Revue de presse

G. Chevrier : Histoire de l’esclavage, "pour conjurer la repentance, retournons à l’idéal républicain !" (marianne.net , 13 mai 21)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 14 mai 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’anniversaire de la loi Taubira du 21 mai 2001 définissant la traite et l’esclavage comme « crime contre l’humanité », est l’occasion d’un battage médiatique en faveur de la repentance. Si « on ne peut réparer le passé, on peut réparer le présent », nous dit-on. On met en lien direct avec l’esclavage l’accusation de discriminations massives en France, dans le sillage de l’affaire George Floyd, qu’il faudrait de cette façon corriger. L’ancienne ministre de la Justice, à l’origine de la loi, est venue y mêler sa voix, en affirmant que les effets de l’esclavage restent « pesants » en France.

De quoi parle-t-on ? Il se trouve que notre pays est une république, qui n’a jamais toléré l’esclavage. Elle l’a aboli très tôt, en 1794, pour la première fois dans le monde, par la volonté de Robespierre inspiré par les principes de 1 789. En effet, le révolutionnaire intervient à l’Assemblée Constituante du 24 septembre 1791, sur « les droits politiques des hommes de couleur » en tirant les conséquences de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. L’abolition de l’esclavage interviendra trois ans plus tard avec la loi du 16 pluviôse an II (4 février 1794).

LA RÉPUBLIQUE N’EST PAS COUPABLE

Elle a dû être confirmée en 1848, puisqu’entre-temps, l’esclavage avait été rétabli sous Napoléon. Rappelons que ce système n’exista que dans les colonies et possessions françaises, puisque depuis 1315, l’abolition du servage dans le domaine royal s’appliquait aussi à l’esclavage. Un tribunal de Bordeaux, en 1571, le confirma, par l’affranchissement d’esclaves qui étaient passés par l’Hexagone par l’entremise de négriers.

Des infractions à ce principe eurent lieu du fait de l’aristocratie et des possédants, à quoi s’opposèrent au nom de cette tradition de liberté des tribunaux et le Parlement de Paris, avec plus ou moins de succès. Bien sûr, le Code noir de Colbert a entaché cette évolution, légitimant l’asservissement de l’outre-mer. C’est précisément à ces atermoiements et incohérences que la Première République (1792) mit fin.

On voit donc mal dans ces conditions comment des Français nourris à la culture de cette république égalitaire depuis plusieurs siècles, aux principes énoncés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pourraient bien être les héritiers d’on ne sait quel racisme lié aux anciens rapports de dominations propres à l’esclavage. Si on pense à la petite paysannerie saignée à blanc du XIXe siècle et à la classe ouvrière surexploitée de la Révolution industrielle, avec ses enfants de cinq ans descendant dans les mines qu’on appelait les « esclaves blancs », que peut bien avoir en commun avec cela le peuple de France ?

LA FRANCE N’EST PAS LES ÉTATS-UNIS

Qu’avons-nous donc à voir avec l’affaire George Floyd et les États-unis, pays ethno-racial, qui a fondé son économie pendant un temps certain sur l’esclavage, qui a pratiqué dans son prolongement la ségrégation raciale et le séparatisme, reconnaissant bien tardivement aux personnes noires leurs droits civiques. Et ce ne sont pas certains contrôles dits « au faciès » qui peuvent venir le contredire, au regard d’un État qui applique le principe des mêmes lois pour tous, marquant en profondeur l’organisation sociale.

La France, pendant que d’autres pratiquaient un racisme institutionnalisé, se donnait des représentants de couleur, tels Jean-Baptiste Belley, un révolutionnaire français, premier député français noir en 1793, représentant le département du Nord de la colonie française de Saint-Domingue à la Convention nationale. Mais aussi des ministres comme Severiano de Heredia, afro-cubain naturalisé français en 1870, qui préside le Conseil de Paris entre 1879 et 1880 et est ministre des Travaux publics sous le gouvernement Maurice Rouvier, durant six mois, en 1887. C’est un schéma d’ensemble que la République a modifié, qui a toujours besoin de temps, tel que l’impose pour toute transformation sociale l’Histoire.

On vient d’apprendre qu’une banque de données permet à présent à partir d’un nom de rechercher qui a été propriétaire d’esclaves et indemnisé à ce titre au moment de l’abolition de 1848. On apprend ainsi, ô surprise, que ces propriétaires, loin d’être tous blancs, étaient aussi noirs. D’ailleurs, quel est ce « nous » des Blancs qui devraient s’excuser ? Quel est le sens donné à cette volonté de culpabiliser, alors que depuis 1848, il y a 170 ans, les Français sont le fruit d’un large brassage de tous les horizons ? Assimiler la France à une communauté de Blancs disposant de privilèges hérités de l’esclavage, c’est de l’essentialisation, c’est une imposture devant l’Histoire.

COUPLES MIXTES

On feint d’ignorer que la France est une république dont le droit est fondé sur le principe d’égalité, conquête qui a justement permis de faire de tous, quelles que soient les différences, des individus de droit. La République ne reconnaît ainsi aucune communauté qui se mettrait entre l’individu et ses droits. Dès l’article premier de la Ve République, le principe en est affirmé avec son caractère laïque.

Par-là, on a, au contraire de l’idée de discrimination, favorisé le mélange des populations, pour nous mettre à l’avant-garde : 14 % de couples mixtes Français-étrangers se marient par an en France continentale, 27 % si on compte les unions des Français à l’étranger, selon l’Ined et le ministère de l’Intérieur. C’est plus qu’en Allemagne, deux fois plus qu’en Italie ou en Espagne, et un tiers de plus qu’au Royaume-Uni. Sur 5 millions de couples mixtes aux États-Unis, on ne compte que 7,9 % de couples entre Blancs et Noirs.

On a, en fondant notre société sur le principe d’égalité des droits, cassé la logique de division qui était celle de l’esclavage, mais aussi programmé la fin d’une autre forme de domination, le colonialisme. Les principes républicains eux-mêmes, de liberté, d’égalité et de fraternité, d’une certaine façon ne le toléraient pas. Même s’il a aussi fallu pour cela des combats portés par un puissant mouvement révolutionnaire français, à la fois égalitaire et anticolonial, antiraciste, qui a eu ses martyrs, comme au métro Charonne. Le présent n’a rien à réparer de ce passé, par le fait d’une République qui a donné les mêmes droits à tous, droits politiques, civils, économiques et sociaux, mais qu’il faut pousser plus loin.

BONNE PLACE DANS LES MANUELS SCOLAIRES

Contrairement à ce qui est parfois affirmé, on trouve en bonne place l’esclavage dans les livres scolaires, et bien des recherches universitaires y sont consacrées qui doivent continuer, et nombre d’ouvrages. L’histoire n’est pas linéaire, où l’homme se confronte à lui-même, à travers l’expérience collective qu’il fait. Il a ainsi, à travers l’abolition de l’esclavage et la fin de la colonisation, manifesté une prise de conscience, celle de contradictions nées de son développement, qu’il a su dépasser. Celle qu’il n’existe qu’une seule espèce humaine, dénonçant toute idée de hiérarchie des races, de portée universelle. C’est cet acquis qu’il faut défendre, en entretenant cette prise de conscience, pour que jamais on ne reproduise l’esclavage !

La repentance a dans ses bagages une demande de réparation, autrement dit des indemnisations à des descendants d’esclaves, ce serait cela réparer le passé dans le présent. Faudrait-il encore prouver qu’il existe des discriminations massives les touchant, qui en seraient victimes en tant que telles. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), très sensible sur le sujet, n’en fait pas moins le constat que l’indice de tolérance des Français à l’égard des étrangers n’a jamais été aussi bon.

CONTRE LE RETOUR DES TRIBUS

Quant au Défenseur des droits, même si, dans le rapport qui a précédé son remplacement, il a cédé à l’influence d’un courant victimaire qui pèse sur les débats, à partir des chiffres qu’il présente, on ne peut que constater la faiblesse du nombre de réclamations au titre de l’origine ou de la religion : quelques milliers pour 67 millions d’habitants. Et ce ne sont pas les 6 100 affaires plaidées par an sur le sujet devant les tribunaux français qui peuvent justifier une quelconque généralisation. Toute discrimination est une discrimination de trop, et nous avons l’arsenal judiciaire nécessaire pour les combattre, et agir pour sensibiliser contre celles-ci. Mais pour amener à plus d’égalité, pas pour justifier des séparations.

Les mêmes qui militent pour la repentance proposent le retour des tribus et le multiculturalisme, assignant les individus selon leurs différences supposées à des communautés, chacun dans sa case, un modèle de fragmentation sociale. On connaît ce type de système, des communautés derrière les murs desquels les droits et libertés des individus s’effacent au nom de la tradition ou de la religion, de l’intérêt du groupe, avec des chefs de clan ou religieux qui se substituent au libre choix de la personne.

RACISME À L’ENVERS

Ce serait ça le progrès ? Sans compter encore avec une discrimination positive qui, non seulement, divise les individus en groupes concurrents de droits en supprimant l’égalité, mais fait que ceux qui en bénéficient ne savent jamais s’ils ont réussi par leur mérite et leur talent, ou par cet artifice. C’est ainsi reproduire à l’envers le racisme, en en maintenant les formes discriminatoires, qui font qu’un individu qui en bénéficie aura toujours ce sentiment d’infériorité lié à des rapports de domination raciaux qu’on dit vouloir combattre. Et que resterait-il des forces sociales d’une telle division ? Ce serait, en fait, une terrible régression.

Les revendications identitaires frappent à la porte d’une société en mal de projet politique, de savoir rassembler l’ensemble des Français autour de l’idée de progrès confondue avec la République, avec l’émancipation, provoquant une grave crise de notre démocratie. Il existe bien au-delà des généralisations sur les discriminations des inégalités sociales à combattre bien réelles, et si on n’avance pas, on recule, ce qui conduit à ces formes de replis.

On voit combien la pensée indigéniste et décoloniale tire son succès de l’évolution actuelle. Tout indique que la réponse à ces dérives tient à redonner à l’idéal républicain toute sa place, et au peuple son caractère souverain. L’égalité offre la liberté à chacun d’écrire avec tous le destin commun, acquis le plus précieux de cette histoire si disputée, à transformer. C’est sans doute l’immense défi qui est à relever pour vaincre ces divisions, mais aussi le péril des extrêmes."

Lire "Histoire de l’esclavage : "Pour conjurer la repentance, retournons à l’idéal républicain !""


Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Esclavage et Quel niveau d’intolérance en France ? (note du CLR).


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