28 août 2013
Guylain Chevrier Cette Charte n’est pas à sous-estimer, car tout ce qui vise à mieux faire partager la laïcité va dans le bon sens dans le contexte actuel. [...] Nous assistons à une communautarisation croissante d’une partie de l’islam de France sur le fondement du refus du mélange au-delà de la communauté de la croyance, avec une montée croissante depuis une vingtaine d’années des revendications à caractère communautaire, et un développement du port du voile qui en est largement le symbole. Une situation qui ne trompe personne. D’ailleurs, avec un contentieux qui croit à la mesure de cette situation au regard des quelques 75 % de Français qui, quelle que soit les enquêtes, manifestent leurs inquiétudes au regard de cette situation.
Effectivement, des inquiétudes il peut y en avoir, car cette Charte ne changera pas tout, entre autre le problème qui est posé lorsque l’on met en lien les conséquences de la carte scolaire et le fait que des établissements de certains quartiers s’enfoncent dans le repli communautaire sinon le communautarisme. De ce point de vue, ce n’est pas une réforme d’ensemble de l’Education nationale qui règlera les questions auxquelles entend répondre cette Charte, car elle est peu ou prou à l’adresse d’un phénomène de société beaucoup plus large, celui de la séparation de notre République d’une partie de nos concitoyens sur un fondement religieux. Pour autant, pour se faire comprendre par tous, il n’y a rien de mieux que la cohérence, que l’affirmation sans ambiguïté de ce que la laïcité implique. Et de ce côté, il y a encore à gagner une vision d’ensemble et une mise en cohérence entre les intentions de départ et la pratique. S’il devait y avoir une réforme d’ensemble, elle se devrait de proposer en tout cas le passage d’une culture des droits à une culture de la responsabilité, la laïcité comme bien commun pourrait si on le voulait y aider.
Quelles sont les mesures qui vous apparaissent urgentes en la matière ?
Cette Charte précède l’instauration, à compter de 2015, de l’enseignement d’une heure de "morale laïque" pour les écoliers et collégiens, tel que l’avait annoncé le ministre dès la fin de l’année 2012. N’oublions pas encore ici que, la question de la place des valeurs collectives que porte notre République, tels que le caractère inaliénable des droits et libertés de l’individu, la séparation du politique et du religieux, l’égalité de tous devant la loi indépendamment de l’origine, la couleur ou la religion, relèvent de cette morale. Il faut voir qu’après l’effet d’annonce, il s’agit d’agir sur l’appropriation de ces valeurs par les élèves et ce, sur un fond de montée de la violence et des incivilités dans l’univers scolaire où le laxisme l’emporte trop souvent sur la règle, avec en toile de fond une grave crise du lien social pour ne pas dire de notre cohésion sociale. On voit tout l’enjeu de cette démarche et ce qu’il va falloir de volonté pour que cette Charte prenne sens auprès des élèves et de leurs parents, à la fois en termes de détermination et d’explication des contenus, de respect des principes sans faillir.
Il est certain que, si on avait acté du côté du ministère de l’Education nationale la décision du tribunal de Montreuil confirmant le bien-fondé de l’interdiction du port de tout signe religieux ostensibles aux parents accompagnant des enfants lors de sorties scolaires, en réaction à des demandes de femmes voilées voulant le faire, on aurait mieux mis en perspective l’apport de cette Charte. Sans évoquer encore, après l’arrêt de la Cour de cassation mettant en cause la crèche Baby loup, la loi promise sur le respect de la laïcité dans le secteur de la petite enfance par le président de la République qui se fait attendre, faisant aussi désordre dans ce contexte.
Cette Charte réaffirme le respect de la mixité à l’école. C’est très bien, mais alors, il faut être intransigeant sur les principes, et dans la pratiques arrêter de laisser cette mixité être remise en cause, tel que le font beaucoup trop d’élèves filles en multipliant les refus d’aller à la piscine sur motif religieux lors des cours d’EPS ou même tout simplement d’y participer. Ceci est d’autant plus important que c’est la mixité qui pose les bases de la reconnaissance de l’égalité entre les sexes, au regard de quoi l’école joue un rôle cardinal d’éducation. Pour être complètement cohérent, la loi CARLE qui impose depuis 2009 aux communes de verser leur contribution financière à l’entretien des élèves d’établissements d’enseignement privé essentiellement catholique, sous le prétexte qu’elles financent l’entretien des élèves de l’enseignement public, au titre d’un traitement égal de l’élève, devrait être abrogée.
Il est précisé dans le texte qu’il "appartient à tous les personnels de transmettre aux élèves le sens des valeurs de la laïcité". L’enseignement de tels principes collectifs peut-il être laissé à l’appréciation de chacun ? Existe-t-il un risque de voir ce texte relégué au simple rang des principes théoriques ?
Par ailleurs il semble que, si on affirme dans cette Charte qu’on ne saurait contester le contenu de l’enseignement au nom de sa croyance, il n’y apparait pas l’affirmation que le contenu de l’enseignement soit fondé sur la raison, c’est-à-dire un enseignement scientifique. Un rappel essentiel si on ne veut pas laisser continuer les confusions actuelles autour de l’enseignement du fait religieux à l’école. Il faudrait ainsi revoir les choses du côté de cette illusion de penser que l‘on pourrait intégrer les enfants de l’immigration par la simple valorisation de leurs différences, comme y avait encouragé le rapport que Régis Debray avait remis à l’ex-ministre de l’Education nationale Jack Lang sur le thème de L’enseignement du fait religieux à l’Ecole laïque (2002). Depuis, on en a vu les effets. Cette grille de lecture n’a rien arrangé au contraire, elle a renforcé la prégnance des différences. On ne sait où les choses en seraient si la loi du 15 mars 2004, interdisant le port de signes religieux ostensibles dans l’école publique, n’était intervenue.
Cet enseignement du fait religieux se fait encore aujourd’hui dans la plus grande confusion, trop souvent sans contextualisation, sans le moindre conditionnel, où on met en veille toute approche critique des religions sous prétexte de respect de la croyance des élèves. Autrement dit, on enseigne alors le fait religieux sans même s’en rendre compte en dehors d’une démarche scientifique qui seule permet de comprendre et de partager, de prendre du recul sur les croyances, pour se penser ensemble et vaincre les a priori, précisément.
L’Ecole doit rester un lieu qui ne se voit imposer de l’extérieur ses règles et ses contenus, un véritable lieu de liberté d’accès à l’instruction. Laisser à l’entrée de l’Ecole le poids de la tradition, de la religion, c’est la seule façon de donner à chaque enfant sa chance de pouvoir se construire sa propre opinion, mais aussi sa propre liberté. On voit bien l’immense travail qui reste à faire en matière de formation des personnels de l’Education nationale à la laïcité, tel que s’y est engagé le ministre. Mais on sait combien certains lui prêtent un contenu totalement opposé au sens que nos institutions y ont donné, par exemple celui d’un traitement égal par l’Etat des religions, ce qui est un contresens incroyable. Ou encore, que la laïcité serait une conviction à côté des autres assimilée à l’athéisme, ce qui est tout aussi faux. Il faudra donc veiller au contenu de ces formations à destination des personnels enseignants. La question du respect de la laïcité par les intervenants extérieurs dans le cadre des activités à l’intérieur des établissements publics justifie aussi de ne pas tergiverser avec l’application de cette Charte à tous.
Le principe même de laïcité fait débat alors que le terme a été récupéré par une bonne partie de l’échiquier politique. Un consensus sémantique et pratique est-il imaginable sur le sujet ?
La meilleure des façons que la laïcité ne soit pas récupérable, comme aujourd’hui on y assiste avec un Front national qui en a fait un des thèmes favoris de son rassemblement, c’est de la mettre à sa juste place pour ne pas laisser des voies d’eau alimenter cette tendance. La laïcité se trouve en bonne place dans nos institutions, on la retrouve au sommet de la hiérarchie des normes juridiques à l’article 1er de notre Constitution, parmi les attributs de la République, comme vous le rappelez dans votre première question. Il faut l’enseigner dans l’esprit de cette hauteur. Un consensus sémantique n’est pas aujourd’hui possible, il y a trop de voix contraires, mais il revient à l’Etat et au ministre de l‘Education national de savoir ici imposer un cadre et du sens, autant que pour la grammaire qui a aussi ses différentes tendances. Il faut se donner les moyens de ses ambitions en termes de contenu, en quelque sorte.
Que faudrait-il retenir ainsi d’essentiel relativement à la définition de la laïcité qui serait bon pour l’école laïque ?
Tout d’abord, que la laïcité n’est pas une conviction à côté des autres, mais que c’est son principe qui les autorise toutes. Qu’elle est la traduction dans les rapports entre les individus du principe d’égalité porté au-dessus des différences. Que pour autant, il ne s’agit pas de les nier ou de les mépriser, mais que l’égalité des droits de l’individu portée au-dessus des différences les protège toutes contre l’hégémonie de l’une sur les autres. Le fait que, ainsi, la laïcité permet aux différences de coexister pacifiquement en facilitant le mélange des populations. Que ce dont il est question avec elle, c’est de garantir le caractère inaliénables à aucun intérêt particulier ou groupe d’influence les libertés de l’individu, droit de croire ou de ne pas croire inclus. Ce qu’il faudrait faire passer comme message finalement aux élèves dans leur diversité, c’est que la laïcité favorise une forme unique de vivre ensemble, sans être séparés par culture ou religion tout en étant garantis par la loi contre toute discrimination, sans conflits majeurs, sans guerre civile. Que c’est donc un bien commun précieux.
Effectivement, l’école est au cœur des enjeux de la laïcité parce que c’est le lieu de diffusion des savoirs et de la formation du citoyen, le lieu d’apprentissage du libre examen de soi, de la pensée critique. C’est le lieu de l’apprentissage, de quelque horizon que l’on soit d’une histoire commune, passée et à venir, qui est à construire avec tous. Espérons que ce soit cet esprit de concorde, sans accommodements déraisonnables ni recul sur les principes, que cultive cette morale laïque à venir dans les établissements scolaires, que cette Charte de la laïcité serve à mettre en perspective."
Lire "Laïcité à l’école : la charte Peillon ne réglera pas le fond du problème".
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