Revue de presse

"Francis Kalifat, président et meilleur ennemi du Crif" (marianne.net , 6 av. 18)

13 avril 2018

"En voulant exclure Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen de la marche blanche contre l’antisémitisme, le patron du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a un peu plus radicalisé la ligne qu’il défend depuis des années. Au risque de brouiller son message.

Francis Kalifat a une manière bien à lui de dissiper des malentendus : là où d’autres apaisent, lui tranche dans le vif. « Il semble qu’un faux procès soit fait au Crif quant à la venue de Jean-Luc Mélenchon au rassemblement en mémoire de Mireille Knoll (octogénaire juive assassinée, ndlr), pose-t-il le 27 mars. Alors soyons clairs : ni Jean-Luc Mélenchon et les Insoumis, ni Marine Le Pen et le FN ne seront les bienvenus demain. »

La cérémonie était censée incarner l’unité nationale contre la haine envers les juifs. Finalement, on en retiendra aussi le tumulte de l’exfiltration forcée de Marine Le Pen, huée par une partie de la foule, et de Jean-Luc Mélenchon, pris à partie par les nervis de la Ligue de défense juive (LDJ)…. Des conséquences directes de la sortie du patron du Crif. Nouveauté : de Libération au gouvernement, et jusqu’au fils de Mireille Knoll, la prise de position de Francis Kalifat a été unanimement condamnée.

Pourtant, pour ceux qui le connaissent, elle est tout sauf une surprise. « Francis a mis en pratique ce qu’il fait depuis des années », résume l’ancien député PS Jérôme Guedj, qui connaît bien Kalifat. Intronisé à la tête de la confédération d’associations juives en mai 2016, le nouveau président avait en effet annoncé la couleur : son mandat serait « celui de la tolérance zéro vis-à-vis de toutes les formes de haine anti-juive, des plus visibles aux plus sournoises, comme celle portée par l’antisionisme ».S’inscrivant ainsi dans la ligne portée par le Crif depuis 2001 : défense inconditionnelle du gouvernement israélien, et conception plutôt extensive de l’antisémitisme.

Ces idées, Francis Kalifat les a depuis longtemps : il a milité dans sa jeunesse au Betar, un mouvement sioniste radical qui promeut l’autodéfense. C’est « un homme de droite qui s’est notabilisé », résume le politologue français Jean-Yves Camus. « Francis est avant tout un militant, qui met le combat politique et moral au cœur de sa démarche », le défend Yonathan Arfi, vice-président du Crif. Traduction : si le Crif a vocation à représenter les Français de confession juive dans les institutions, mais aussi à être en première ligne pour défendre ce qui est perçu comme leurs intérêts, Francis Kalifat penche largement pour le deuxième volet de sa mission. Qui consiste en partie, d’après lui, à mettre sur le même plan l’extrême droite et la gauche radicale, accusée de « complaisances très fortes » avec des mouvements propalestiniens camouflant leur antisémitisme derrière un antisionisme extrême.

Une position en partie partagée par Sacha Ghozlan, le plus modéré président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) : « La haine d’Israël est devenu un prétexte pour s’en prendre aux juifs. Peut-on accepter qu’on souhaite la mort d’un pays, sa destruction, sous couvert de la critique politique ? » Yonathan Arfi soutient cette analyse, en visant notamment la participation de membres de la France insoumise à la campagne « BDS » (que Francis Kalifat veut faire interdire) contre Israël, ou encore les « complaisances très fortes de l’extrême gauche envers les Indigènes de la République ».

Mais entre la remise en question de l’Etat d’Israël et la critique de son gouvernement, il y a un abîme qui paraît parfois échapper à Francis Kalifat et au Crif. Jérôme Guedj expose la difficulté : « Oui, une partie du discours ‘antisioniste’ n’est qu’un cache-sexe pour l’antisémitisme. Mais toute critique de la politique d’Israël n’est pas de l’antisémitisme ! » C’est là tout le problème : la doctrine Kalifat consiste à défendre inconditionnellement l’ultra Benjamin Netanyahou, Premier ministre nationaliste d’Israël, y compris quand il piétine allègrement les règles du droit international. « On entend parler systématiquement au Crif d’un ‘attachement indéfectible à l’Etat d’Israël’, comme quand le PCF défendait de manière ‘indéfectible’ l’URSS, sans aucun recul, sans aucune nuance ! », tempête Jacques Lewkowicz, président de l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE), une association de gauche qui a claqué la porte du CRIF en 2009.

Francis Kalifat soutient ainsi avec ferveur les positions les plus nationalistes de Netanyahou, parmi lesquelles la désignation de Jérusalem comme capitale d’Israël. Les exactions de Tsahal contre des Palestiniens, la politique d’expansion agressive dans les colonies ? Il n’en touche pas un mot. Antisémitisme, antisionisme de plus en plus divers et difficile à définir, critique de la politique de Netanyahou : tout se mélange et se confond dans la rhétorique militante de Francis Kalifat et du Crif. Jean-Luc Mélenchon, cible régulière, a résumé la chose à sa manière sur Europe 1 : « Dès que vous dites quelque chose qui ne leur plaît pas, pouf ! Vous voilà repeint en antisémite ». Jérôme Guedj, plus mesuré mais pas moins tranchant : « Dans le rapport à Israël, le Crif est devenu un soutien à la politique menée quelle qu’elle soit, alors qu’il devrait plutôt être un soutien de l’Etat d’Israël. »

L’institution a en partie épousé les craintes des Français de confession juive, depuis le regain de fièvre antisémite des années 2000. Représentant moins de 1% de la population, les juifs concentrent 40% des actes de haine. Dans les banlieues, un « nouvel antisémitisme » se fait jour, et plusieurs meurtres tragiques ont avivé les craintes. Un phénomène sur lequel la gauche a longtemps fermé les yeux. Ouvrant ainsi la porte à une crispation, puis à une droitisation du Crif « épuré de l’ensemble de ceux qui représentaient les juifs de gauche », d’après l’historien Dominique Vidal.

L’évolution a également été démographique : alors que les ashkénazes ont été décimés par le génocide, la guerre d’Algérie a vu arriver en France de nombreux juifs sépharades, décrits comme « plus religieux et plus conservateurs » par Claudie Bassi-Lederman, présidente déléguée de l’UJRE. Francis Kalifat, deuxième président sépharade du Crif, en est le symbole. A son intronisation, ce fils d’inspecteur de police né à Oran a d’ailleurs été considéré par certains dédaigneux comme un « petit juif du Sentier » ; un « vendeur de chaussures » (il dirige une entreprise de cordonnerie). Aujourd’hui, il incarne le tournant droitier du Crif.

Les coulisses du message anti-Mélenchon avant la marche blanche, racontées par le Canard enchaîné, sont révélatrices des nouveaux manœuvriers du Crif : alors qu’il avait d’abord publié un communiqué s’opposant à la présence de la seule Marine Le Pen, Francis Kalifat aurait été pressé par deux proches d’adresser également un signe hostile aux Insoumis : Meyer Habib, député UDI connu pour ses positions ultrasionistes, et Gilles-William Goldnadel, avocat collaborant à Valeurs actuelles et militant pour un rapprochement entre la communauté juive et le Front national. Une galaxie très conservatrice dénoncée avec virulence par Jean-Luc Mélenchon, qui a parlé dans son blog de « groupuscule ethnique (…) se réclamant des intérêts d’un Etat étranger » pour désigner le Crif, Francis Kalifat étant lui qualifié de « chef communautaire ».

Il n’en a pas toujours été ainsi. Jadis, le Crif était un espace de dialogue plutôt modéré sous la présidence de Théo Klein. Mais aujourd’hui, à la tête de la confédération, Francis Kalifat multiplie les oukases, faisant du repas annuel du Crif un « tribunal dînatoire » dénoncé par Alain Finkielkraut. « Le Crif porte des contradictions intenables, regrette Jérôme Guedj. Il se lamente que la communauté juive soit seule à dénoncer la violence dont elle est la cible, mais décerne des brevets de bons et mauvais lutteurs contre l’antisémitisme… » C’est en effet un risque majeur pointé par de nombreux observateurs inquiets : que le Crif, conseil représentatif, ne finisse par porter la voix que d’une minorité très revendicative. « La plupart des juifs que je connais, et pas forcément de gauche, ne se sentent pas concernés par la politique du Crif et trouvent regrettable le fait que le Crif parle systématiquement d’Israël », critique Claudie Bassi-Lederman de l’UJRE ; Dominique Vidal évoque un « Crif replié sur la droite et l’extrême droite juive », quand Jérôme Guedj regrette que « la partie militante en première ligne ne traduise plus les cinquante nuances du judaïsme français. »

Jusqu’à brouiller un message, pourtant nécessaire, exprimé avec conviction par le vice-président du Crif Yonathan Arfi : « Les juifs savent ce qu’ils doivent à la République, l’engagement pour les juifs de France est indissociable de l’engagement républicain. » Cet universalisme, on a souvent du mal à le déceler dans les prises de position furibardes de Francis Kalifat. Au point de nourrir un peu plus les inexcusables penchants des antisémites qui ne disent pas leur nom ? « Le Crif n’est évidemment pas à l’origine de l’antisémitisme, mais en ayant une attitude aussi fermée, il ne facilite pas les choses dans la lutte contre l’antisémitisme », regrette Jacques Lewkowicz. Vouloir défendre les juifs à n’importe quel prix, quitte à fournir le meilleur carburant à leurs pires ennemis : voilà tout le paradoxe de Francis Kalifat."

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