Revue de presse

Ecole : une politique hostile aux savoirs (E. Conan, Marianne, 26 juin 15)

par Eric Conan. 4 juillet 2015

"Que s’est-il passé, depuis trente ans, pour que le niveau baisse à ce point et que les inégalités, elles, augmentent ? En s’opposant à la réforme du collège, une partie de la gauche met en cause un bilan essentiellement... de gauche !

Devant la mairie, des centaines de tables avaient été installées en plein air, ce dernier week-end de mai, sur la place Victor Hugo de Saint-Denis. Pour les participants volontaires et enthousiastes de la « Dictée des Cités ». Créée pour la première fois il y a deux ans à Argenteuil par Abdelah Boudour, responsable de l’association Force des mixités, cette initiative, développée cette année en la compagnie de l’écrivain Rachid Santaki, connaît un succès fulgurant. Ils furent des milliers en France à plancher sur des textes d’Eluard, Hugo ou Saint-Exupéry. Aucun de ces concours de dictée associatifs n’a eu la visite de la Ministre de l’Education. Elle aurait pu utilement constater que leurs participants, du jeune collégien au retraité, ne souffraient ni d’« ennui » ni d’« humiliation ». Ils étaient pourtant notés et – pire ! – classés pour décrocher des récompenses.

Ces sympathiques mobilisations n’ont guère eu d’échos. Elles offrent pourtant un cruel symbole en ces temps de contestation de la réforme du collège. Chassée de l’école, la dictée renait dans la rue. Comme la discipline et la compétition, interdites de séjour en classe, sont plébiscitées dans les clubs de sport où il faut « mettre la pression ». Et l’exigence et la rigueur sacralisées dans ces émissions de cuisine où les aspirants cuistots sont tous au garde à vous. Que s’est-il passé pour que ce qui faisait l’école n’y soit plus ? Et pour que ce manque nourrisse un tel sentiment de perte ? C’est la même question que posent – et se posent – tous ceux qui refusent le projet de la ministre de l’Education. Une question embêtante parce qu’adressée par une partie de la gauche à un gouvernement de gauche.

En effet, loin d’être une énième « guerre scolaire » attisée par la droite comme ont tenté de le faire croire Manuel Valls et Najat Vallaud Belkacem, ce printemps de contestation scolaire constitue un tournant historique dans les rapports entre la gauche et l’école. La naissance sur la place publique d’une division de la gauche. Division entre syndicats de gauche. Division entre intellectuels de gauche. Division entre militants et responsables politiques de gauche. C’est pour l’avoir compris que le Premier ministre, dans la précipitation, a décidé la veille de la manifestation des opposants le 19 mai dernier d’imposer par décret cette réforme contestée. Et de couper court avec brutalité à ce débat dérangeant qui commençait à intéresser beaucoup de monde. Débat sur quoi ? Sur la responsabilité de la gauche dans le désastre scolaire qui fait aujourd’hui consensus. Non pas que la droite n’y ait pas largement contribué, mais la gauche a le privilège doublement mérité d’être en première ligne. D’abord parce qu’on lui doit, depuis la fin du XIXème siècle, l’école universelle, durement et progressivement conquise sur l’Eglise, le patronat et mêmes les parents, quand ses ministres n’hésitaient pas à envoyer la maréchaussée chercher les enfants que les paysans préféraient voir travailler dans les champs. Et, ensuite, parce que depuis trente ans, cette école centenaire qui doit tant aux valeurs de gauche est le seul service public a avoir été à ce point soumis à une réforme permanente au nom d’une doxa pédagogiste dominante à gauche et à laquelle la droite, intimidée, s’est pliée.

L’école a en effet été révolutionnée par une succession de réformes voulues car cogérées avec les syndicats de gauche, soutenues et appliquéee par les enseignants de gauche… Ce consensus vient d’exploser pour la première fois en ce printemps historique. Une partie de la gauche s’aperçoit qu’elle a fait fausse route et se rebiffe contre une autre partie qui veut continuer à foncer dans la même direction. C’est ce qui rend douloureux l’actuel conflit scolaire : c’est une affaire de famille. Elle divise comme jamais les salles des profs, lesquels se trouvent en première ligne pour constater les effets désastreux des réformes antérieures : les discussions sont vives entre ceux qui l’admettent et ceux qui s’y refusent. Elles divisent les syndicats, Sgen et Unsa s’opposant à un Snes ayant appelé à manifester avec le Snalc classé « réac ». Elle divise les associations de parents comme l’a révélé l’éviction de l’indéboulonnable président de la Fcpe. Elle divise le gouvernement, Ségolène Royal ayant nettement manifesté sa désapprobation. Elle divise le PS, Julien Dray et Jack Lang invitant sans détour Najat Vallaud Belkacem à « revoir sa copie ». Elle divise les intellectuels de gauche, notre ami Jacques Julliard ayant même significativement lié son identité de gauche à l’opposition à cette réforme. Signe de la fracture, quelques (rares piliers) du mammouth entrent publiquement en dissidence, comme Alain Morvan, ancien recteur de l’académie de Lyon, déclarant que « cette réforme conduirait à aggraver la situation du collège et à amoindrir les chances des élèves » ou Jean-Michel Blanquer, ancien recteur de l’académie de Créteil et ancien Directeur général de l’enseignement scolaire, aujourd’hui exfiltré à la tête de l’Essec, qui dénonce une « haine de soi » et une « renonciation à transmettre »

Cette querelle de famille est d’autant plus douloureuse et décisive pour la gauche française que ses positions pédagogistes sur l’école – en faire le dernier lieu de la proclamation égalitaire – ne sont pas étrangères à son deuil non avoué de l’égalitarisme économique et social. Elles apparaissent en effet dans le prolongement de l’abdication du volontarisme politique socialiste avec le tournant néo-libéral de 1983. Ce n’est pas un hasard si Jean-Pierre Chevènement fut à la fois le dernier ministre de l’Education prônant la méritocratie républicaine et l’un des rares opposants à ce tournant économique. Après lui, la gauche s’en est remis pour l’école aux bonnes intentions plutôt qu’aux bons résultats. Ce fut l’effet Bourdieu, qui restera un exemple fascinant de la puissance et des ravages de l’idéologie dans une société non totalitaire. Comment, à partir d’un bon constat du caractère insuffisamment égalitaire de l’école, la révolutionner en aggravant les inégalités.

Dans son livre culte, La Reproduction, le sociologue Pierre Bourdieu relevait que le nombre d’élèves d’origine populaire parvenant à maitriser les savoirs jusqu’au sommet du système scolaire (fils de paysan basque, il était lui-même un exemple de ces réussites) était proportionnellement plus faible que ceux d’origine bourgeoises. Mais au lieu de proposer d’améliorer cette accession populaire insuffisante à l’élite du savoir, il proposa d’en finir avec ce savoir élitiste jugé discriminant… C’est comme si l’on avait condamné le savoir médical parce que les bourgeois savent mieux se servir du système de santé. C’est pourtant textuellement ce que proposait Bourdieu en 1985 dans le rapport Propositions pour l’enseignement de l’avenir que lui avait commandé François Mitterrand et que l’on ne relit pas aujourd’hui sans effroi. Il concluait en effet que « l’importance excessive accordée à trilogie « lire, écrire, compter » peut, à bon droit, être considérée comme l’un des facteurs de l’échec scolaire ». Il fut pourtant entendu et les programmes scolaires refondus de l’école primaire à la terminale au détriment de l’acquisition des connaissances. A commencer par l’apprentissage de la grammaire et du français.

Cette logique renversante fut formalisée par la grande loi d’orientation de 1989 conçue par Lionel Jospin, ministre de l’Education et son principal conseiller, Claude Allègre. Sa philosophie : « L’élève au centre de l’école ». A la place des savoirs. La fonte progressive des horaires des enseignements fondamentaux en primaire explique la faillite du collège unique instauré en 1975 que 75 % des enseignants considèrent comme un « échec ». Ses concepteurs l’avaient conçu avec un contenu diversifié avant que la gauche l’uniformise mais surtout, ils n’avaient pas imaginé qu’ont y précipiterait des enfants sortant du primaire sans maîtriser ni le français ni le calcul. Il y a quarante ans, les élèves de CP bénéficiaient de 15 heures hebdomadaires de français, contre 9 en 2006 et, en moyenne, un bachelier d’aujourd’hui aura reçu dans son parcours scolaire 900 heures de français en moins que ses parents… Les chiffres sont là [...]. Les élèves français sont passés de 175 jours de classe en 1968 à 140 et de 1050 heures à 840. Soit 20% de moins, comme l’a calculé l’historien de l’Education Antoine Prost  : « Les élèves ne passent pas plus de temps en classe aujourd’hui en cinq années d’école primaire qu’ils n’en passaient en quatre ans il y a une génération. C’est comme si l’on avait obligé tous les élèves à sauter une classe. Nous avons organisé l’échec ».

La dernière étape – de droite – de ce long sabotage fut constituée du très médiocre « socle commun de connaissances » avalisé par le gouvernement de François Fillon décrétant la culture « discriminatoire » dans les concours. Et supprimant une demi-journée de travail en primaire avec l’instauration de la semaine de quatre jours pour libérer le samedi matin sous la pression du lobby du tourisme et des parents bobos des grandes métropoles. Tout cela présenté avec hypocrisie comme une mesure d’assistance à pauvre écolier en danger d’épuisement par les programmes, trop lourds, les devoirs, trop stressants, et les notes, trop humiliantes. Car depuis la loi Jospin de 1989 officialisant la prise du pouvoir de la rue de Grenelle par les commissaires politiques du pédagogisme, ce déni du droit à l’instruction a pris la figure du droit au bonheur. Une politique de l’abaissement dans la douceur et l’illusion du maternage pour tous. L’élève n’apprend plus, on le chouchoute. La loi de 1989 lui a reconnu le « droit d’expression » dans une école devenue « lieu de vie » et « espace démocratique ». Le prof doit l’aider à exprimer ses opinions déjà géniales plutôt que l’aider à les former. L’opinion débile (entendue à la télé) ou archaïque (entendu dans sa famille) mises au même niveau que les savoirs communs éprouvés, vraie base de l’autonomie et de l’exercice de la liberté. La réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem ne fait que poursuivre cette pente. Dans les mêmes termes. Les enseignants doivent aider l’élève à « manifester sa sensibilité » et à « questionner le monde ». La langue française ne s’apprend plus – « la grammaire n’est pas un Dieu », explique aujourd’hui le très symptomatique président du Conseil national des programmes – mais doit faire l’objet d’une « observation » de l’élève-maître qui doit lui même en « dégager les régularités et formuler les règles »

Les effets de cette politique hostile aux savoirs et à leur transmission ont pu être longtemps niés parce que ses promoteurs qui tiennent le ministère de l’Education et survivent à tous les ministres avaient maquillé ses résultats logiques. Tous les instruments d’évaluation des élèves-cobayes n’ont cessé d’être réglés à la baisse par la direction de la Prospective et de l’Evaluation du ministère, sorte d’équivalent du GosPlan. Notes supprimées en classe et relevées aux examens. Redoublements interdits. Recommandation officielle de ne plus faire lire à haute voix les élèves en classe, pour ne pas les « humilier », etc. Les enseignants eux-mêmes ont fini par révéler la comédie pathétique du bidouillage à la hausse (sous couvert d’« harmonisation ») des résultats de plus en plus mauvais du baccalauréat afin de maintenir artificiellement un taux officiel de réussite autour de 85 %. Comme le Kremlin, savoir masquer ses échecs a longtemps été la plus grande réussite de l’institution éducative française. A part les chevènementistes, dénoncés comme rabat-joie parce que s’inquiétant de la dégradation inquiétante des performances du système éducatif français, la gauche pédagogiste se rassurait avec ses têtes pensantes sur la question – les Mérieu, Baudelot, Establet, Dubet, Wierviorka, Pennac (dont l’éloge des cancres a ravi les beaux quartiers). Pendant longtemps, non seulement ils niaient toute dégradation, mais expliquaient que les « réacs-publicains » ne comprenaient rien et qu’au contraire le niveau ne cessait de « monter ». Et ils faisaient la loi. Laurent Lafforgue, l’un de nos plus brillants mathématiciens, médaillé Fields, fut exclu du Haut conseil de l’Education en 2005 parce qu’il osait dire que « notre système éducatif public est en voie de destruction totale » à cause des « experts de l’Education ».

Pour avoir trop duré, ce mensonge ne pouvait être éternel. Il n’y a pas plus de socialisme que de que pédagogisme dans un seul pays : le développement des comparaisons internationales ont fini par révéler la désastre croissant des performances des élèves français. Dans la maîtrise du langage, parlé et écrit, mais aussi en mathématiques : un bachelier de section S possède aujourd’hui trois fois moins de connaissance qu’un bachelier de la section C du début des années 70. Une baisse de niveau qui a d’ailleurs finit par se retrouver, une génération après, chez les jeunes enseignants. Un rapport de l’Inspection générale notait en 2013 qu’en primaire « la majorité des maitres ne dispose pas des cadres théoriques minimaux, ce qui ne leur permet pas d’être lucides quant à leurs pratiques  » et qu’il leur manque « des compétences importantes que la formation ne leur offre pas ». Ce que tout parent peut vérifier depuis une dizaine d’années en découvrant fautes de grammaire et d’orthographe dans les messages écrits par certains enseignants dans le carnet de correspondance de leurs enfants. En une génération s’est effondré un système encore considéré comme l’un des meilleurs du monde au début des années 80, quand Najat Vallaud Belkacem s’apprêtait à entrer au collège. Et un effondrement qui ne tient pas aux « moyens », l’école française coûtant 15 % plus cher par élève que la moyenne de l’OCDE tout en sous-payant ses enseignants.

Vincent Peillon restera dans l’histoire de l’école française pour avoir été le premier ministre de l’Education de gauche (Luc Ferry avait été le premier à droite) à reconnaître en 2013 que le niveau ne monte pas et qu’au contraire « les résultats des élèves français sont de plus en plus mauvais ». Avec, de plus, une découverte embarrassante pour la gauche : loin d’être réduite, les inégalités sociales se sont renforcées et la mobilité sociale en chute libre. Soit l’inverse de l’objectif récurrent de ces décennies de réforme de gauche. Une contre-performance – (« une performance nettement moins bonne », comme disent les pédagogistes) – qui se mesure clairement au sommet du système. La proportion d’enfants d’ouvriers, employés et paysans dans les quatre grandes écoles (Normale Sup, Polytechnique, ENA, HEC) est passé de 25 % (ce qui n’était pas rien) en 1950 à moins de 5 % aujourd’hui. Bilan : la situation antérieure n’était pas idéale mais elle est pire aujourd’hui, comme le résume Michel Onfray : « Le fils d’ouvrier agricole et de femme de ménage que je suis s’en est sorti grâce à une école qui n’existe plus. L’école d’aujourd’hui tue sur place les enfants de pauvre et sélectionne les enfants des classes favorisées qui monnaient dans la vie active non pas ce qu’il ont appris à l’école, mais ce qu’ils ont appris chez eux ».

Quand l’école n’apporte plus au plus nécessiteux ce que les autres trouvent dans leurs berceaux de familles, les bien-nés l’emportent encore plus facilement. Un désastre public qui a fait la fortune des officines de soutien privées comme Acadomia dont le chiffre d’affaires, aujourd’hui en milliards d’euros, a explosé. Tout cela parce que le sens de la méritocratie républicaine, grande conquête de la gauche française de la fin du 19ème sur l’hérédité des conditions, a été pervertie par la gauche de la fin du 20ème siècle. L’objectif de la méritocratie n’était pas que tout le monde entre à Polytechnique, mais que les talents de tous les milieux sociaux puissent y parvenir. « La seul façon d’être égal, c’est d’être égal à zéro », raillait Jean-Claude Milner dans De L’école, l’un des premiers essais à dénoncer dans le pédagogisme une imposture obscurantiste.

Préférant distribuer les signes de l’égalité – « la réussite pour tous » et autre « excellence pour chacun » – plutôt que d’œuvrer à sa réalité, la gauche scolaire doit aujourd’hui assumer une régression sociale. Une partie d’entre elle ouvre les yeux et a le courage dire « stop ! ». L’autre dit « Encore ! ». « Encore plus ! », comme le Politburo entendait dépasser les échecs du communisme par encore plus de communisme. La reconnaissance, récente, du désastre, débouche chez certains, malheureusement au pouvoir, par l’acharnement à poursuivre ce qui l’a permis. D’où cette réforme du collège et cette rage tous azimuts pour éradiquer les dernières traces du système méritocratique. Les internats d’excellence. Les classes préparatoires. Polytechnique. Et les bourses au mérite (décernées à 8000 bacheliers de milieu modeste à mention « très bien ») qu’il faut supprimer au nom de l’égalité pour tous…

Cette longue obstination maintenue malgré ses résultats évidents illustre le travers d’une partie de la gauche : le déni de la réalité. Un déni qui s’exprime au sommet quand François Hollande dénonce les « immobilistes » qui s’opposent une réforme destinée à « réduire les inégalités ». Un renversement typiquement orwellien : la réforme du gouvernement n’est pas une rupture, mais la continuité, l’achèvement d’une politique qui a accru les inégalités. « Le système ne fonctionne pas, on veut le réformer », expliquent les éducocrates du ministère. Non, il fonctionnait, mais il a été cassé par trente ans de réformes. Un déni de la réalité entretenu par un solide cynisme. Car bien peu de notables socialistes mettent leurs enfants dans cette école qui se défait, comme le notait déjà il y a plus de dix ans Guy Konopnicki dans l’un de ses livres (La Gauche en folie) : « Invité un soir à présenter un documentaire aux élèves de l’Ecole alsacienne, excellent lycée d’élite privée du VIème arrondissement, je me croyais, à l’énoncé de chaque nom, dans une réunion du conseil national du PS ! Tous les courants étaient représentés par leur descendance ». La gauche française reste cet univers merveilleux où l’on peut écrire une tribune sur l’excellence de l’école tout en demandant au cabinet du ministre une dérogation à la carte scolaire. Ou signer une pétition en défense de la réforme du collège en ayant ses enfants dans le privé. Un univers où il fait bon dénoncer « l’apartheid territorial », mais où personne n’aurait l’idée de proposer ce que les Américains ont su faire : le busing. Ce système transportant chaque jour les enfants des beaux quartiers dans les écoles « difficiles » (et vice versa) a eu dans nombre d’Etats américains de fulgurantes vertus pédagogiques sur les parents et a vivement motivé les décideurs publics… En France, la machine scolaire camoufle encore mieux l’inégale distribution géographique de l’offre scolaire que ses mauvais résultats. Le rapport de la Cour des Comptes sur les variations de financement reste top secret, mais l’on sait que la dépense par élève varie du simple au double selon les collèges et lycées. Et pas en faveur des collèges de zones défavorisées comme ceux de Seine-Saint-Denis où l’on en vient à recruter au niveau licence des enseignants contractuels sans formation a qui le rectorat de Créteil remettait l’année dernière un « Guide pédagogique » de trois pages leur recommandant de « s’exprimer dans un français correcte ».

Comment remonter la pente ? La solution paraît à la fois simple et incertaine. Simple parce qu’il suffirait de faire l’inverse de ce qui a détruit l’école. Revenir au fondamentaux, comme le propose Jacques Julliard [...]. Commencer par reconstruire le primaire. En restaurant les horaires nécessaires de français et de calcul. Réinstaurer les bonnes méthodes. Malgré les preuves scientifiques de leur nocivité, les méthodes pédagogistes qui ont fait tant de mal subsistent [...]. Et surtout retrouver des conditions d’enseignement normales : calme, discipline. L’autorité du maitre est abaissée en France comme nulle part ailleurs. Les fameuses enquêtes PISA insistent sur le fait qu’un élève français sur deux «  se dit gêné en classe par le bruit  », la proportion de ceux qui se plaignent que «  les élèves n’écoutent pas ce que dit le professeur  » ne cessant d’augmenter. Pour bien apprendre, l’école doit redevenir un lieu protégé, où les comportements diffèrent de ceux qui s’imposent en société. Une récente enquête du ministère de l’Education révélait que parmi les 2297 lycées généraux et technologiques français, les 36 établissements les plus méritocratiques (qui se distinguent par leur forte capacité à amener au bac des enfants qui avaient peu de chance ce diplôme) se caractérisent par un singulier trait commun. Ils traitent leurs élèves différemment : avec des méthodes et des règles qui rappellent les heures sombres des « hussards de la République ». Dans ces lycées (28 privés, 8 publics), parmi lesquels le lycée public Romain-Rolland de Goussainville, le lycée musulman Averroès de Lille et le lycée catholique Tour-Sainte dans les quartiers nord de Marseille, l’autorité règne. Leurs enseignants n’ont donc pas pour objectif principal et parfois unique de « tenir leur classe » : ils peuvent enseigner. Mais ils en ont aussi envie, restant tard le soir à l’approche du baccalauréat pour faire réviser les élèves. Comme les instituteurs de l’école d’antan, ces profs repèrent les problèmes précis de chaque élève et multiplient les attentions individualisées, avec cours de soutien et de rattrapage. Et la discipline règne : pas de retards ou d’absences injustifiées, chaque heure manquée est justifiée rattrapée. Ces rares « lycées qui font réussir » - comme dit le ministère de l’Education en reconnaissant qu’il s’agit d’exception - sont les conservatoires de l’enseignement public d’avant le désastre, tout comme les premiers pays dans les classements internationaux (Chine, Corée, Singapour, Viet-Nam) pratiquent les méthodes d’enseignement en vigueur en France il y a quarante ans.

Les bons résultats de ces « lycées d’exception » confirment les travaux anciens de Raymond Boudon et Mohammed Cherkaoui. Ces deux sociologues avaient démontré il y a quarante ans, au terme de convaincantes études internationales, que « la rigueur de la sélection scolaire bénéficie paradoxalement aux élèves issus de milieux modestes ». Ils constataient qu’un renforcement des sanctions positives ou négatives (système de notation, horaires stricts, discipline, récompenses, punitions, concours) ont plus d’effet positif sur la réduction des inégalités que leur suppression, laquelle privilégie les élèves des milieux favorisés. Depuis trente ans les réformes de gauche, sous l’emprise des pédagogistes, n’ont cessé de faire l’inverse.

Transmission des fondamentaux. Choix de méthodes efficaces. Autorité des maitres. Discipline. Des mesures désespérément simples mais qui nécessitent des décideurs convaincus. C’est pour l’instant l’inverse. Il leur faudrait d’abord reconnaître les erreurs du passé. Ils ont sont loin. Il leur faudrait aussi de l’obstination, au delà des slogans de l’instant. Et du temps : le rétablissement ne se verra que sur le long terme. Mais ces mesures simples réclament quelque chose d’encore plus difficile : de la considération pour le savoir désintéressé. Du respect pour ceux de ceux qui s’y consacrent. Alors que des élèves chahutent aujourd’hui leurs profs sur leurs salaires de pauvres boloss, la désinvolture rigolarde de Najat Vallaud-Belkacem à l’égard de ces derniers (« Enfin, ces gens, ce n’est pas l’argent qui les attire, sinon ils ne feraient pas enseignants ! ») et le cynisme d’Emmanuel Macron (« Les jeunes français doivent avoir envie de devenir milliardaires ») ne facilitent pas les choses. D’autant plus que le mépris affiché à la fois pour les « pseudo-z-intellectuels » et pour les enseignants s’opposant à la réforme renvoyés dans leurs établissements par décret a laissé une blessure profonde. Elle reste au cœur de cette querelle de famille surgit au sein de la gauche enseignante. Et l’on sait que les querelles de famille sont les plus longues et les plus vénéneuses. Il est urgent de prendre de la hauteur comme y invite l’initiative commune des trois anciens ministres de l’Education François Bayrou (fil de paysan), Jean-Pierre Chevènement (fils d’instituteur) et Luc Ferry (fils de mécanicien auto) se retrouvant autour de la définition de l’école républicaine donnée en 1945 par Paul Langevin (« la promotion de tous et la sélection des meilleurs »). Et appelant au retrait du décret de réforme du collège : « Sur des sujets aussi graves, aucun gouvernement n’a la légitimité de décider sans débat. Les citoyens sont en en droit de l’obtenir et d’y participer »."

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