Revue de presse

Entre Charlie Hebdo et Mélenchon, l’inévitable divorce (Le Figaro, 7 jan. 25)

(Le Figaro, 7 jan. 25) 7 janvier 2025

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"RÉCIT - En dix ans, le journal satirique et le chef des Insoumis se sont livrés à une violente guerre idéologique sur fond de rapport à la laïcité.

Par Pierre Lepelletier

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Lire "Entre Charlie et Mélenchon, un inévitable divorce révélateur des clivages à gauche".

Dire qu’ils se sont tant aimés. « Entre Charlie et Mélenchon, c’est une grande histoire d’amour qui a mal fini », résume Guillaume Lacroix, le président du Parti radical de gauche. Pendant des années, l’Insoumis a été un vaillant compagnon de route de la rédaction, partageant ses combats comme, parmi d’autres, la pétition lancée par le journal pour interdire le Front national en 1996. L’équipe de Charlie se reconnaissait dans ce ténor de gauche, « plus républicain que moi tu meurs », comme le rappellent ceux qui l’ont bien connu à l’époque.

Après le terrible attentat islamiste du 7 janvier 2015, les survivants se souviennent encore de sa voix tremblante lors de l’éloge funèbre à Charb, son « ami » rédacteur en chef tué par balle : « Tu as été assassiné par nos anciens, nos plus cruels, nos plus constants, nos plus bornés ennemis, les fanatiques religieux. » À l’époque, Jean-Luc Mélenchon appelait les Français à acheter massivement le journal, sorti une semaine après l’attaque, pour réaliser « un acte civique ».

Ce mardi 7 janvier 2025, le chef de LFI n’incite plus à se rendre dans les kiosques. En dix ans, une violente guerre idéologique a éclaté entre la direction de Charlie Hebdo et lui. La rédaction, qui l’épingle régulièrement à travers ses dessins, l’accuse d’avoir renoncé à son combat acharné pour la laïcité à des fins électorales. « Entre 2015 et aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon dit exactement le contraire de ce qu’il disait sur la laïcité », dénonce Marika Bret, DRH du journal lors de l’attentat.

« Islamophobie »

La rupture date réellement de 2017 avec l’élection de Danièle Obono, députée LFI de Paris. Deux ans plus tôt, l’Insoumise avait rédigé un texte dans lequel elle déclarait avoir, certes, pleuré les « morts » mais pas le journal et ses caricatures qu’elle considérait « racistes ». « Ce n’est pas mon avis, mais je respecte le sien. Je comprends ce qu’elle veut dire. Je ne ferai pas la police de la pensée », avait répliqué Jean-Luc Mélenchon face au journaliste de Charlie Philippe Val en novembre 2017 sur France 2. La rédaction avait dénoncé son relativisme, qu’elle avait perçu comme un renoncement.

Sur le fond, les piliers du journal lui reprochent d’avoir dévoyé le mot « islamophobie » qui empêcherait, à leurs yeux, toute critique de l’islam sous peine d’être accusé de racisme. Dans un essai rédigé juste avant sa mort, Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, son ami Charb cherchait à démontrer comment l’utilisation de ce terme risquait, in fine, de rétablir un délit de blasphème.

Longtemps hostile à son utilisation, Jean-Luc Mélenchon assume d’avoir évolué sur l’usage du mot puisqu’il est « utilisé par ceux qui sont victimes de cette haine pour la décrire ». C’est en ce sens qu’il avait justifié sa participation à la très controversée « marche contre l’islamophobie » en novembre 2019. À l’époque, Riss, rédacteur en chef de Charlie, avait dénoncé « une gauche en perdition » qui finira « dans les poubelles de l’Histoire ».

Plus récemment, lors d’un meeting à Marseille dans le cadre de la campagne des élections européennes de 2024, Jean-Luc Mélenchon a, quant à lui, réaffirmé : « Islamophobie, ça veut dire phobie. Phobie, c’est un truc déraisonnable, ce n’est pas un raisonnement, pas une critique des religions. C’est de la bêtise et de la folie incarnée », avait-il martelé, comme pour clore le débat.

« Ce “Charlie” n’est plus celui de mes amis »

Alors qu’elles défendent le droit « inconditionnel » à la liberté d’expression, les troupes LFI reprochent surtout à Charlie Hebdo d’avoir quitté le champ de la gauche et, au fil des années, ouvert « ses pages à la droite, voire à l’extrême droite ». « Ce Charlie-là n’est plus celui de mes amis Charb ou Cabu. Ils facilitent l’escalade zemmouriste », avait déjà dénoncé Jean-Luc Mélenchon dans un entretien à La Provence en 2020.

À la même période, il avait suscité une vague d’indignation en opérant, via un tweet, un parallèle entre Valeurs actuelles et Charlie Hebdo - incluant aussi l’hebdomadaire Marianne. « Si Charb pouvait lire votre tweet dégueulasse aujourd’hui, pas sûr qu’il aurait envie de continuer à être votre “camarade” », avait sèchement répondu Gérard Biard, rédacteur en chef, rappelant que Charlie n’avait rien à voir « avec la revue d’extrême droite ».

En réalité, cette bataille est représentative des éternels débats qui traversent l’ensemble des sphères de gauche - politique, médiatique, culturelle - sur le rapport à l’universalisme, et plus précisément sur l’interprétation de la laïcité. Ces derniers jours, ces tensions se cristallisent encore autour du spectacle de l’humoriste Sophia Aram. Preuve que, dix ans après l’attentat contre Charlie Hebdo, les divisions à gauche sur ces sujets restent vives."


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