Revue de presse

"Faut-il renoncer à l’écriture inclusive ?" (leparisien.fr , 25 août 20)

25 août 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La chaîne de librairies Cultura a déclenché une nouvelle polémique en promouvant cette pratique qui bouscule la graphie traditionnelle au nom de l’égalité femme-homme. Nous avons interrogé Isabelle Philippe-Meurville et Alain Bentolila pour en débattre.

Par Sandrine Tran

L’écriture inclusive, sujet hautement polémique, est de nouveau sous le feu des projecteurs. Cette fois, c’est la chaîne de librairies Cultura qui a déclenché un pataquès pour l’avoir promue dans un Tweet. L’enseigne a répliqué à une cliente qui se plaignait d’avoir reçu un e-mail rédigé sous cette forme : « L’écriture inclusive est née de la volonté de faire changer les mentalités sur l’égalité homme/femme par le langage. Si cela est un souci pour vous, nous ne vous retenons pas. » Tollé sur les réseaux sociaux et appel au boycott : Cultura a vite supprimé son message.

Sous le terme « écriture inclusive », se niche en réalité un ensemble de règles visant à combattre les stéréotypes sexistes, en remaniant l’orthographe. Elles peuvent se traduire de différentes manières mais la plus connue reste le point médian, « citoyen.e.s. », à lire « citoyens et citoyennes » à l’oral. Le mois dernier, la nouvelle municipalité EELV de Lyon a, elle aussi, fait des vagues en l’adoptant dans ses communications.

Dans la foulée, « au nom de la défense de la langue française », neuf députés, en majorité du Rassemblement national, ont déposé une proposition de loi visant à interdire son usage « par toute personne morale publique ou privée bénéficiant d’une subvention publique ». Selon ces parlementaires, si l’égalité entre les femmes et les hommes est « un objectif qui doit être défendu », ce n’est pas par l’écriture inclusive qu’il sera atteint.

Plus surprenant, une association pour la prise en compte du handicap a, elle, saisi l’Association des maires de France et la nouvelle Défenseure des droits, jugeant cette pratique « discriminante » car inadaptée aux logiciels de lecture de texte utilisés par les personnes malvoyantes.

Faut-il renoncer à l’écriture inclusive ? En 2017, une circulaire signée par le Premier ministre Edouard Philippe recommandait de ne pas l’utiliser dans le Journal officiel. La même année, l’Académie française s’était également penchée sur le sujet. Elle avait alors qualifié la pratique de « péril mortel » pour la langue française. Exagéré ?

Isabelle Philippe-Meurville, formatrice en écriture inclusive dans les entreprises et Alain Bentolila, linguiste, nous livrent leur analyse.

« Il faut rendre obligatoire l’écriture inclusive »

Isabelle Philippe-Meurville, formatrice en écriture inclusive


L’écriture inclusive se développe en France. Est-ce une bonne chose ?

ISABELLE PHILIPPE-MEURVILLE. Oui, car il n’est plus possible de garder la règle du masculin l’emporte sur le féminin aujourd’hui. Cette règle a été établie au XVIIe siècle sous prétexte que le masculin est plus noble que le féminin. Avec la prise de conscience féministe, ce n’est plus possible d’entendre cela. Pour moi, le seul maître de la langue est l’usage. Si les gens s’emparent de cette pratique, on l’utilisera. Ce n’est ni l’Académie française, ni Edouard Philippe ou Marine Le Pen qui doivent nous dire ce qu’il faut faire.

Est-ce que cette pratique initialement militante doit pour autant être généralisée dans la fonction publique ?

Oui, je pense qu’il faut rendre obligatoire l’écriture inclusive parce que la République a un devoir d’équité qui suppose de désigner l’ensemble des citoyens et citoyennes. Il est important de donner une égale visibilité aux femmes et aux hommes et faire attention, quand on porte la voix publique, de s’adresser à tout le monde. On entend souvent que le genre masculin est neutre mais ce n’est jamais vrai. Le masculin ne désigne jamais les femmes et c’est sur cela qu’il faut travailler.

Si la République doit s’adresser à tout le monde, n’y a-t-il pas un paradoxe à ce que des personnes en situation de handicap soient désavantagées par cette pratique comme certaines associations le dénoncent ?

Pour les associations qui dénoncent à raison la gêne à l’égard de certains handicaps, il faut faire comme le reste, c’est-à-dire adapter les logiciels de lecture vocale car c’est souvent ce qui pose problème. Les logiciels ont bien appris à décrypter « M. » comme « Monsieur », « Mme » comme « Madame » ou « Dr » comme « Docteur ». Ce n’est pas un problème mais cela demande de l’adaptation effectivement. La version la plus connue de l’écriture inclusive est le point médian.

Ne vous semble-t-il pas compliqué à mettre en place ?

Le point médian est une abréviation qui reste la solution la plus rapide pour les personnes qui veulent faire un effort pour la visibilité des femmes. Personnellement, j’applique la rédaction épicène depuis plus de vingt ans sans utiliser le point médian.

Qu’est-ce que la rédaction épicène ?

Sous écriture inclusive, les gens ne voient que le point médian. Les termes dits épicènes sont neutres. Par exemple, au lieu de parler des « Français » pour désigner les personnes vivant en France, on peut parler du « peuple français ». Il n’y a pas de connotation de genre ou de sexe dans cette formule. On ne présuppose pas ici de l’organe reproducteur de la personne.

« L’écriture inclusive est un faux combat »

Alain Bentolila, linguiste

Voyez-vous d’un bon œil l’usage de plus en plus fréquent de l’écriture inclusive ?

ALAIN BENTOLILA. Non. Les raisons de cet usage sont purement idéologiques. Ce ne sont pas des raisons sémiologiques car rajouter un point médian n’apporte rien au sens que l’on va donner aux phrases. Cela n’a aucun intérêt et vous ajoutez même des difficultés d’écriture à une orthographe française qui n’en a pas besoin.

Faut-il interdire son usage dans ce cas ?

Cela m’embête de parler d’interdiction car ce n’est pas sur le point législatif que porte ma réflexion, mais je suis clairement contre l’écriture inclusive.

Pourtant, les partisans de l’écriture inclusive défendent une meilleure représentation des femmes.

Je pense que c’est un faux débat et qu’ils se trompent de combat. Choisir le terrain linguistique pour mener la bataille nécessaire contre les discriminations sexistes, c’est faire injure à toutes celles qui sont sous-payées, qui supportent l’essentiel du poids de l’éducation des enfants et qui sont si mal représentées dans les lieux de pouvoir et de prestige. On se sert de modifications faciles et visibles au lieu d’employer toutes nos forces pour faire en sorte que l’inacceptable s’arrête.

Pensez-vous que ce combat est cosmétique ?

Oui, absolument. Après, qu’il y ait des gens qui, par souci de se faire bien voir, d’être du côté de la bien-pensance de notre temps, mettent en avant ce type d’écriture pour faire croire qu’ils défendent la cause des femmes, cela ne me regarde pas. En revanche, je pense que ce sont des imbéciles qui confondent le genre et le sexe.

C’est-à-dire ?

Le genre dans une phrase est arbitraire alors que le sexe est une affaire de réalité anthropologique et sociale. Le genre permet de savoir de quoi on parle dans une phrase. Prenez par exemple la mort de l’homme que j’ai toujours désiré. Dans cette formulation, je sais que c’est l’homme qui est désiré. Si je remplace par désirée, alors la phrase change de sens. Cette marque du « e » est arbitraire et permet de savoir de quoi on parle. Je ne veux pas qu’on touche à cette possibilité que nous donne le français de distinguer de façon fine, intelligente et élégante les mots. Le masculin n’a rien à voir avec les hommes, le féminin n’a rien à voir avec le sexe féminin. Les marques de féminin et de masculin sont des marques arbitraires."

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Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Ecriture "inclusive" dans Langue française ; la rubrique Lyon (note du CLR).


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