Revue de presse

"Gad Elmaleh et la sulfureuse communauté des Béatitudes : son étonnant coup de foudre spirituel" (L’Express, 25 mai 23)

25 mai 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Avec son film, "Reste un peu", l’humoriste français assume son amitié avec une religieuse des Béatitudes, dont la communauté profite ainsi d’une avantageuse publicité. Or ce mouvement traîne, depuis son origine, des scandales d’abus sexuels, dénoncés depuis 2010.

Par Emilie Lanez

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Un demi-million de spectateurs en salles, une trentaine d’articles de presse, des invitations à la radio, à la télévision ; sorti mi-novembre au cinéma, le film Reste un peu, écrit et réalisé par Gad Elmaleh, connaît un joli succès commercial. [...]

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C’est peu dire que depuis quatre, cinq ans, la vedette du stand-up comique est devenue l’égérie des cathos tendance tradi. Présent à Rome lors de la canonisation de Charles de Foucauld en mai 2022, il participe l’été suivant à une session à Paray-le-Monial, fief de la communauté de l’Emmanuel, un autre mouvement charismatique. Il y est photographié en compagnie d’Hubert de Torcy, membre de ladite communauté, un chef d’entreprise, figure de proue de ces catholiques soucieux d’une France selon eux trop sécularisée, compromise dans des valeurs mortifères. Hubert de Torcy apprécie Gad Elmaleh, "je l’ai invité à Paray-le-Monial", confie celui qui assura la promotion de son film dans les médias catholiques.

Le diplômé de HEC, fondateur d’un journal catholique gratuit, L’1nvisible, dirige Saje, une société spécialisée dans ce que les Américains nomment la "Faith production", soit les films chrétiens. C’est lui qui produit Vaincre ou mourir, épopée narrant les guerres de Vendée en 1793, ou Unplanned, l’histoire d’un dispensaire pratiquant l’avortement, et lui encore qui distribua The Chosen, série consacrée à la vie de Jésus, produite par l’évangélique américain Dallas Jenkins, dont les droits ont été rachetés par Canal +, épisodes disponibles sur la plateforme MyCanal et première saison diffusée sur C8, trois entités appartenant à Vincent Bolloré, patron de Vivendi.

Or justement, quel hasard, le Breton, catholique conservateur assumé, admire la théologie conservatrice d’un cardinal guinéen, le cardinal Sarah dont en juin 2021, l’hebdomadaire Famille chrétienne raconte "la rencontre touchante" avec… Gad Elmaleh. L’article narrant cette improbable rencontre est illustrée d’une photo du comédien, barbe et chemise blanche, aux côtés de l’ancien archevêque de Conakry, lors d’un dîner organisé à Paris. D’ailleurs, Vincent Bolloré, via sa filiale Canal + préacheta le film Reste un peu, distribué par Studio Canal. Décidément, que les voies du Seigneur sont variées et celles de Gad Elmaleh penchent drôlement.

Le cadavre exhumé du caveau de Pont Saint-Esprit

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Sylvaine Coquempot, assistante de vie scolaire en Bretagne, ignore tout des fréquentations de Gad Elmaleh, dont les sketches l’ont toujours fait rire. Cet automne toutefois, elle a suivi la promotion de Reste un peu en s’étranglant. Comment assumer de mettre en lumière, même indirectement, ce mouvement auquel appartenait sa soeur retrouvée pendue aux rideaux de sa chambre à l’âge de 21 ans, drame dont elle décrit l’agonie dans l’hebdomadaire Golias en septembre 2022 ? Comment l’acteur populaire peut-il faire profiter de sa notoriété les Béatitudes ? Comment tolérer que le site de celle-ci fasse la promo du film, s’assurant ainsi un sympathique coup de projecteur ? Comment ignorer que l’association fut dénoncée dans un livre, La Trahison des pères, publié en 2021, disséquée dans deux documentaires, dont celui, ravageur, de la journaliste Sophie Bonnet, Une secte aux portes du Vatican, diffusé en 2011, soit plus de dix ans avant les vingt-trois jours de tournage du film ?

D’autant plus intriguant que les Béatitudes ne feignent pas d’adhérer aux grandes lessives tardivement mises en route chez les cathos, bousculés par une accumulation de scandales. Le mouvement se tient à l’écart de toute introspection, refusant de rejoindre le dispositif de la commission indépendante sur les abus sexuels, ouverte en 2018, comme il n’a pas signé la charte éthique de la Conférence des religieux et religieuses de France. [...]

Le 23 décembre 2022, Gad Elmaleh est reçu par le pape au Vatican et diffuse sur Twitter, en cette veille de Noël, sa photo au côté du chef de file des catholiques, tenant entre ses mains l’affiche du film, le court texte afférent ne fait aucun lien avec les Béatitudes. Dans la communauté, on se frotte les mains. L’épouse de l’éditeur des Béatitudes, Claude Brenti, tout juste retraité, est la traductrice de Raniero Cantalamessa, prédicateur de la maison pontificale, créé cardinal par l’actuel pape. De quoi faciliter les prises de rendez-vous place Saint-Pierre. Et le petit coup de pub salvateur.

Le chantre et les 57 enfants abusés

[...] Fondée en 1973, par Gérard Croissant, alias frère Ephraïm, et sa femme Josette, les Béatitudes font partie de ces communautés nouvelles nées après le concile Vatican II. En 2020, elle est reconnue comme "famille ecclésiale de vie consacrée". Le terme la distingue d’un ordre religieux, façonné par une histoire multiséculaire, tels que les Dominicains, les Franciscains, les Trappistes, etc. ; elle se dote de ses règles, pratiques, financements, liturgie sans se soumettre au contrôle de Rome. Vie collective, mise en commun des biens, elle attire des prêtres, des célibataires et des familles, pratiquant louanges, danses, cérémonies proches de la transe nommées "repos de l’esprit", guérisons miraculeuses, divinations et au besoin exorcisme. 1 500 membres au seuil des années 2000, présents dans une trentaine de pays.

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Les scandales explosent à partir de 2008. Pierre-Etienne Albert, le chantre et meilleur ami du fondateur Ephraïm, est condamné à cinq ans de prison en 2011 pour avoir agressé sexuellement 57 enfants. Ephraïm, révoqué par une décision canonique de l’Eglise, est contraint de quitter la communauté qui, en novembre 2011, le reconnaît "coupable de graves manquements" envers des religieuses "dont une jeune fille mineure". Pourtant, aujourd’hui encore, ses prières figurent sur leur site. Son beau-frère, Philippe Madre, modérateur général pendant quinze ans, est accusé devant un tribunal ecclésiastique d’"abus sexuels par personne ayant autorité", en 2010, l’archevêché de Toulouse le déclare "coupable des faits délictueux reprochés". Il dit aujourd’hui avoir été "blanchi de ces accusations manipulatrices". Un autre responsable, Jacques Marin, animateur de retraites, est lui aussi soupçonné d’abus sexuels, il décède avant la fin des poursuites judiciaires.

En janvier dernier, l’hebdomadaire La Croix met en cause deux prêtres, dirigeant le cours Agnès-de-Langeac, deux prêtres déplacés, jamais poursuivis, l’un d’eux ayant occupé un poste de n° 2 aux Béatitudes jusqu’à l’an dernier. Dans la foulée, des signalements sont adressés aux procureurs de Toulouse, Draguignan, Autrey et au procureur du roi en Belgique. Dans le même temps, il apparaît que les membres travaillent bénévolement, ne cotisant à aucune caisse de retraite, une privation efficace pour alléger les coûts et empêcher d’envisager une vie ailleurs. [...]"



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