(L’Opinion, 29 sept. 23). Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). 29 septembre 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Didier Leschi, Ce Grand dérangement. L’immigration en face, éd. Gallimard "Tracts", nouvelle édition sept. 2023, 64 p., 4,90 e.
"Le haut fonctionnaire, spécialiste de l’immigration, joue cartes sur table. Des faits, des chiffres contre les postures idéologiques.
Marie-Amélie Lombard-Latune
Didier Leschi aime tordre le cou aux clichés, rappeler quelques faits têtus et tendances de fond afin de sortir de l’opposition simpliste entre « une France passoire » et « une France forteresse ». L’actuel directeur de l’Office français de l’immigration et l’intégration voudrait « amener tous ceux qui veulent débattre de l’immigration à réfléchir ». S’il se présente en technicien de la matière, livrant « une analyse équilibrée », l’ancien jeune trotskiste, devenu chevènementiste et ami de Régis Debray, ne joue pas au faux naïf.
Son texte, intitulé Ce Grand dérangement-L’immigration en face (collection « Tracts », Gallimard), d’abord paru en septembre 2020 et réédité aujourd’hui, porte un discours politique. « J’ai été invité à débattre par la Fondation Jean-Jaurès, avec des parlementaires de tous bords, de droite comme du PCF. Là où la demande est la plus faible, c’est à LFI et au PS. Et chez les écolos, c’est carrément silence radio », constate simplement le haut fonctionnaire. Lui a une ambition, qui résume ses convictions : « Je n’aime pas le terme de migrants. Tout l’enjeu est de refaire des “travailleurs immigrés”.
Parfois las des projets de loi à répétition (une vingtaine de réformes depuis 25 ans), il relève encore : « Le ressort des législations accumulées est sans doute la volonté de combler le vide laissé par l’affaiblissement des capacités d’intégration, conséquence de la désindustrialisation comme de l’effondrement des espérances laïques. » Voici les principaux extraits de ce document."
Lire "Asile, aide médicale, renvoi des clandestins : les vérités de Didier Leschi".
« Notre pays est loin d’être fermé »
« Nous avons un devoir d’accueil des persécutés. Il est important de le rappeler, d’autant que le droit d’asile moderne, d’où est sortie la Convention de Genève, est un héritage légué par notre Révolution. Mais ce devoir ne résout pas le problème qui nous est collectivement posé : est-il possible d’accorder l’hospitalité à toute personne qui se plaint des inégalités ordinaires du monde moderne autant que des échecs du développement ? Et si oui, jusqu’à quel point, alors que le système social auquel nous sommes attachés, l’Etat providence universel, met à disposition pour tout nouvel arrivant des accès quasi gratuit et égal à la santé, à l’éducation, ou encore à l’aide sociale pour des non-cotisants ? La réponse ne va pas de soi (...)
Mépriser la question n’équivaut-il pas à refuser de prendre en considération la souffrance des gens ordinaires sur qui pèse l’essentiel de la charge de l’accueil ? »
« Contester l’existence d’un “Grand remplacement” n’implique pas d’éluder les difficultés sociales que la prise en charge des immigrations peut générer (...). L’inégalité des territoires dans la fonction d’accueil en est une. 37 % des immigrés habitent l’Ile-de-France qui ne rassemble que 18 % de la population. La moitié des 7 millions d’immigrés ne résident que dans 13 départements contre 23 pour la moitié de la population dans son ensemble. Et dans des conditions de logement qui accentuent les situations de ghettos urbains. »
« Sommes-nous encore responsables des échecs ou des inégalités qui caractérisent la situation des principaux pays d’où partent les immigrés pour nous rejoindre ? Sur ce point, un pays nous touche de près. Et défraie notre actualité, tant il est une part essentielle de notre histoire, l’Algérie. »
« Près d’un résident sur dix a, dans notre pays, une origine africaine »
« Il n’a jamais eu autant d’immigrés dans notre pays, entre 9 % et 11 % de notre population (...) soit un peu plus de 7 millions d’immigrés (...) La population immigrée est deux fois plus importante que dans les années 1930. » « Nous sommes le pays d’Europe qui présente la proportion la plus élevée de personnes de “seconde génération”. En ajoutant les enfants d’immigrés nés sur le territoire français, près du quart de la population française a un lien avec l’immigration. Aux USA, souvent pris en exemple comme grand pays d’immigration, c’est 26 % ».
« Les Algériens sont nos premiers immigrés en nombre (...) Vit en France la plus grande diaspora marocaine (...) Mais le fait le plus notable de ces dernières années est l’arrivée des Subsahariens (...) Près d’un résident sur dix a, dans notre pays, une origine africaine et les descendants d’immigrés africains et maghrébins sont les plus nombreux dans la classe d’âge des dix-huit - vingt-cinq ans ». « 37 % de nos immigrés sont français, 2,5 millions sur 7 millions. Depuis des décennies, entre 100 000 et 150 000 personnes acquièrent chaque année la nationalité française ».
« L’immigration est un phénomène essentiellement urbain, 66 % des immigrés résident dans une ville ou une agglomération de plus de 100 000 habitants, contre 42 % pour les non-immigrés. Au sein de l’Ile-de-France, 17 % de la population est immigrée, et en Seine-Saint-Denis, 70 % de la population est constituée d’immigrés et de descendants d’immigrés ». « Plus de 40 % des immigrés d’âge actif ne sont pas ou peu qualifiés. »
« Beaucoup des déçus de l’asile européen considèrent que nous sommes leur dernier recours »
« Les migrations sont aussi le résultat d’une globalisation financière qui creuse les dénivellations entre nantis et laissés-pour-compte. En ce sens, les migrations ont pénétré jusqu’au cœur la question sociale. » Ces questions « ne peuvent être abordées avec comme seule boussole la compassion et la souffrance, sans risquer de faire disparaître ce droit spécifique qu’est l’asile ».
« Nous sommes moins sévères (que les autres pays de l’UE) dans l’examen des situations (des demandeurs d’asile). C’est ce qui explique que progressivement beaucoup de ces déçus de l’asile européen, plutôt que de stagner sans protection juridique dans les pays qui les ont rejetés, considèrent que nous sommes leur dernier recours.
Ils n’ont pas tort. Viennent à nous les perdants du système européen de l’asile, ceux qui ont été rejetés des pays où ils espéraient s’établir, ceux qui n’ont pas souhaité rester en Espagne ou en Italie. Ils obtiennent chez nous plus facilement le statut de réfugié qu’Outre-Rhin, qu’en Suède, qu’en Norvège, qu’en Autriche, qu’au Danemark. »
« A situation comparable, les demandeurs d’asile dans notre pays reçoivent une allocation supérieure à celle qui est versée dans la plupart des pays d’Europe. Quand ils en reçoivent une. En Allemagne, une personne hébergée par l’Etat reçoit 135 euros, en France 204 euros. En Espagne, cette allocation est de 50 euros mensuelle, les six premiers mois d’instruction de la demande. En France, le montant de l’allocation versée est immédiatement à son maximum. » « En France, le demandeur d’asile est couvert par la protection universelle maladie, dont il bénéficiera pendant six mois après avoir été débouté. Au Danemark, les biens, en particulier les bijoux que posséderait le demandeur d’asile, peuvent être saisis pour payer les frais de prise en charge. »
« La France, unique pays au monde délivrant des titres de long séjour pour soin »
« Une personne qui se maintient sur notre territoire sans en avoir le droit bénéficie pour ses besoins médicaux de ce qu’on nomme l’aide médicale d’Etat. Cette couverture santé prend en charge gratuitement bien plus que les situations d’urgence. Elle donne accès à un panier de soins quasi-équivalent à celui des résidents. A peu de chose près : sont seulement exclues de ce panier les cures et la procréation médicalement assistée. Le coût assumé en 2020 par la collectivité est d’un peu moins d’un milliard d’euros pour 320 000 bénéficiaires. Dans l’ensemble des pays européens, au-delà de l’urgence où la vie de la personne serait en danger, un sans-papiers ne peut prétendre à la même gratuité des soins et un demandeur d’asile est moins bien traité. »
« Plus encore, nous sommes, avec la Belgique, l’unique pays au monde délivrant des titres de long séjour pour soin à tous ceux qui font valoir qu’ils ne peuvent accéder effectivement à un soin dans leur pays, même si le médicament existe. En 2022, plus de 20 000 étrangers malades bénéficient ainsi d’un titre de séjour qui est renouvelé tant que les soins demeurent nécessaires. C’est une prise en charge médicale dans les mêmes conditions que les résidents, c’est-à-dire à 100 % en cas d’absence de revenus suffisants. Ces malades viennent d’abord du Maghreb et d’Afrique. Mais peuvent aussi en bénéficier des Américains n’ayant pas de couverture sociale suffisante dans leur pays ou ne pouvant s’endetter pour se faire soigner et qui trouvent les moyens de résider en France le temps de guérir. Ils peuvent être des Suisses qui, quand ils sont frontaliers, n’ont pas besoin de s’expatrier ».
« Une hospitalité pour tous est une hospitalité pour personne »
« Peut-on considérer que tous “ceux qui sont ici, sont d’ici”, c’est-à-dire que toute personne qui pose le pied sur le sol français ou européen doit être d’emblée considérée comme ayant le droit de s’installer ? » « Il est à chaque fois procédé à l’examen d’un dossier. 35 000 sans-papiers ont ainsi obtenu en 2019 un titre de séjour afin de leur permettre de stabiliser une “vie privée et familiale” déjà bien entamée ou parce qu’il est tenu compte de leur insertion sur le marché du travail. Il faut qu’ils aient fait la preuve dans la durée qu’ils peuvent subvenir à leurs besoins sans être à la charge de la collectivité. »
« Nous sommes amenés à renvoyer dans leur pays d’origine les clandestins, qui sont aux alentours de 300 000 en France. Nous avons reconduit de manière forcée 24 000 étrangers en 2019. Ce chiffre dépasse rarement les 30 000 par an. » « Aussi paradoxal que cela puisse sembler à beaucoup, le clandestin conserve des droits au-delà du respect qui lui est dû en tant que personne humaine. C’est pour cela que dans le langage politico-administratif, le clandestin sans-papiers prend de plus en plus le nom d’“étranger à droit incomplet” [sic] ».
Le post-scriptum est transparent : « Prendre le sujet de l’immigration à travers le prisme du seul nombre, afin de démontrer “qu’il n’y a pas de grand remplacement”, conduit à une impasse (...) Cette posture qui se veut vigilante n’a eu comme seul effet depuis des années que de consolider l’espace politique de ceux qu’elle prétend combattre. »
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