Riss, directeur de "Charlie Hebdo". 24 mai 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Hugo Micheron, La colère et l’oubli. Les démocraties face au jihadisme européen, Gallimard, avril 2023, 400 p., 24 e.
Lire "Comment parler d’autre chose ?"
"[...] Ce qui est surréaliste en lisant La Colère et l’Oubli, c’est de s’apercevoir que le djihadisme – appelez ça « islamisme », « intégrisme », « salafisme » si ça vous chante – a pour objectif… de conquérir le monde ! C’est tellement énorme qu’on n’ose à peine écrire ces mots, de peur de passer pour un parano. Mais on a beau retourner le problème dans tous les sens, c’est pourtant de cela qu’il s’agit. Et dans ce monde à conquérir, nos démocraties se trouvent sur le chemin de cette idéologie. Nos pauv’ démocraties de rien du tout, petites crottes de nez qui veulent péter plus haut que leur cul depuis plus de deux siècles avec leurs belles valeurs de liberté d’expression, de conscience, de liberté religieuse ou de libre circulation des biens et des personnes. Que pèsent ces beaux principes face à une doctrine politico-religieuse qui œuvre pour un projet de société total qui dirigera tous les individus de la terre, de leur naissance à leur mort ? Quoi qu’on en pense, c’est un vrai projet de société. Et qui attire d’autant plus d’individus que notre système politique démocratique ne cesse d’être critiqué et remis en question pour un oui ou pour un non.
Le djihadisme ne se résume donc pas à quelques milliers d’excités barbichus armés de kalachnikovs qui tuent et égorgent en Syrie ou en Europe ceux qui leur résistent. Le djihadisme est avant tout un projet politique élaboré par de vrais intellectuels, qui ont, depuis des années, observé finement les points faibles de nos démocraties et savent exactement dans quelle faille il faut enfoncer le coin pour les faire éclater. On s’aperçoit, en lisant ces pages, que des concepts comme l’« islamophobie » ou le « racisme antimusulman » ont été utilisés par des leaders djihadistes en Europe depuis déjà des décennies, et qu’ils ont brillamment atteint leur objectif en investissant, pour ne pas dire en infectant, le débat public dans nos pays.
La complaisance du monde intellectuel
La seule nuance entre toutes les tendances de l’islamisme, du djihadisme ou du salafisme, c’est la stratégie. Une stratégie qui rappelle celle d’autres idéologies passées. Comme le marxisme au XXe siècle, le djihadisme doit-il adopter la stratégie trotskiste qui consiste à répandre ses idées partout dans le monde en créant des foyers de guérilla, à l’image d’un Che Guevara qui voulait enflammer l’Amérique du Sud en Bolivie ou l’Afrique au Congo ? Le djihadiste a parfois des airs de guérillero du XXIe siècle, qui semble fasciner une partie de la gauche actuelle, toujours à la recherche de ce qui pourrait détruire la social-démocratie capitaliste. Ou faut-il qu’il se contente de consolider l’idéologie dans sa sphère d’influence historique, à savoir le monde arabo-musulman tel qu’il est depuis des siècles, comme l’était le bloc soviétique dans les limites définies par la Seconde Guerre mondiale ?
Une chose est sûre, les démocraties n’en ont pas fini avec le djihadisme, qui les menace beaucoup plus par ses idées, ses dogmes, ses stratégies de communication que par ses bombes et ses balles de kalachnikov. Les réponses militaires ou policières ont déjà atteint leurs limites. La riposte pour combattre cette idéologie ne pourra être qu’intellectuelle, culturelle, cérébrale. Mais que peut-on espérer de ce côté-là quand on voit l’état de désagrégation et de complaisance du monde intellectuel ? [...]"
Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Islamisme, Terrorisme islamiste (note du CLR).
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