18 décembre 2015
"Gilles Clavreul, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra) a déclenché la polémique en dénonçant plusieurs collectifs antiraciste proches de Tariq ramadan. Le décryptage d’Isabelle Kersimon.
Volée de bois vert contre Gilles Clavreul. Qui sont les islamistes qu’il dénonce vaillamment et qui lui valent les remontrances de Libération, L’Humanité… et de la LDH ?
Dimanche 13 décembre à 22h37, le préfet Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA), commente sur sa page Facebook le raout organisé le vendredi précédent à Saint-Denis [1] et qui a fait couler beaucoup d’encre puisque le mouvement Ensemble, dont Clémentine Autain (colistière de Claude Bartolone) est la porte-parole, a relayé l’invitation.
Le thème de la soirée ? Rien moins que « Pour une politique de paix, de justice et de dignité » - on croirait entendre le doux nom des partis islamistes du Maroc ou d’Algérie. En guest stars, notamment le prédicateur suisse Tariq Ramadan et l’ex-porte-parole du Collectif contre l’islamophobe en France (CCIF), Marwan Muhammad.
Connu pour ses positions fermement républicaines et pour le moins nuancées, Gilles Clavreul dénonce une « offensive antirépublicaine menée par Tariq Ramadan, le Parti des Indigènes et un certain nombre de collectifs anti-démocratiques, racistes et antisémites ». Il ose même aller jusqu’à affirmer que « sous couleur de dénoncer une prétendue atteinte aux libertés fondamentales, libertés que le gouvernement protège, sous le double contrôle du parlement et de magistrats indépendants, sous couleur d’un antiracisme perverti, cette offensive vise uniquement à légitimer l’islamisme, à défendre des prédicateurs fondamentalistes et à piéger la jeunesse des quartiers dans une radicalité sans issue ». Quelle outrecuidance !
Alors que la France a subi, tout au long de cette année funeste, des attaques sanglantes sur son sol, les réseaux des mis en cause se sont activés au point que Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH), s’est sentie dans l’obligation d’y répondre [2], soulignant qu’elle entend rassembler contre les nouvelles causes de l’antiracisme segmentaire, parmi lesquelles l’« islamophobie ».
Or, si le torchon brûle non pas depuis dimanche, mais depuis avril, entre ces militants défendus par la LDH et l’ancien énarque, la raison en est simple : Gilles Clavreul n’emploie pas le terme « islamophobie » [3]. On aurait tort de considérer comme un détail insignifiant de la rhétorique antiraciste ce qui relève d’une arme idéologique et politique. L’Organisation de la Conférence Islamique tente en effet depuis de nombreuses années d’imposer, principalement par la voix du gouvernement islamo-conservateur turc actuel, le concept d’islamophobie à l’ensemble des pays de l’ONU [4]. Avec la bénédiction des frères Tariq et Hani Ramadan, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) s’évertue quant à lui, depuis fin 2003 et à la suite des deux islamistes genevois, à le faire reconnaître auprès des instances nationales et européennes dédiées aux Droits de l’homme.
L’enjeu ? Faire céder la République sous les revendications identitaires de l’islam politique. On comprend dès lors la raison du bashing organisé sur les réseaux sociaux (#Dilcragate), vite relayée par nos confrères les plus tolérants envers ce qu’ils considèrent, à tort, comme une lutte légitime et ceux à qui, malgré la littérature considérable sur le sujet, ils continuent d’apporter leur soutien.
Que veut le CCIF ?
Le CCIF a pour objectif à moyen terme de faire abroger les lois de 2004 (sur les signes ostentatoires de religion à l’école) et 2010 (sur la visibilité du visage dans l’espace public), lois qu’il juge « désastreuses » dans l’un de ses premiers rapports, confirmant bien là qu’elles sont son premier objectif concret. Marwan Muhammad considère d’ailleurs que ces lois ont été promulguées par des « lâches » qui n’assument pas leur « haine ». Ainsi le CCIF affirme-t-il « avoir recensé pour 2014 une centaine de cas de collégiennes et lycéennes à qui leur établissement aurait reproché indûment leur tenue ». Il fait du port de la jupe longue un nouveau cheval de bataille, évoque des « dérives inquiétantes au sein de ces établissements scolaires », un « déferlement de violences verbales et d’humiliations systématiques », une « haine viscérale », un « traitement d’exception envers une minorité ».
Est-ce une réalité ? Certainement pas, me répond Michel Richard, secrétaire général adjoint du SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale) et principal du collège Rameau de Versailles : « J’ignore d’où le CCIF sort ses chiffres. Il me paraît plutôt là que l’on utilise des incidents de la vie scolaire, qu’on les monte en épingle pour faire de ces jeunes personnes des pseudos martyrs. On fait à l’Éducation nationale un procès en sorcellerie, car l’immense majorité des situations évoquées par le CCIF se règlent par le dialogue ».
L’encouragement à voiler les femmes, si possible dès le plus jeune âge, est en revanche l’un des objectifs des Frères musulmans, selon qui l’ordre islamique est voué à régner sur terre là où le communisme et la démocratie ont échoué. Et cet ordre commence par la soumission des femmes à cette pratique qui n’est une obligation religieuse incontournable que dans leur discours.
Qui est le CCIF ?
Selon Bernard Godard, ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, le discret créateur et président du CCIF, Samy Debah, est « venu à l’islam par les réseaux fréristes » et le CCIF est « directement issu des jeunes réislamisés par les réseaux fréristes et accompagnés par Tariq Ramadan » [5].
Tariq Ramadan donnait d’ailleurs une conférence au dîner de soutien organisé par ses studieux élèves en mai 2012 [6], dans laquelle il expliquait la marche à suivre : « Il ne s’agit pas de se sacrifier inutilement. Il faut toujours avoir l’intelligence des combats. Le prophète, face à ceux qui veulent le tuer, il prend une année et demie pour préparer son départ de la Mecque pour aller à Médine. Quand vous savez que Dieu est avec vous, vous partez dans le sud parce que vous savez que votre ennemi va penser que vous allez partir dans le nord. Quand on lutte contre l’islamophobie en France, il faut utiliser sa tête, utiliser la compréhension de l’environnement. Il faut dire à autrui les mots qu’ils comprennent et il se pourrait que les mots qu’ils comprennent ne soient pas directement les mots qui nous plaisent » [7]
Autrement dit, il faut employer la cause de l’antiracisme contre elle-même pour parvenir à ses fins.
Gilles Kepel dénonçait en 2013 « les vociférations des petits prophètes de l’identité et de la phobie », précisant que la « dénonciation tous azimuts de “l’islamophobie” est aussi, dans le débat actuel, une ressource victimaire dont se servent certains acteurs politico-confessionnels afin de souder une communauté sous leur houlette et d’exercer leur hégémonie sur ses membres au nom de ce slogan mobilisateur. » [8]
Quant à Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense, spécialiste des questions stratégiques internationales et en particulier militaires, il écrivait dans un rapport remis cette année à l’Assemblée nationale : « La timidité, voire la veulerie des représentants officiels de la communauté musulmane s’avère frappante : après les tueries perpétrées par Mohamed Merah et Mehdi Nemmouche, le CFCM et le CCIF ont surtout appelé à ne pas stigmatiser les musulmans. J’ai souhaité rencontrer des membres du CCIF, mais ils ont décliné ma demande, arguant que la radicalisation n’était pas leur problème. (…) Même après les attentats de janvier 2015 à Paris, le CCIF a publié un communiqué odieux qui n’évoquait que la nécessité d’éviter toute stigmatisation. » [9]
La LDH accusera-t-elle ces éminents serviteurs de la République d’« évoquer avec violence, presque avec haine » le travail de sape de ces militants ?
« Ni Charlie, ni Paris, mais perquistionnable », c’est ce qu’a publié Tariq Ramadan sur sa page officielle quelques jours après les tueries de Boulogne et Paris. Ce n’est pas une première : la victimisation soulignée par Connesa et Kepel bat son plein après chaque attentat.
Le 7 janvier, jour des premiers attentats, Marwan Muhammad se contente de retwitter Julien Salingue - lequel déclare que si rien ne pouvait justifier l’attaque, certains avaient « dénoncé avec raison l’islamophobie de Charlie Hebdo ». Accusation même qui a désigné Charb et ses compagnons comme cibles des tueurs. Le Parti des Indigènes de la République dénonce quant à lui un « attentat odieux qui s’inscrit dans un contexte d’islamophobie extrême ». À partir du 8 janvier, le CCIF comptabilise les actes antimusulmans sans - comme à l’accoutumée - en expliciter le détail et les suites judiciaires. Le 10 janvier, lendemain de la tuerie de Vincennes, il publie ce message cynique : « Pour saisir la précarité de la condition musulmane, considère la probabilité de survie de Lassant Bathily si la BRI l’avait vu pdt l’assaut ». Le 11 janvier, il twitte avec frénésie toutes sortes de provocations accompagnées du hashtag #MaisSurtoutPasDeStigmatisation. Exemple : « Pour les naturalisations, on s’est dit que ce serait bien que les mecs prêtent serment sur #CharlieHebdo ».
Pendant ce temps-là, rien sur l’Hypercasher. L’événement n’a simplement pas existé. Il faudra attendre le 27 février pour que, au détour d’un appel à manifester contre l’islamophobie, le CCIF se fende d’un communiqué où il évoque les victimes de Vincennes.
Les alertes ahurissantes du CCIF sur « la montée de l’islamophobie » ou « la vague islamophobe » en France ont été reprises pendant plus de dix ans sans aucun discernement par les médias, donnant à nos compatriotes musulmans le sentiment que la France les menace à titre personnel et communautaire. Or, dès son premier « rapport », le CCIF comptabilise comme « actes islamophobes » des mesures de protection ou de sécurité nationale : « Abdelkader Yahia Cherif, imam de Brest a été expulsé car le ministère lui reproche « son prosélytisme en faveur d’un islam radical » et « ses relations actives avec la mouvance islamiste prônant des actes terroristes » ; « Orhan Arslan expulsé car il aurait tenu « des propos extrêmement antisémites et antioccidentaux » d’après le Ministère »… En 2004, le CCIF recense comme acte islamophobe la fermeture d’une salle de prière à Châtenay-Malabry, où l’imam Salem Chiffra appelait au djihad contre les infidèles [10].
Au total, cette année-là, il dénonce 64 actes contre des institutions musulmanes, dont cinq concernant des expulsions d’imams radicaux et quatre des fermetures de mosquées consécutives à des faits d’incitation à la haine, de violence ou de participation à une entreprise terroriste [11].
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Sur sa page d’accueil, le CCIF prétend que l’islamophobie tue en France. Une carte interactive pointe ainsi un meurtre islamophobe commis à Dreux en 2011 sur un homme sortant d’une mosquée, Archane Nouar. Quelques recherches montrent que deux criminels ont été jugés pour cela en cour d’Assises le 8 mars 2011. L’un d’entre eux, Nassim Djellal, a été condamné à dix ans de prison pour violences volontaires ayant entraîné la mort (et non pour meurtre), sans que le juge ait relevé l’aggravation d’islamophobie (il s’agissait apparemment d’une sordide affaire de règlements de comptes) [12].
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Dix jours après les attentats de novembre, dans une interview donnée en anglais à Al Jazeera, Yasser Louati, le nouveau porte-parole du CCIF, accuse le gouvernement d’ignorer les actes antimusulmans, d’exacerber les attaques contre les musulmans et d’avoir déclaré la guerre... à la minorité musulmane de France ! Il affirme aussi qu’un homme a été battu jusqu’à sombrer dans le coma lors d’une manifestation entre Identitaires bretons et militants d’extrême gauche à Pontivy, ce qui a été formellement démenti par le cabinet du maire, joint ce matin par téléphone : « La personne agressée est un Pontivien d’origine antillaise. Il se trouvait parmi les contre-manifestants. Il a été hospitalisé suite à des dents cassées et une lèvre fendue. Sa plainte a été reçue par la gendarmerie. Il ne s’agit en aucun cas d’une agression islamophobe. » Ni d’un coma. [13]
Quant au Parti des Indigènes de la République, il se livre régulièrement à des saillies contre « les Blancs » et a twitté ce message pour le moins « haineux », pour reprendre le terme de la LDH, le 19 octobre 2015 : « Les jeunes Palestiniens nous enseignent comment résister ». Le lien associé renvoie à un texte politique qui, certes, n’engage pas à poignarder nos concitoyens, mais il intervient au moment où, en Israël, des civils subissent ces attaques quotidiennement.
Marwan Muhammad twittait aussi sur les « Blancs » le 1er décembre : « #COP21 Des Blancs expliquent aux autres pourquoi il ne faut pas faire comme eux et comment il faut faire pour payer LEURS pots cassés »
On peut rêver mieux en matière d’antiracisme, de tolérance, de dignité, justice et paix que ces manipulations statistiques, ces attaques en règle des gouvernements qui se succèdent en France, ces dénonciations abusives de nos institutions et cette racialisation désormais associée à la confessionnalisation virulente de notre société. Surtout en la période que nous traversons ! Alors, de quoi Clavreul est-il coupable ?"
Lire "Gilles Clavreul contre Tariq Ramadan et les Indigènes de la République : le dessous des cartes".
[1] http://www.ikhwan.whoswho/blog/archives/9502, lire "Le parti de Clémentine Autain appelle à se rendre à un meeting de Tariq Ramadan" (lefigaro.fr , 10 déc. 15) (note du CLR).
[3] « Les mots de l’antiracisme sont tous un peu piégés », m’a répondu Gilles Clavreul. « En commençant ma mission, j’ai constaté que le mot “islamophobie” était polémogène. J’ai jugé plus prudent de ne pas l’employer, d’autant que ceux qui l’emploient visent moins les agressions ou les insultes contre les musulmans - là, nous sommes évidemment tous d’accord pour les réprimer sans faiblesse - que la critique des excès où peut conduire une pratique rigoriste, voire dans certains cas fondamentaliste, de la religion musulmane. Or, cette critique doit pouvoir s’exercer librement ; elle est même nécessaire, avec l’instrumentalisation qu’en fait l’extrême droite identitaire qui ne vise que le seul islam et s’approprie par la force le concept de laïcité pour le détourner à son profit ».
[4] Lire "L’OCI veut inscrire le blasphème dans le droit international" (Reuters, lemonde.fr , 20 sept. 12), "Nous croyons en l’importance de respecter tous les prophètes" (Union européenne, Conférence islamique, Ligue arabe, Union africaine, 20 sept. 12), "L’offensive "anti-blasphème" des pays musulmans" (Le Monde, 24 déc. 11), La “diffamation des religions” à l’ONU (AFP, 2 oct. 09), Pétition : “L’ONU contre les droits de l’homme” (Le Monde, 28 fév. 08) (note du CLR).
[5] Bernard Godard, La question musulmane en France, Fayard 2015.
[9] Rapport enregistré le 2 juin 2015 à la présidence de l’Assemblée nationale au nom de la commission d’enquête sur la surveillance es filières et des individus djihadistes.
[10] In : rapports du CCIF 2003_2004 et 2004.
[11] Isabelle Kersimon, Jean-Christophe Moreau, Islamophobie, la contre-enquête, éditions Plein Jour, octobre 2014.
Lire aussi le communiqué du CLR Soutien total à Gilles Clavreul (17 déc. 15) (note du CLR).
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