parent d’élève. De nombreuses familles ont choisi de ne pas rempiler pour une nouvelle année.
Du côté des professeurs, l’ambiance n’est pas plus réjouissante. Ceux qui ne partagent pas la « ligne » de la direction font tout pour obtenir leur mutation. Sous couvert d’anonymat, ils sont nombreux à raconter les vexations, pressions insidieuses et autres chantages aux emplois du temps. « C’est une triste réalité, reconnaît Alain Bernard. On ne peut pas encore parler de harcèlement, mais je m’inquiète pour certains personnels », dit-il.
Malgré ce tableau chargé, les autorités ne semblent pas pressées d’agir. Philippe Onfroy y voit d’abord l’effet pervers de la crise d’avril. « Les médias ont parlé de dérive intégriste. Or, Gerson est toujours dans le giron de l’église. Ce qui s’y passe, c’est davantage un courant ultra. Face à cette accusation d’intégrisme, la direction s’est immédiatement positionnée en victime des gauchistes cathophobes. » De nombreux parents d’élèves ont fait bloc derrière Philippe Person, par ailleurs doté de l’appui de son conseil d’administration [2]. La direction diocésaine de l’enseignement catholique parisien, qui n’a de toute façon pas le pouvoir de le démettre de son poste, lui affiche toujours son soutien. Jean-François Canteneur, adjoint au directeur diocésain, concédant tout juste des « maladresses » de sa part.
Mais au sein des milieux catholiques, on espère un tout autre dénouement. Plusieurs de nos interlocuteurs ont fait part de la volonté de Frédéric Gauthier, le directeur diocésain, d’obtenir le départ de Person. « C’est un jésuite, il n’agit pas à la hâte », explique l’un. « L’Eglise est une machine lourde et lente, ajoute un autre. Mais cela ne veut pas dire que les choses ne vont pas se faire. » Selon nos informations, le cardinal André Vingt-Trois, l’archevêque de Paris, suit ce dossier avec attention, inquiet de la mauvaise publicité qu’il suscite.
Le ministère de l’Education nationale montrera-t-il plus d’empressement ? Rien n’est moins sûr. Dans un courrier daté du 20 août, le cabinet de Benoît Hamon demande à Henriette Zoughebi, vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France, de rétablir le versement d’une subvention à Gerson, un temps suspendue. « Le ministère ne veut pas rallumer la guerre scolaire avec l’enseignement catholique, estime un professeur. A ses yeux, la situation à Gerson n’est pas si grave. Il existe d’autres établissements où la situation est plus préoccupante en terme de dérive communautariste, notamment des lycées juifs ou musulmans. » Un autre interlocuteur évoque lui ce collège parisien catholique et sous contrat, où la note de vie de classe était conditionnée, l’an passé, à la présence des élèves, pendant une nuit entière, à une séance d’adoration du Saint-Sacrement."
Lire "Gerson, le lycée catholique ultra devenu intouchable".
[1] Contactée par Libération, la direction du lycée Gerson n’avait pas donné suite à nos demandes mercredi en fin d’après-midi.
[2] A Gerson, c’est l’Ogec (Organisme de gestion de l’enseignement catholique) qui a le pouvoir de nommer le directeur. Cette instance, autonome financièrement, n’est pas dans le giron du diocèse de Paris, qui n’a qu’un pouvoir d’approbation."
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