Contribution

Enseignement des langues et cultures d’origine (Elco) au JT de France 2 : un traitement fallacieux (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, ancien membre de la Mission laïcité du Haut conseil à l’intégration. 5 janvier 2017

20 h, JT de France 2, ce 3 janvier 2017. Le sujet, les ELCO, ces cours d’enseignement des langues et cultures d’origine. David Pujadas est aux commandes, il introduit un reportage dans ces termes : « L’enseignement de l’arabe à l’école, la polémique est-elle justifiée ? Plusieurs élus Les Républicains ont récemment dénoncé un risque de communautarisme... » Ainsi, on présente le problème d’emblée comme porté par la droite, pourtant des organisations de la gauche laïque et républicaine ont déjà depuis plusieurs années interpellé les pouvoirs publics, inquiètes légitimement à ce sujet.

On nous parle de 50.000 élèves concernés, il s’agit en réalité de 85.000, dont 70.000 pour les quatre pays que sont l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie. Les autres élèves se répartissent entre la Croatie, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Serbie. Des inexactitudes qui ne sont qu’un détail, au regard de ce qui va suivre. Le reportage s’ouvre sur la présentation d’un enseignement qui va de l’école primaire à Polytechnique, noyant en quelque sorte le poisson, l’enseignement de l’arabe ne recouvrant absolument pas les mêmes enjeux, évidemment, selon ces lieux.

On avance que ces classes ont été créées pour que les enfants gardent un lien avec leur pays d’origine par la maitrise de leur langue. On n’expliquera évidemment pas pourquoi elles ont été créées : pour maintenir effectivement un lien avec le pays d’origine, mais dans le cadre d’une immigration économique qui n’était pas une immigration d’installation, et donc dans l’esprit d’un retour au pays, ce qui a complètement changé depuis. Sans cette information on ne peut pas comprendre pourquoi le maintien de ces classes pose, depuis déjà plusieurs décennies, problème. Ces classes ont servi et servent encore, comme cela a été dénoncé dans des rapports tout ce qu’il y a de plus officiels, non seulement dans certains cas à la diffusion de la religion par des pays d’origine, mais aussi à un contrôle politique sur les populations. Beaucoup d’informations qui manquent au téléspectateur par omission, qui auraient pu déjà lui permettre d’étayer son point de vue.

On présente un enseignement de ce type, où après la classe, certains élèves restent pour qu’on leurs enseigne l’arabe, parce qu’ils sont issus de l’immigration de pays d’origine où on le parle. L’enseignante n’est pas choisie par l’Education nationale, mais par le pays d’origine qui encadre ici ce cours, en l’occurrence le Maroc via son ambassade. On interviewe l’enseignante, qui est une employée de son pays, qui ne risque pas de critiquer le dispositif. Elle explique qu’il n’y a aucun problème, qu’elle a appris que l’école en France est laïque, et donc respecte le cadre dans lequel elle intervient.

Quel est le contenu du cours ? Nous n’en saurons rien. Dès lors qu’il existe une demande suffisante de la part des familles, les cours d’ELCO peuvent être mis en place à l’école élémentaire à partir du CE1. Ce sont les inspecteurs de l’Éducation nationale qui en assurent le contrôle. En réalité, très peu de contrôle sont réalisés, par égard entre autres, aux pays tuteurs de ces cours, qui sont omnipotents.

Evidemment, le sujet est sensible, en raison de la problématique de l’intégration qui revient en force avec la montée des affirmations identitaires liée à la place de l‘islam dans notre pays. Ignorer cet aspect de la question confine à la démagogie ou à la malhonnêteté intellectuelle. On ne dira pas par exemple, pour comprendre que l’enseignement de l’arabe à ces enfants par des personnels choisis par les pays d’origine peut poser question, que la religion, dans ces derniers, n’est pas séparée de l’Etat, comme d’ailleurs c’est le cas au Maroc ou l’islam est religion officielle. Les ministres actuels du gouvernement marocain, par exemple, sont de notoriété publique pour plusieurs polygames, ce dont d’ailleurs ils se vantent en se posant en modèle, le parti au pouvoir étant un parti islamiste (Parti Justice et Développement). Cela ne risque-t-il pas de transpirer dans ces cours ?

On montre à la suite, une séance de l’Assemblée nationale, lors de laquelle la ministre de l’Education nationale, Mme Nadjat Vallaud-Belkacem, est interpellée par une députée LR sur le sujet, citant les travaux critiques du HCI pour mettre en cause ce dispositif. On fait ainsi passer, l’air de rien, toute critique de ce dispositif pour une démarche de droite, et les travaux du HCI pour un parti pris mis à son service. Pour lever toute ambiguïté, précisons que le HCI a été créé en 1989 par le Premier ministre Michel Rocard (PS).

Ensuite, une inspectrice de l’Education nationale met en garde contre certains risques, faisant état d’agréments retirés parce que l’enseignement était religieux ou qu’un homme refusait de serrer la main d’une femme. Mais on n’en saura pas plus, alors que cette forme d’enseignement encourage ces débordements et depuis longtemps, qui n’est contrôlée que depuis peu et peu. Le sujet est trop sensible, et encore là, au lieu d’interroger un expert de l’ex-Haut conseil à l’intégration, précisément, institution qui a publié sur le sujet [1], après des auditions et un travail d’expertise rigoureux, avec avis remis à un Premier ministre, on interroge une fonctionnaire qui est tenue au devoir de réserve.

On interviewe ensuite des parents qui y inscrivent leurs enfants. Le mieux pour comprendre si cela ne pose aucun problème, est-il d’interroger les usagers de ceux-ci, qui peuvent alors être « juge et partie » ? Mais on n’interrogera surtout pas n’importe lesquels. On évitera la femme voilée, en arrière plan furtif, à laquelle on préférera une femme sans voile expliquant être dans un couple mixte, banalisant ainsi la démarche. On ne se posera pas la question de savoir ainsi, alors que ces enfants sont devenus français, le décalage que l’on maintient artificiellement entre une situation du passé à laquelle étaient dédiées ces classes, et une intégration de ces enfants par l’appropriation des valeurs communes, dont on constate qu’elle devient de plus en plus difficile.

Après cette mise en perspective partisane, le reportage peut tranquillement basculer, pour nous expliquer qu’il en irait simplement de la richesse de la diversité des cultures, vantant la double culture, renvoyant tout questionnement critique à cet endroit à un jugement de valeur.

Une thèse qui serait entendable s’il n’y avait pas un contexte sur lequel le traitement du sujet fait totalement l’impasse, que l’on connait pourtant bien, la communautarisation d’une partie croissante de nos concitoyens musulmans, que toutes les enquêtes d’opinion constatent, soulignée par une augmentation dans le temps du nombre de ceux qui considèrent comme normal de faire passer leur religion avant la loi commune [2] Autrement dit, qui tendent à rejeter le mode de vie du pays dans lequel ils vivent, en mettant avant tout en avant un « droit à la différence », cette différence que cultive précisément les ELCO.

Cette lecture lissée qu’on nous propose des enjeux des ELCO et de l’enseignement de l’arabe à l’école, ne donne-t-elle pas implicitement quitus aux groupes de pression communautaires qui opèrent dans les quartiers, au risque de ne pas protéger ceux qui voudraient y échapper, et ainsi à une logique d’assignation susceptible de porter atteinte à leur liberté ? En 1990, dans une tribune publiée dans Le Monde, Gérard Chauveau, Adil Jazouli et Alain Seksig (ancien chargé de la mission laïcité au HCI) demandaient que l’on revoie ce dispositif : "Que signifierait sa reconduction, sinon que, tournant le dos à l’objectif d’intégration, nous ferions pour les enfants de familles immigrées en France, le choix de l’"assignation à résidence culturelle" ?"
Même la ministre de l’Education nationale a jugé dans le journal le Monde que les ELCO plaçaient les élèves dans une "logique d’entre soi" (Le Monde, 13.02.2016).

Il y a donc bien un problème, que ce traitement médiatique entend soigneusement ignorer, pour nous servir un discours de victimisation habituel, version « Bisounours », où les méchants seraient ceux qui se posent des questions et voient le mal partout. Les journalistes, du présentateur du JT aux réalisateurs de ce sujet, sont évidemment les gentils, s’offrant là comme sur bien des sujets à émotion dont ils raffolent, une bonne conscience sur mesure, l’air de ne pas y toucher.

Jean-Pierre Le Goff parle, dans son ouvrage Malaise dans la démocratie, de l’existence dans le domaine de l’information d’une « bulle narcissico-médiatique » pour avancer que « l’exposé rigoureux des faits et leurs différentes interprétations possibles a été dévalorisé au profit de l’inflation de commentaires de journalistes qui diffusent leurs propres opinions comme des évidences correspondant au nouvel air du temps » [3].

On est en réalité ici en pleine désinformation aux conséquences gravissimes. On laisse penser en filigrane, si on suit la logique de ce sujet, une idée fausse qui alimente le fossé entre la République et ces enfants d’immigrés. L’enseignement de l’arabe serait ici un faux problème lié à des préjugés. Véritable fond de commerce des ennemis de la République et de la laïcité, qui identifient ces « préjugés » supposés à l’héritage de l’histoire coloniale de la France. Un argument des communautaristes, qui veulent justifier le rejet de notre société pour se mettre à part, en en renversant la responsabilité. La Commission nationale consultative des droits de l’homme indique, dans son dernier rapport sur 2015, que « l’indice de tolérance » des Français à l’égard de la diversité des origines de ceux qui vivent sur le territoire national, n’a jamais été aussi bon, soulignant cela malgré les attentats meurtriers qui ont endeuillé la France [4].

On ne saura pas plus par ce reportage, que la ministre de l’Education nationale s’est engagée à mettre un terme aux ELCO, en juin dernier (Il faudra attende, semble-t-il, 2018), pour inscrire l’arabe dans l’ordre des cours pour tous, dès le CP, à la rentrée 2016. Ce qui est d’ailleurs loin de résoudre le fond de la question posée par ces cours d’arabe, que l’on ne peut décontextualiser des enjeux de l’intégration liés à la réalité de l’immigration en France. Ceci, alors que l’on constate que de plus en plus de famille ne parlent plus à la maison, dans la rue, que la langue du pays d’origine, quand il est question de créer les conditions à l’école d’un socle de connaissances commun dont le français est la pierre angulaire.

« Les ELCO posaient un problème d’assignation de certaines populations à telle culture ou religion, on comprend mal que leur suppression se transforme en opportunité pour la ministre d’introduire la langue arabe dans le programme, dès le CP. Cela intervient, alors que l’on réduit par la réforme du collège la place du français, avec un effondrement de la qualité de son usage, que tous les enseignants déplorent », rappelait en juin dernier, dans un communiqué, le Comité Laïcité République [5]. Lors de l’entrée en 6e, le nombre d’élèves qui ne maitrisent pas notre langue va croissant, avec des situations d’exclusion qui ne peuvent plus tard qu’en découler, inévitablement.

Mesure-t-on vraiment dans ce contexte de tension sur ce sujet, alors que la radicalisation galope dans certains quartiers de nos banlieues parfois déjà transformés en ghettos ethniques, la majoration des risques que crée ce type de traitement de l’information ? Cette dernière ne devrait-elle pas être l’objet de la plus grande objectivité, en procurant tout au moins au récepteur l’ensemble des données, permettant d’interroger avec distance et hauteur les enjeux engagés ici ? N’est-ce pas ce qu’est en droit d’attendre tout citoyen, de ces médias de masse qui ont entre leurs mains ce pouvoir incroyable de produire les idées dominantes, hors de tout contrôle démocratique ?

Il se joue pourtant là bien des risques de malentendus et de litiges pouvant affecter notre cohésion sociale, alors que des dangers sont en embuscade, entre l’éclatement multiculturel de la France et la conquête du pouvoir politique par l’extrême droite. On critique à chaque rentrée littéraire les nouveautés, chaque ouvrage étant passé au crible, sans concession. Mais il semble que les grands médias et spécialement audiovisuels, bénéficient d’une sorte de grâce, comme quasi inattaquables, hors quelques cas d’espèce, quand ils se livrent à une désinformation organisée, voire versent dans la propagande. Il est grand temps de faire retour sur les responsabilités de ce quatrième pouvoir, qui met aujourd’hui gravement en péril, par une légèreté qui colle à sa toute-puissance, notre démocratie au risque de notre paix sociale.

Guylain Chevrier


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