Note de lecture

G. Papi - La culture suspecte : une fiction pleine d’humour (G. Durand)

par Gérard Durand. 4 octobre 2021

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Giacomo Papi, Le Recensement des intellos de gauche, éd. Grasset, mai 2021, 234 p., 19 €.

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Dans un talk-show télévisé, le professeur Prospero cite naïvement Spinoza. D’un ton sévère le présentateur lui répond que ce genre de référence humilie les travailleurs et les familles qui regardent. Le public tape des mains et hue le professeur. Le ministre, invité lui aussi, ajoute que le professeur devrait avoir honte de son élitisme. Twiter se déchaine. En rentrant chez lui Prospero est assassiné.

Ainsi commence la quatrième de couverture de ce livre. Pastiche d’une société ou la culture devenue suspecte, n’est plus tolérée, ou l’universalisme révolutionnaire cède progressivement la place au mouvement woke et la cancel culture règne dans les universités américaines et commence à prendre place dans les nôtres.

Ce livre est censé apparaître au moment ou de nombreuses dispositions sont déjà en place. Car le gouvernement ne pouvait tolérer l’arrogance des intellectuels. Son texte est donc soumis en lecture au rédacteur de la Haute autorité pour la simplification populaire de la langue italienne lui-même supervisé par un rédacteur en chef chargé de délivrer, ou non le nihil obstat à la publication. Le lecteur va donc voir apparaitre les mots et formules rayées, ainsi que les modifications imposées. Hors de question d’utiliser le subjonctif, à l’existence très contestée, l’homme au strabisme prononcé est remplacé par l’homme qui louchait très fort, plus compréhensible par le peuple, etc. Bien entendu, pour faire respecter ces règles, une police spécialisée était nécessaire et le ministre de l’Intérieur, devenu Premier ministre bis, s’est empressé de la créer et de le faire savoir par tweet, son instrument de communication favori. Simplifier avant tout.

L’idée de mettre en place un registre national des intellectuels de gauche fut adoptée dans une quasi-unanimité. Ces malfaisants avaient pour manie la complexité, or la complexité est l’ennemie principale du peuple et ses dix principaux défauts, obstacle à la vérité, elle humilie le peuple, arme des élites pour le tromper, etc…

Les commissions fonctionnaient, les sous-commissions aussi, chaque mot de la langue Italienne est examiné, chaque commissaire disposant d’un sifflet s’il ne comprenait pas le sens du mot présenté. Les inspecteurs visitent le domicile de ceux paraissant suspect. Chaque intellectuel se débarrasse des vêtements pouvant indiquer son appartenance à cette caste honnie (pantalon de velours par ex.) Les poubelles débordent et il en fut pareil pour les livres des bibliothèques présentes au domicile des suspects. L’ensemble s’organisait, on savait définir un intello de gauche, on savait comment le traiter et quelles amendes lui infliger. Un premier volume des mots interdits fut publié. Tout allait bien jusqu’au moment ou le premier ministre de l’Intérieur fut surpris dans un cinéma clandestin d’Art et d’essai à regarder un film d’Alain Resnais.

Les péripéties sont vécues par Olivia, la fille du professeur assassiné. Elle vit à Londres et sait nous faire vivre toute cette aventure.

Livre de fiction humoristique, sans doute, mais il attire notre attention sur des points précis de nos sociétés auxquels nous avons peut-être tort de ne pas prendre garde. La manipulation des programmes scolaires et l’abaissement des exigences de l’apprentissage. La multiplication des programmes télévisés les plus infantilisants et le grand bond en arrière que prônent certaines associations, parfois relayé par les universités, la faiblesse intellectuelle de beaucoup de politiciens.

Fable comique, ou prédiction, l’avenir nous le dira, mais n’oublions pas que l’avenir, c’est nous qui le fabriquons.

Gérard Durand


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