Revue de presse

G. Chevrier : Sur France 2, "le service public plombe la liberté d’expression par une laïcité mystifiée" (atlantico.fr , 12 jan. 15)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République 17 janvier 2025

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La liberté d’expression demeure essentielle pour conjurer la tendance au recul et aux mauvais compromis, en s’appuyant sur une laïcité qui ne soit pas mystifiée.

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Lire "« Charlie Hebdo, 10 ans après : peut-on encore tout dire ? » sur France 2 : le service public plombe la liberté d’expression par une laïcité mystifiée".

A la fin de l’émission « Charlie Hebdo, 10 ans après : peut-on encore tout dire ? » le 7 janvier dernier, sur France 2, qui était bien partie, tout à coup, ça dévisse : l’animatrice interroge une des deux lycéennes présentes sur le plateau pour expliquer ce qu’est la laïcité, sa réponse est édifiante : « C’est quand même une notion qu’on nous apprend depuis le collège. Je pense que ce qu’on doit retenir le plus de la laïcité, c’est combien (...) notre pays a pu se construire grâce à des valeurs qui reposent sur la laïcité et l’acceptation quand même au fond des multiples religions. (…) Je pense que ça passe aussi par le respect, l’acceptation et surtout la connaissance de celles-ci, principalement. » Si on peut pardonner à cette jeune lycéenne son erreur, on comprend mal que personne ne reprenne cette définition sur le plateau, qui est malheureusement une fausseté répandue, pour la corriger.

Ce qu’est la laïcité : certainement pas le respect inconditionnel des religions.

La laïcité n’est pas « l’acceptation des multiples religions (…) le respect et la connaissance de celles-ci », et ainsi, leur égalité de traitement. Ce n’est pas plus leur respect de façon béate, car bien des prescriptions religieuses contreviennent aux libertés, dont le délit de blasphème, à l’origine du massacre du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo. La laïcité, c’est la liberté de conscience qui protège chacun, quelles que soient ses convictions religieuses ou non, ses opinions, le droit de croire ou de ne pas croire. Une séparation de l’État des Églises qui fait que, à ne pas avoir de culte officiel, celui-ci protège la liberté de culte ou de ne pas en avoir, mais plus encore, il peut traiter les individus de façon égale. Par ailleurs, la connaissance de la religion de l’autre n’a jamais empêché les croyants de différentes religions de s’entretuer, que ce soient protestants et catholiques en France au XVIe siècle ou en Irlande du Nord au XXe, ou encore chiites et sunnites au Yémen, musulmans et juifs en Palestine. C’est une illusion qui a la peau dure !

La loi de 2004 mise en cause au nom du ressenti d’une minorité

Dans ce prolongement, l’animatrice peut dire, « On pourrait aussi parler de la loi de 2004 qui reste vécue, peut-être, comme discriminante pour certains »… La confusion est totale, personne non plus ne réagira à ces propos sur la loi interdisant les signes religieux ostensibles à l’école, du 15 mars 2004, qui y a réaffirmé la laïcité. Est-il bien normal de présenter cette loi sous le signe d’une telle victimisation, parce qu’une minorité la rejette en prenant prétexte de son ressenti ? Ce dont, quelque part, on n’a que faire, car la loi votée par un processus démocratique est faite pour être respectée. Et après, nous sommes dans un pays de liberté où il y a un débat public qui n’empêche personne de dire ce qu’il pense, et de militer politiquement pour la changer. Selon une étude Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro, pour les vingt ans de la loi interdisant les signes religieux ostensibles dans l’école publique, 82% des Français s’y disent favorables, 25 points en plus par rapport à 2003, juste avant que la commission Stasi ne statue en sa faveur. Il est vrai que l’on donne bien plus d’importance à cette minorité contestataire que ce qu’elle représente, par le fait de médias trop fréquemment acquis à la primauté d’un droit à la différence, tournant le dos à l’égalité républicaine. Il est certes plus facile de mettre en avant les bons sentiments qui vont avec le « chacun fait ce qu’il veut", et une tolérance sans fond qui passe pour une compréhension bienveillante, que d’éduquer aux droits et devoirs communs qui fondent la responsabilité du citoyen, à l’intérêt général, portés au-dessus des différences, avec l’ambition de ne faire qu’un peuple, comme puissance politique souveraine, disposant de son destin.

Des Français qui voient la laïcité en danger, à raison

On ne s’étonnera pas que, dans ce contexte, selon la même étude, 78 % des Français considèrent que la laïcité est en danger. La laïcité qui s’applique aux élèves dans l’école publique, vise à garantir un accès inconditionnel et égal pour tous à la connaissance, que les signes religieux ostensibles qui font référence à telle religion ou tradition peuvent entraver, ce que l’on constate déjà à travers le comportement de certains élèves qui contestent ou refusent tel contenu d’enseignement, telle activité… On modère par là-même aussi, le risque d’effet de groupe de pression partisan. La décision d’interdiction des abayas dans l’école, va dans le même sens. Elles s’y multipliaient, pour contourner l’interdiction des signes religieux ostensibles de 2004 dont fait partie le voile, avec des islamistes incitant à cette provocation sur les réseaux sociaux. Là aussi, son interdiction annoncée à la rentrée de septembre 2023, a été approuvée à 81% par les Français. Notons qu’elle n’a été soutenue que par 28 % de nos concitoyens musulmans. On ne peut ignorer le haut degré de religiosité, sinon de prosélytisme, qu’exprime ce vêtement, alors que partout dans les pays où il domine avec le voile, on ne peut que constater des atteintes aux libertés fondamentales, dont la liberté d’expression. Comment alors, ne peut-on se rendre compte de l’importance de protéger la laïcité de l’école d’un absolutisme religieux qui transpire à travers ces contestations ? Et plus encore que l’école, la République tout court ?

Le droit de croire, le libre choix d’un culte ou non, de changer de religion, n’est nullement mis en cause, mais comme cela est énoncé à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. ». Et ce trouble, avec les signes religieux ostensibles et les contestations de toutes sortes qu’ils servent, nous y sommes ! C’est parce que l’on considère les élèves comme devant être éduqués à la démocratie, à la citoyenneté, de pouvoir le faire sans prédestination d’aucune sorte, pas plus religieuse que sociale, qu’on entend qu’ils se présentent de façon égale, sans rien mettre entre eux et l’école. Ils en feront ce qu’ils veulent plus tard, mais d’abord, il s’agit de garantir cet accès, qui est aussi celui du principe d’autonomie et de libre choix de l’individu, contre toute logique communautaire en éloignant.

Une liberté d’expression qui a besoin de la laïcité, telle qu’elle est

On notera que dans les cours d’éducation civique, on enseigne précisément le « respect des croyances », en même temps que le pourquoi dans le cadre de l’école « leur expression est limitée ». Mais il semble qu’on n’y arrive pas, car le message a bien du mal à passer. Le mot respect ici semble plutôt satisfaire des sentiments d’appartenance, ce qui contribue à sacraliser le religieux et à en empêcher le libre examen, au risque de se rendre suspect de racisme. On s’inspire du fait que, dans notre Constitution, après l’affirmation de la République laïque et du principe d’égalité, on dise qu’« Elle respecte toutes les croyances », ce qui ne relève d’aucune contrainte juridique pour autant, interdisant de les critiquer. Aussi, l’école qui enseigne des connaissances valables pour tous ne peut à un moment donné que télescoper les croyances, et donc, que bousculer cette affirmation. C’est à cela qu’il faut la préparer, dans un cadre qui est celui de la libre critique et du libre-arbitre, au lieu d’insister sur l’enseignement d’un fait religieux aux attentes pour le moins quelque peu illusoires.

Un sondage Ifop pour Écran de veille de décembre 2022 sur "Les enseignants face à l’expression du fait religieux à l’école et aux atteintes à la laïcité", révèle que "plus de la moitié des enseignants se sont déjà autocensurés pour éviter des contestations au nom de convictions religieuses ou philosophiques avec les élèves. ». Imaginons donc ce que cela serait si les signes religieux pouvaient s’y manifester sans limite ! Ne rien céder à une minorité prosélyte qui ne respecte pas notre école laïque, pas la loi, premier devoir du citoyen, voilà le vrai sujet. Sinon, c’est non seulement faire reculer l’école, mais c’est aussi encourager à penser qu’il y aurait derrière quelque chose à se reprocher, favorisant la pénétration d’idées fausses, largement relayées, sur la laïcité. Selon les résultats d’une étude menée par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, en partenariat avec « Charlie Hebdo », les jeunes âgés de 18 à 34 ans sont en décalage avec le reste de la population sur les thématiques de la liberté de la presse et de caricature, une majorité d’entre eux y étant opposés. Une tendance qui ne fait que s’accentuer, dix ans après l’attentat. Il n’est que temps de réagir !

On voit combien cette liberté d’expression, qui caractérise Charlie Hebdo, demeure essentielle pour conjurer la tendance au recul et aux mauvais compromis, en s’appuyant sur une laïcité qui ne soit pas mystifiée. Sinon, autant couler le navire République !"


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