Revue de presse

Didier Leschi : "La seule aspiration des émeutiers est de vouloir accéder aux biens matériels" (L’Express, 6 juil. 23)

(L’Express, 6 juil. 23). Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). 10 juillet 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Selon le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, en brûlant les voitures et les transports utilisés par ceux qui travaillent, les émeutiers s’attaquent à la dignité sociale des habitants des quartiers.

Propos recueillis par Laureline Dupont

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Durant presque trois ans, de 2013 à 2016, le haut fonctionnaire Didier Leschi a occupé le poste de préfet délégué pour l’égalité des chances en Seine-Saint-Denis (93). De son expérience de terrain, ce chevènementiste a tiré la certitude que la reconquête républicaine était bien plus une affaire idéologique qu’une affaire sécuritaire. Selon lui, il manque désormais aux quartiers des hommes et des femmes de terrain capables de propager les valeurs d’un vivre ensemble enthousiasmant et émancipateur. Les pouvoirs publics peuvent bien construire et reconstruire des équipements sportifs ou culturels, tant que les forces vives qui, hier encore, aidaient à la socialisation désertent ces territoires, les émeutiers seront privés de la conscience politique qui leur permettrait de porter des revendications pouvant modifier en profondeur, et pour le meilleur, le cadre de vie dans ces quartiers. En attendant, "chacun pille pour soi, et détruit en groupe afin que les autres ne profitent plus des biens communs", se désole le directeur de l’OFFI.

L’Express : Depuis la mort du jeune Nahel, tué lors d’un contrôle de police à Nanterre, plusieurs villes et quartiers sont secouées par des émeutes, des pillages, des incendies. Quelle est la France qui se trouve dans la rue ?

Didier Leschi : Il faudra attendre un bilan plus précis à partir, en particulier, de l’analyse du profil des personnes interpellées lors des émeutes. Il s’agit manifestement de jeunes adolescents et de jeunes hommes essentiellement, même si, ici et là, quelques filles semblent avoir participé aux pillages. Il ne serait pas étonnant que nous soyons en présence de "ni-ni", c’est-à-dire des jeunes qui ne sont ni en formation ni en emploi et qui, par conséquent, s’installent dans un mode de vie où dominent les économies parallèles et une illégalité que les autorités ont du mal à sanctionner.

Cette minorité prend en otage une population qui est la première à souffrir de la destruction des biens communs du quartier. C’est aussi cette minorité qui, au quotidien, veut dominer des espaces publics faisant des femmes les premières victimes ; et pénalisant tous ceux qui travaillent ou aspirent à une vie tranquille. Le drame que ces quartiers sont en train de vivre, c’est également le drame de ceux qui se lèvent pour aller travailler. Brûler les voitures, les moyens de transport, c’est vouloir casser un certain sens de la dignité sociale. C’est un conflit qui s’exprime au sein même de ces jeunesses plurielles comme les immigrations sont plurielles.

Par ailleurs, il est aussi remarquable que dans certains de ces quartiers des femmes et mères de famille, des pères, se soient, au bout de quelques jours, organisés afin de défendre les biens communs sur lesquels ils s’appuient pour justement construire une vie digne. Ils expriment ainsi la peur d’une régression collective dans laquelle voudrait les entraîner une minorité d’émeutiers. S’ils sont comme nous tous émus par la mort absurde d’un jeune homme, ils savent bien la part de prétexte que les émeutiers trouvent dans ce drame pour justifier leur déchaînement présent de violence.

Les équipements symboles de la République sont attaqués (écoles, mairies…) : cela signifie-t-il pour autant que ces révoltes sont politiques ?

La politique, c’est essayer de convaincre les autres afin de faire avancer des revendications pour l’avenir. Nous assistons à l’exact inverse. Ceux qui détruisent n’ont pas pour ambition de convaincre voisins, parents, adultes, de la justesse de leurs actes. D’où, d’ailleurs, la chasse aux journalistes, puisqu’il ne s’agit pas de convaincre. Ces destructions n’expriment rien d’autre qu’un nihilisme qui est l’inverse d’un programme politique. C’est un "no future", un mouvement dont la seule aspiration est de vouloir accéder aux biens matériels. Il faut des chaussures de marque, des téléphones dernier cri, des écrans plats, etc. On est loin de la jeunesse de Mai 68 qui criait "Ouvrez les yeux, cassez la télé". Chacun pille pour soi, et détruit en groupe afin que les autres ne profitent plus des biens communs.

Régulièrement, on dénonce l’état d’abandon dans lequel l’Etat laisserait les quartiers. Pourtant, certains d’entre eux paraissent mieux dotés en infrastructures culturelles, sportives, que des villes de ce que Christophe Guilluy a appelé "la France périphérique".

Si les pouvoirs publics peuvent ouvrir des services publics ou rénover des bâtiments - beaucoup de choses ont été faites effectivement - ils ne peuvent pas, par l’opération du Saint-Esprit, reconstituer les forces vives qui aidaient à la socialisation et justement politisaient les populations.

Beaucoup de ceux qui aujourd’hui dénoncent l’abandon sont aussi les premiers à avoir abandonné ces quartiers. Croire que seuls auraient fait sécession les "riches" au sens économique, c’est passer un peu vite sur un entre-soi bien-pensant qui a remplacé les quartiers populaires des cœurs d’agglomération. Les villes les plus riches de France ne sont-elles pas dirigées par des élus qui sont le reflet d’une distinguée bourgeoisie culturelle, pour reprendre les catégories de Bourdieu, qui vit bien et aime compatir de loin ? Celle-là même qui se retrouve d’un coup confrontée au virilisme de l’émeute, à la violence infrapolitique et qui pense qu’en accusant les policiers de tous les maux, elle va politiser les émeutiers."


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