Tribune

Du Qatar à Londres 2012

par Annie Sugier et Linda Weil-Curiel 30 janvier 2011

Pourquoi parler aujourd’hui des Jeux Olympiques de Londres alors qu’ils n’auront lieu qu’en 2012 ?

A la différence de ceux de Pékin, ils ne devraient donner lieu à aucune contestation de type politique. Personne ne doute du fait que Londres soit la capitale d’un Etat démocratique. Pas plus qu’on ne remet en cause le fait que les Anglais aient été les inventeurs du sport moderne avec ses règles uniformes. C’est de leur génie du commerce qu’est né le phénomène de la mondialisation du sport.

Alors pourquoi en parler maintenant en dehors de toute actualité ?

Parce que, à lire ce qui s’écrit aujourd’hui à propos du choix du Qatar pour un événement sportif prestigieux, le Mondial de foot 2022, mais aussi pour le Mondial de handball 2015, on ne peut qu’être inquiets sur l’évolution du monde du sport. S’il est trop tard pour peser sur la stratégie des fédérations internationales qui ont fait ces choix, il ne l’est pas pour que le CIO et les organisateurs des JO de Londres entendent notre voix.

Les débats sur le choix du Qatar sont en effet révélateurs d’un angle mort de la réflexion sur le sport, celui des valeurs qu’il est censé promouvoir. « Attribuer la Coupe du Monde au Qatar est un signal fort d’intégration du monde arabe dans la mondialisation, c’est un moyen de lutter contre la théorie du choc des civilisations », écrit le directeur de l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), Pascal Boniface (“Rebonds” de Libération, 21 janvier 2011). Or la question est celle des valeurs qu’on veut défendre. Si l’intégration du monde arabe, ou plutôt celle des pays islamistes, signifie pour les femmes, donc aussi pour les hommes, perdre ce qu’on a mis des lustres à obtenir, une société démocratique et laïque qui tende vers la parité, quel visage de la mondialisation se prépare-t-on à nous montrer à Londres ? Le CIO et les organisateurs sont-ils décidés à appliquer les termes de leur propre Charte fondée sur les valeurs universelles ou n’est-elle qu’un paravent qui masque les compromis de tous ordres avec les dictatures de la planète ?

Les questions que nous posons touchent au modèle d’intégration sociale dont la Charte est porteuse et qui permettent de dépasser les différences culturelles et religieuses. Ces questions touchent à des sujets sensibles : la place des femmes et les stéréotypes sexuels bannis par la Charte.

Verra-t-on encore à Londres comme à Pékin des délégations telles que celles d’Arabie Saoudite et du Qatar ne comportant aucune femme, en contradiction avec le principe n°5 de la Charte, qui impose le rejet de toute forme de discrimination y compris de sexe ? Verra-t-on à Londres comme à Pékin des bataillons de femmes portant le voile islamique alors que la règle 51 de la Charte interdit toute expression politique ou religieuse dans les lieux olympiques ? Le CIO continuera-t-il en catimini à cautionner les Jeux de la ségrégation destinés aux femmes des pays islamiques, qui sont organisés tous les quatre ans par Téhéran ?

Et plus généralement encore, les JO de Londres seront-ils ceux de la parité hommes-femmes en nombre d’épreuves et de médailles attribuées et non pas seulement en nombre de sports représentés ? Les JO de Londres seront-ils ceux du respect des minimas fixés par le CIO pour la représentation des femmes dans les instances dirigeantes, minimas qui devaient être de 20 % en… 2005 et que même le Comité d’organisation de Londres ne respecte pas avec pour seule femme la princesse Anne, sur 18 membres !

Le mouvement olympique va-t-il enfin s’interroger sur les images qu’il fabrique et qui renforcent les stéréotypes de genre ? Va-t-il ouvrir les yeux sur la prostitution organisée qui accompagne les grands évènements sportifs ?

Il serait temps que les ONG humanistes se réveillent et se rappellent le rôle éminent joué par le sport et le mouvement olympique pour venir à bout de l’apartheid pratiqué par l’Afrique du Sud qui fut exclu pendant trente ans des JO. A l’époque, personne n’aurait osé afficher le pourcentage croissant de participation des Noirs des autres pays africains aux JO comme indicateur de progrès.

C’est la raison pour laquelle nous demandons un geste symbolique fort : la remise par le Président du CIO de la médaille d’or du marathon, cette course mythique au cœur de l’olympisme, non seulement au vainqueur de l’épreuve masculine comme il le fait habituellement, mais aussi à celle qui aura remporté la course féminine. Ce serait une façon d’affirmer la volonté du CIO d’aller vers la parité et la mixité. Ce serait aussi une façon de rendre hommage à la première sportive qui en 1896, aux JO d’Athènes, eut l’audace de vouloir s’inscrire au marathon. Bien que cela lui fut refusé, elle courut tout de même la distance, seule et sans public. Elle s’appelait Stamata Revithi, ditee “Melpomene”.

Nous lançons un appel * au CIO et au comité d’organisation de Londres 2012 pour demander l’application stricte de la Charte olympique. Il n’est pas plus acceptable d’émettre des réserves à la CEDAW ** qu’à l’application de la Charte olympique quand il s’agit des femmes !

Annie Sugier,

Présidente du Comité Atlanta + et de la Ligue du Droit International des femmes (LDIF)

Linda Weil-Curiel

Secrétaire générale de la LDIF

* Appel soutenu par la CLEF (Coordination française pour le Lobby Européen des Femmes).

** Convention des Nations unies pour l’élimination des discriminations à l’encontre des Femmes.



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