Elisabeth Badinter, philosophe. 20 juin 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] En 1989, pour inciter les enseignants à résister au voile à l’école, nous avons publié avec Régis Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler « Profs, ne capitulons pas ! » dans Le Nouvel Observateur. Nous avons été mis au pilori par le Parti socialiste. J’ai reçu des appels de gens que je connaissais bien, qui s’indignaient de cette démarche et m’expliquaient que je faisais le jeu de Jean-Marie Le Pen… Ceux qui étaient au pouvoir ne nous ont pas soutenus, le Conseil d’État a tranché sans trancher, beaucoup pensaient qu’il suffirait de parler à ces jeunes filles pour les faire revenir dans l’état commun, qu’il ne fallait surtout pas les sanctionner. C’est à ce moment-là qu’on a baissé les bras. On ne s’en est jamais relevé. La gauche n’a pas été claire sur ces sujets. Elle s’est depuis davantage divisée. Il est resté de cette affaire l’idée - plus forte aujourd’hui qu’hier - que l’on ne peut interdire le port du voile, car ce serait une atteinte à la liberté religieuse. Seul Jacques Chirac en 2004, en faisant adopter la loi sur les signes religieux à l’école, a mis un frein à cette dérive. Pendant toute une période, les voiles se sont soumis. Mais ça n’a pas duré. La grande habileté de l’islam politique, c’est de savoir jouer avec le temps, de s’arrêter un moment puis de reprendre l’offensive. [...]
Désormais, la laïcité est de plus en plus comprise comme une contrainte et perçue comme la marque d’un prétendu « racisme systémique » de la France. Pour de nombreux jeunes gens, l’interdiction est inacceptable. Tant qu’un phénomène ne les gêne pas personnellement, ils ne voient pas l’intérêt d’interdire ou d’encadrer. « Je fais ce que je veux dès lors que je considère que c’est possible. » Il me semble que nous avons légué à nos enfants et petits-enfants une méconnaissance du concept de liberté, emportés par un individualisme qui n’a plus de limites. [...]
On ne peut pas nier le fait que le racisme existe sur tous les continents. Que des personnes appartenant à une « race » ou à un genre, qui se sentent stigmatisées et méprisées, décident de se rencontrer entre elles ne me gêne pas. En revanche, que cette pratique soit structurée et accompagnée par des syndicats me laisse perplexe, surtout lorsque cela se traduit par une interdiction faite aux Blancs d’accéder à ces réunions. Ces pratiques ouvrent une voie vers une sorte de séparatisme, voire de totalitarisme. Brandir perpétuellement son identité de victime revient à désigner des bourreaux et des salauds essentialisés. Cela ne peut que très mal finir. Ce « nouvel antiracisme » est sans doute la pire façon qui existe de combattre le racisme. [...]"
Lire "Élisabeth Badinter : « Cet attelage contre nature à gauche éclatera tôt ou tard »".
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