par Jacques Lamagnère, enseignant. 21 octobre 2018
[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Il est des journées de formation censées nous apporter des éléments de réponse et de l’eau à notre moulin. Etre investi, voire militant, sur le thème de la laïcité devrait être essentiel dans nos fonctions de membres de l’Education Nationale. En tant que directeur d’école, détenteur d’une autorité, devant impulser la dynamique de notre équipe, nous devons prendre conscience de notre position centrale sur la laïcité.
C’est donc avec une certaine appétence et curiosité que je me suis rendu à cette journée sur l’enseignement du fait religieux à l’école en ce jeudi 11 octobre.
J’en suis ressorti assez mal à l’aise surtout après les interventions de la matinée consacrées très spécifiquement à l’enseignement de ce fait religieux.
Nous avons écouté des enseignants nous parlant de leurs projets, un directeur nous indiquant l’impulsion qu’il donnait au fait religieux dans son école et un historien, Dominique Borne. Ce dernier, en guise de préambule a surtout parlé du Coran, présentant ce livre comme un recueil de poèmes empreint d’une grande tolérance, citant pour preuve la reconnaissance qui y est faite de Jésus comme prophète et de l’existence de la vierge Marie. Il donna le ton sur la vision positive et non alarmiste que nous devrions avoir des religions et en particulier de l’islam.
L’enseignement du fait religieux lui-même a été développé par ce collègue directeur dont l’école partage mon quartier et ma rue. Nous avons bien compris qu’il est féru d’exégèse et qu’il vit cet enseignement comme une vraie mission. Il nous a montré comment travailler des textes comparatifs de la Bible et du Coran en parlant tout particulièrement de l’histoire d’Abel et Caïn et de leur dialogue avec Dieu en sélectionnant les passages adéquats. Si nous avons bien compris la transdisciplinarité de l’exercice, il était surtout question de faire une démonstration sur la proximité de ces histoires pour montrer que, finalement, les sources des religions du livre sont les mêmes à quelques détails près. C’est effectivement une évidence qu’il est bon de rappeler.
Ainsi, en démontrant aux enfants que l’on parle de la même chose, on apaiserait les haines qui pourraient être véhiculées par l’extérieur. On rectifierait également les omissions ou mensonges dont ces enfants seraient victimes.
Le 2e point développé par ce directeur fut le bénéfice que tireraient les élèves de visites d’édifices religieux. Il a pu emmener des classes visiter une église, une synagogue, une mosquée et un temple Ganesh situé non loin de son école. Ceci a été fait après un travail avec les familles pour obtenir leur autorisation. L’objectif indiqué était de dédramatiser la pratique du culte, enlever tout fantasme et entrevoir peut-être, de ce fait, la perspective d’une meilleure compréhension mutuelle.
Le message était que la connaissance des religions et de leurs pratiques de prière par exemple (assis sur une chaise, debout, par terre sur un tapis…) permettrait aux enfants de mieux comprendre l’autre et de s’accommoder des différences, l’objectif étant le même : prier Dieu. Cette connaissance devrait être transmise par l’Ecole, seule à même d’apporter un regard dépourvu de dogme, regard apaisant qui permettrait aux enfants de s’émanciper de l’enseignement religieux familial ou confessionnel. Il y trouverait les armes de réponses à l’extrémisme.
Ainsi, l’enseignant ne devrait plus craindre d’enseigner le fait religieux comme c’est le cas actuellement. Il devrait s’approprier ce domaine pour ne pas en laisser le monopole aux religieux ou même aux familles. Il devrait être formé, autant par la connaissance que pédagogiquement et être capable d’aborder des textes bibliques ou coraniques en les dépouillant du dogme et de leur dimension spirituelle.
Je suis relativement perplexe quant aux objectifs. Si la nuance entre « fait religieux » et « religion » nous est limpide, elle peut sembler totalement obscure hors de nos murs. N’est-il pas naïf de penser que la plupart des familles feront la différence surtout celles que nous visons avec cet enseignement.
Justement, pourquoi cette « nécessité » d’enseigner le fait religieux et pour qui ?
Il y avait, me semble-t-il, dans tous ces discours, un non-dit. Il semblerait, dans les propos de ce directeur d’école, que la problématique vienne de l’ensemble des religions et de l’approche trop simpliste voire trop partiale et radicale qui en est faite. Encore une fois, par crainte d’accusation de stigmatisation ou de quelconque phobie, on ne nomme pas les choses. De quelle religion parle-t-on et quelle religion pose actuellement le problème de la radicalisation qui nous oblige à nous interroger et à réagir ?
Cette « nécessité » revendiquée vient après les attentats dont le pays a été victime et vient suite aux positions extrémistes émanant de certaines familles musulmanes, positions poussant, par la voix des enfants, à la remise en question de nos valeurs républicaines laïques et même des programmes scolaires. On déplore que certains de nos élèves véhiculent des idées radicales sur la nourriture, sur la musique, sur les sciences, sur l’égalité garçons-filles... Ces enfants sont issus, on le sait, de familles musulmanes et tiennent leurs idées de leurs parents ou d’un enseignement religieux voulu par les parents. Ce sont donc ces enfants qu’il faudrait convaincre plus que les enfants d’autres confessions ou sans confession du tout. Nous prétendrions donc que la parole de l’Ecole sur ce point prévaudrait sur celle de la famille ? On sèmerait la petite graine qui donnerait un esprit critique et permettrait à l’enfant de mieux contredire les théories obscures des parents. Grande naïveté il me semble, surtout si ces enfants sont amenés à penser, puisqu’aucune religion n’est spécifiquement ciblée, que les religions chrétienne et israélite par exemple, nécessiteraient que leurs pratiquants se remettent également en question car ils posent les mêmes problèmes que les musulmans radicalisés.
Nous devrions donc rajouter une matière d’enseignement comme « le fait religieux », en plus des matières existantes, en plus de l’enseignement sur la nutrition, sur les premiers secours, sur l’éducation routière et j’en passe. C’est quand même beaucoup pour la polyvalence de l’enseignant d’école élémentaire.
De quelle formation pourra donc bénéficier ce professeur ? Devra-t-il se former à l’étude et la compréhension de la Bible, des Evangiles et du Coran pour une meilleure connaissance ? Que devra-t-il transmettre aux élèves ? Que devra-t-il répondre au père en colère venant demander des comptes sur un domaine qu’il revendique exclusif. Au lieu de le former à la laïcité et son application la plus pertinente, au lieu de lui donner les armes pour lutter contre l’entrisme du religieux, on le formerait à ce dernier pour soi-disant combattre extrémisme et obscurantisme ?
Le directeur d’école de la conférence maîtrisait son sujet, c’est clair. Cette maîtrise est le fruit d’une appétence personnelle. Je suis en désaccord avec sa vision, ses objectifs et les moyens qu’il se donne mais je peux reconnaitre qu’il expose certaines pistes. Toutefois, nous ne pouvons pas tous nous transformer en exégètes des religions. Il a fait le constat d’une école apaisée suite à ses actions, je fais également le même constat 200 mètres avant dans la même rue avec à l’opposé l’affirmation que la religion n’entre pas dans l’école sinon au travers de l’histoire, des programmes et d’une fermeté dans l’exclusion d’un débat qui n’a pas sa place dans la classe.
La visite des lieux de culte m’a également posé un problème dans le sens où elle a été présentée justement comme la visite d’un lieu de culte et non comme celle d’une œuvre architecturale issue du génie humain. En quoi par exemple la visite du temple Ganesh situé dans un petit local du 18e arrondissement présente-t-elle un intérêt si ce n’est d’expliquer aux élèves ce qu’est ce culte et comment on le pratique ? Et que veut-on montrer dans ces visites ? Convaincre que tous les cultes sont respectables ? Est-ce notre mission de convaincre que tous les cultes sont respectables ? Et, quid de mon enfant si je veux qu’il considère que tous les cultes sont ridicules ? N’a-t-on justement pas le droit en France de le penser et surtout de le dire ? En visitant des lieux de culte en tant que tel ne les légitimons-nous pas au travers de notre école laïque ? Est-ce notre rôle de le faire au prétexte de dédramatiser la pratique religieuse et d’amener les élèves à se comprendre dans leur démarche spirituelle et celle de leurs parents ?
Comment répondre aussi au fait que notre République ne reconnait aucun culte si j’emmène mes élèves en observer certains en leur pointant les différences et en les invitant à réfléchir là-dessus avec bienveillance ? Comment, dans ce cas, respecter un élève issu d’une famille athée ? Ces derniers, pourtant majoritaires dans ce pays, sont les grands oubliés du débat. Quid de la famille souhaitant que son enfant se tienne éloigné de tout lieu de culte sauf pour des raisons d’illustration historique.
A mon sens, l’Ecole de la République doit avoir pour seul objectif la dimension historique des faits. Que l’Ecole, à travers l’histoire aborde « le fait religieux » dans sa chronologie, ses étapes, ses guerres, ses influences sur la société humaine, elle s’inclut alors dans un programme de savoirs nécessaires à la compréhension du monde. Qu’elle s’autorise à des exégèses et à des comparaisons cultuelles dans le but d’apaiser les tensions interreligieuses sans même d’ailleurs nommer la religion qui pose un problème me parait une dérive qui nous exposerait à ce que notre laïcité est censée nous protéger.
Dieu n’a pas sa place à l’Ecole si ce n’est à travers l’Histoire. Il est ou pas dans le cœur de chacun et doit y rester.
Les enseignants d’école élémentaire, aussi démunis soient ils face à certaines réactions d’élèves ne doivent pas risquer d’ouvrir cette boite de Pandore car cela touche à un thème que notre société est pour l’instant incapable de maîtriser. Il est encore une fois demandé à l’Ecole de soigner les maux déclenchés hors de ses murs. Elle devient une passoire et expose les enfants aux tourmentes du dehors alors qu’elle devrait les en protéger.
On met, au quotidien, à mal l’autorité du professeur, on le noie sous des imprécations pédagogistes et, plutôt que d’affirmer sa vraie place et lui donner les moyens de son enseignement, on veut désormais l’exposer au religieux alors que plus d’un siècle de lutte l’en avait dégagé.
C’est à ce titre que l’enseignement du fait religieux à l’Ecole est un piège dont il faut se prémunir.
Jacques Lamagnère
Comité Laïcité République
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