Revue de presse

G. Biard : De réactionnaires, les censeurs sont devenus « progressistes » (Charlie Hebdo, 18 nov. 20)

Gérard Biard, rédacteur en chef de "Charlie Hebdo". 21 novembre 2020

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Il y a cinquante ans, acheter et lire L’Hebdo Hara-Kiri puis Charlie Hebdo, c’était dire « merde » à la France des notaires, des pharmaciens et de l’église au milieu du village. Ceux qui voulaient voir ce journal disparaître agissaient au nom du bon goût, de la ­décence, de la morale, du respect et, bien enten­du, de la protection de l’enfance et de la jeunesse. Ils ­disaient combattre la vulgarité et la perversion, mais personne n’était dupe. Ils incarnaient une société grise et rassie qui avait fait son temps, de plus en plus bousculée par une jeunesse, justement, qui ne voulait plus qu’on la protège, mais qu’on la laisse vivre.

Cinquante ans plus tard, les notaires et les pharmaciens sont encore là. Plus que jamais. Dans l’espoir un peu vain et pathétique de n’être pas reconnus, ils ont mis un faux nez, ont déserté leurs études et leurs officines, et ont essaimé à l’université, dans les associations de défense des droits humains, dans les mouvements politiques et les journaux de gauche, dans les syndicats étudiants. Ils sont allés là où étaient leurs adversaires d’hier. Sortes de coucous idéologiques, ils ont pondu dans tous les nids, jusqu’aux plus improbables. De réactionnaires, ils sont devenus « progressistes ». Disent-ils. Car leurs arguments sont toujours les mêmes. C’est d’ailleurs ce qui est le plus frappant. Dans leur tête mijote toujours la même bouillie rance, qui suinte le mépris de classe et l’affichage obsessionnel d’une « pureté » d’apparences. Plus que jamais, ils réclament l’église au milieu du village. Au milieu du salon, au milieu de la chambre à coucher, au milieu des crânes.

Ceux qui aujourd’hui veulent tuer Charlie, au propre comme au figuré, n’ont pas forcément la même garde-robe que ceux qui voulaient, hier, l’interdire. Mais ils agitent les mêmes crécelles, car la censure n’en a pas tant que ça à sa disposition. Il est toujours question d’ordre, de morale, de respect, de pudeur, de sacré, de protection des plus faibles – même si les enfants qu’ils prétendent désormais vouloir mettre à l’abri des turpitudes ont du poil au menton depuis longtemps et sont des citoyens adultes et responsables.

Ces dernières semaines, dopés par l’actualité, ils ont regagné en vigueur et en assurance, et leurs propos se sont faits de plus en plus limpides et agressifs. À leurs yeux, le problème auquel sont confrontées nos sociétés, ce n’est pas le terrorisme islamiste, qui frappe partout sur la planète – depuis le 7 janvier 2015, plus de 300 attentats islamistes ont été commis, la majorité dans des pays musulmans… –, ni le totalitarisme religieux, qui soumet à l’arbitraire le plus total des centaines de millions d’individus à travers le monde et rêve de conquérir des parts de marché supplémentaires. Le problème, ce sont les caricatures vulgaires, choquantes, pas drôles, mal dessinées, provocatrices de Charlie Hebdo, ma brave dame. Elles sont source de divisions, sont un outrage au bon goût et aux manières élégantes, et, péché suprême, elles heurtent les consciences, violent le sacré qui repose au cœur de chaque homme. Car les notaires et les pharmaciens sont aussi critiques d’art et médecins des âmes.

Mais ils se sont démasqués. Leurs défroques de gardiens du temple progressiste ne trompent plus personne. Les « valeurs » qu’ils défendent n’ont rien à voir avec celles dont ils se gargarisent. Sorti de leurs bouches, le mot « liberté » sent le vieux sac-poubelle oublié. Ils s’imaginent, ou voudraient nous faire croire, qu’ils sont les héritiers des dresseurs de barricades étudiantes, alors qu’ils ne sont en réalité que les rejetons dégénérés des notables réactionnaires qui défilaient le 30 mai 1968 sur les Champs-Élysées pour appeler à la fin de la « chienlit » et au retour de l’ordre. Minables jusqu’au bout, ils n’ont pas choisi le de Gaulle de la bonne époque."

Lire "Notaires et pharmaciens d’aujourd’hui".


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