Revue de presse

"Face à la « chasse aux sorcières », l’enseignement privé défend son modèle" (Le Figaro, 18 av. 24)

(Le Figaro, 18 av. 24) 18 avril 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"DÉCRYPTAGE - Rapport au vitriol de députés, injonction à la mixité sociale… Attaqués de toutes parts, les établissements sous contrat dénoncent un acharnement « détestable » et assurent « respecter le cadre ».

Par Caroline Beyer

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Lire "Attaquée par la gauche, l’école privée défend son modèle".

Quelle suite pour le rapport parlementaire Vannier-Weissberg qui, le 2 avril, a étrillé l’enseignement privé sous contrat, à commencer par l’enseignement catholique (95 % du sous-contrat) ? Fruit de l’étonnant attelage d’un député Insoumis et d’un autre de la majorité présidentielle (Renaissance), ce document à charge de 175 pages est allé jusqu’à dénoncer un système opaque et « hors de contrôle ». De « l’utilisation de fonds publics à d’autres fins que celles prévues » à « l’exploitation possible des niches fiscales », les rapporteurs évoquent largement des « possibilités » de « dérives » et de « détournements », « sans qu’il ne soit possible de déterminer s’il s’agit de fraudes ou de pratiques ponctuelles plus systématiques », écrivent-ils.

Une série de « possibles » qui mettent Philippe Delorme, le secrétaire général de l’enseignement catholique, hors de lui. « Ce n’est pas honnête, assène-t-il. L’objectif est-il de faire naître un soupçon généralisé à notre égard et de jeter l’opprobre sur l’ensemble de nos établissements ? C’est détestable », poursuit-il, évoquant un rapport « qui part de certains dysfonctionnements réels pour généraliser ». Pour Bruno Poucet, historien de l’éducation spécialiste de l’enseignement privé en France, « l’effet de loupe » est indéniable. « Ce rapport ne nous en dit pas plus sur le nombre d’établissements qui ne respecteraient pas le contrat avec l’État, explique-t-il. Au lieu d’organiser une chasse aux sorcières, il aurait fallu des investigations plus poussées. La plupart des établissements sous contrat connaissent le cadre et le respectent », ajoute-t-il.

« 10 milliards, 11 milliards, 12 milliards ? »
Deux mois après la polémique sur la scolarisation des enfants de la ministre Amélie Oudéa-Castéra dans le privé et la révélation par Mediapart d’un rapport de l’inspection pointant des « dérives » à Stanislas, fleuron parisien de l’enseignement catholique, le rapport Vannier-Weissberg est tombé à point nommé. Après sa publication, les syndicats enseignants se sont engouffrés dans la brèche. Pour l’Unsa-éducation, ce rapport a « le mérite de relancer un débat sur ce “pognon de dingue” alloué à des établissements d’enseignement privé, dont le contrat n’oblige à aucune contrepartie de mixité sociale ou d’inclusion scolaire ».

Quant à Nicole Belloubet, ministre de l’Éducation et personnalité de gauche, elle a affirmé qu’il fallait « consolider » les données concernant l’argent public destiné aux établissements sous contrat. Le service statistique de la Rue de Grenelle (Depp) fait état de 10,4 milliards d’euros (8,5 milliards de l’État et 1,9 milliard des collectivités) perçus en 2022. Mais pour les rapporteurs, cette dépense est « probablement sous-estimée », en raison notamment des subventions facultatives versées par les collectivités, variables selon leur coloration politique. « 10 milliards, 11 milliards, 12 milliards ? Aucune administration n’a été en mesure de nous indiquer le montant de cette dépense publique », n’a cessé de répéter le député LFI du Val-d’Oise Paul Vannier. « J’ai besoin de ce chiffre pour y voir clair, a affirmé Nicole Belloubet le 7 avril, sur Franceinfo. Je vais m’y atteler dans les prochaines semaines », promet-elle, estimant par ailleurs que « dans les grandes villes, la mixité n’est pas au rendez-vous ».

Les deux rapporteurs, qui s’accordent sur la moitié des 55 recommandations, appellent l’État à ses responsabilités, à travers davantage de contrôles, à la fois financiers, administratifs et pédagogiques. Mais l’Insoumis Paul Vannier va plus loin, en proposant des mesures coercitives. Au nom de la mixité sociale, il veut un « malus » qui diminuerait les dotations publiques pour les établissements très favorisés. Pour punir les établissements qui évincent ou ne réinscrivent pas leurs élèves, il propose une « pénalité financière » (de 10.000 euros par élève). Il veut aussi abroger la loi Falloux, de 1850, qui permet aux collectivités de verser aux établissements sous contrat une subvention facultative. Tout un programme, que l’agrégé de géographie, qui a rédigé le programme éducation de Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière présidentielle entend décliner à travers une future proposition de loi.

Un sujet qui ne passionne pas l’Hémicycle
« Il le fera certainement dans une niche parlementaire du groupe LFI, car je vois mal la majorité présidentielle s’associer à cela. J’ai d’ailleurs été très étonnée qu’elle se prête au jeu de ce rapport très politique, estime Annie Genevard, députée du Doubs et oratrice LR lors de l’examen du rapport en commission. Comment peut-on dire d’un système financé à 75 % par l’État qu’il est “hors de contrôle” ? Certains propos sont diffamants. Quand on parle de “détournements” ou de “boîtes noires”, on est dans le registre du délit. » Pour la députée LR, ce rapport « transpire le biais idéologique et la mauvaise foi » et a pour seul objectif « de discréditer l’enseignement privé et d’avoir sa peau ». Annie Genevard n’en est d’ailleurs nullement surprise.

« Chez les Insoumis, c’est un marronnier. Depuis le début de la mandature, j’ai entendu au moins une demi-douzaine de fois Alexis Corbière (député LFI, NDLR) s’en prendre à un financement “indu”, qui devrait revenir à l’école publique. » Pendant l’examen du rapport en commission, les rangs des députés Renaissance étaient clairsemés. Parmi les présents, beaucoup ont botté en touche. En sortant, l’un d’eux a balayé ce sujet potentiellement explosif, estimant que ce rapport « ne donnera rien ». Comble de l’hypocrisie. « La majorité va nous faire du “en même temps”, conclut Annie Genevard. Elle mettra de côté les mesures les plus urticantes et prônera un contrôle accru. »

Au-delà de la commission éducation, le sujet n’a pas passionné l’Hémicycle. Mais le 2 avril, une vingtaine d’enseignants du lycée musulman Averroès de Lille, dont le contrat avec l’État a été rompu en décembre, s’étaient réunis devant l’Assemblée pour déplorer le « deux poids, deux mesures ». Des termes justement empruntés au rapport Vannier-Weissberg, qui s’étonne que dans le cas de Stanislas, « aucune rupture de contrat » n’ait été « envisagée ». La presse, elle, s’est largement emparée du rapport. Interviewé début avril, Paul Vannier a estimé dans L’Humanité qu’il était « grave de distribuer de l’argent sans contrôle » et, dans Libération, que « le moment est venu de revoir le modèle ».

Vaine tentative d’agitation politique ou volonté de mettre à bas l’enseignement sous contrat, au prix de la « guerre scolaire » ? « C’est de l’ordre de la guérilla, pas de la guerre », estime l’historien de l’Éducation Claude Lelièvre. « Pour le député Vannier, il s’agit de mettre l’enseignement sous contrat sous condition, pas d’abroger la loi Debré. En cela, il est d’ailleurs critiqué sur sa gauche, où certains s’opposent à cette loi par principe », poursuit-il. En 1959, le législateur entend sortir par le haut de la guerre scolaire qui, depuis la Révolution, oppose la France catholique à la France laïque. Il s’agit aussi, et surtout, d’absorber l’important flux d’élèves lié à la démographie et la massification scolaire, de garantir la qualité de l’enseignement dans les établissements privés, et d’apporter une solution au problème récurrent de leur financement.

L’école publique « trop affaiblie »
Cadre des rapports entre l’État et l’enseignement privé, la loi Debré instaure un système de contrats avec les établissements qui le souhaitent. L’État subventionne - en rémunérant des enseignants -, en échange de quoi les établissements doivent suivre les mêmes programmes que l’enseignement public. De Gaulle impose la notion de « caractère propre », soit la reconnaissance d’un projet éducatif spécifique, qui s’applique à la vie scolaire, mais pas à l’enseignement.

Le député Paul Vannier se défend de vouloir abroger cette loi Debré, « dans l’immédiat », précise-t-il. « L’école publique est trop affaiblie pour accueillir 2 millions d’élèves supplémentaires », justifie-t-il, de manière paradoxale. Il a aussi en tête l’année 1984 qui, à gauche, a durablement douché l’espoir de toucher à l’équilibre existant. Alain Savary, ministre de l’Éducation de François Mitterrand, avait vu les défenseurs de l’école libre battre le pavé par dizaine de milliers contre son projet visant à intégrer les écoles privées à un « grand service public ». Depuis ce dernier grand épisode de la guerre scolaire, l’eau a coulé sous les ponts. « Par le passé, les opposants au privé sous contrat attaquaient sous l’angle du séparatisme idéologique. Aujourd’hui, ils invoquent la mixité et le séparatisme social », souligne Claude Lelièvre.

Argumentaire moins fort, car personne n’ignore que la ségrégation sociale est à l’œuvre, aussi, dans le public. « Les politiques savent que quiconque remettrait en question ce cadre aurait les trois quarts des Français contre lui », observe par ailleurs l’historien de l’éducation. « Les Français tiennent à l’existence des deux systèmes, public et privé. Il est plus facile de changer d’école que de changer l’école », ajoute-t-il, en référence à une donnée désormais bien connue : au cours de sa scolarité, un élève sur deux passe par le privé.

« Personne ne veut la guerre, mais dans ce cas, qu’on ne mette pas d’explosifs », lâche de son côté Philippe Delorme, le secrétaire général de l’enseignement catholique (SGEC). Il reconnaît « certains dysfonctionnements ». Ainsi, « la catéchèse n’a pas à être obligatoire », affirme-t-il. Le fait de ne pas réinscrire un élève dans un établissement, en fin de troisième ou en cours de cycle, est selon lui « scandaleux ». « Quelques établissements élitistes ont ce type de pratiques, que je regrette à titre personnel. Globalement, en cas d’exclusion, 90 % des élèves restent dans notre réseau », ajoute-t-il. Sur la question du financement, en revanche, il conteste toute « opacité ».

Rapport de confiance
« On ne cache pas des donateurs milliardaires qui nous financeraient de façon occulte », résume-t-il, précisant, au détour, qu’un élève du privé coûte deux fois moins cher au contribuable qu’un élève du public. Il se dit « à la disposition de la puissance publique pour les contrôles ». Il les « réclame » d’ailleurs. Tout précisant, avec fermeté : « Le contrôle, oui. Le flicage, non. » Il pense, au-delà des audits financiers, aux contrôles administratifs et pédagogiques. « Depuis quelques jours, il me remonte des établissements qu’une avalanche de contrôles a été déclenchée », rapporte-t-il.

Il est vrai que le 6 mars, la ministre de l’Éducation, Nicole Belloubet, interrogée au Sénat sur la question, avait annoncé que 60 emplois seraient affectés à ces contrôles. Comme la Cour des comptes l’avait déjà souligné en juin dernier, le rapport Vannier-Weissberg fait état de contrats d’association « parfois introuvables, toujours de pure forme, en outre relativement sommaires ». « Les archives des années 1960 montrent qu’après la loi Debré, les contrats étaient scrupuleusement rédigés. Le suivi administratif s’est ensuite relâché, car une relation de confiance s’est instaurée », explique l’historien de l’éducation Bruno Poucet. C’est précisément ce rapport de confiance que le rapport dénonce, pointant « un contrôle en pratique très lâche ».

Le contrat d’association avec l’État suppose à la fois le respect des programmes scolaires, l’accueil de tous et la liberté de conscience. « Il faudra que ceux qui nous contrôlent nous connaissent, ce qui n’est pas toujours le cas des inspecteurs. Il se trouve que certaines personnes ont une vision extrêmement restrictive de la liberté de conscience, ce qui peut donner lieu à des polémiques, prévient d’ores et déjà Philippe Delorme. Ce n’est pas parce que l’on prie devant quelqu’un qu’il y a atteinte à la liberté de conscience. Certains nous avaient reproché d’avoir organisé des temps de prières, après l’assassinat de Samuel Paty », raconte-t-il.

Mixité sociale
Mais comment l’État va-t-il assurer ces contrôles que beaucoup appellent de leurs vœux ? C’est la grande question. Le député Vannier a calculé qu’au rythme actuel des audits budgétaires menés, il faudrait 1500 ans pour contrôler la totalité des 7500 établissements sous contrat. « Il faudra des contrôleurs financiers et des inspecteurs pour l’ensemble des établissements, observe Bruno Poucet. Si l’on va au bout de la logique, cela va coûter beaucoup d’argent… On peut reprocher à ce rapport de ne pas l’avoir évalué. »

Sujet récurrent depuis un an et demi, l’enseignement catholique sous contrat est aussi appelé à contribuer davantage à la mixité sociale. Les deux députés proposent de conditionner l’attribution de moyens à des objectifs en la matière. Philippe Delorme, lui, affirme que les objectifs fixés dans le protocole signé en mai 2023 avec Pap Ndiaye, alors ministre de l’Éducation, seront « largement dépassés » d’ici trois ans. Mais précise que les quotas sont une ligne rouge à ne pas franchir. « Cela reviendrait à nous faire tomber dans la carte scolaire », explique-t-il, faisant valoir « le libre choix des familles ». « Au fond, on voudrait que l’école privée ait moins de sous et qu’elle ressemble à l’école publique », conclut-il."



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