Revue de presse

"Des viols qui volent haut" (Riss, Charlie Hebdo, 10 jan. 24)

(Riss, Charlie Hebdo, 10 jan. 24). Riss, directeur de "Charlie Hebdo" 15 janvier 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"L’affaire Depardieu, si on en croit les médias, a donc fracturé la France pour toujours. L’affaire Dreyfus ferait presque pâle figure à côté de ce nouveau drame national. La succession de tribunes pour défendre ou dénoncer l’acteur a pris très vite des allures de farce. Le cinéma français vient de nous écrire en quelques jours un scénario aux rebondissements divertissants, joué par une distribution de comédiens au meilleur de leur forme. Il y a bien longtemps que le cinéma français ne nous avait pas autant divertis.

On découvre des acteurs qui signent des tribunes sans réfléchir, comme ils gribouillent des autographes avant de monter les marches du Festival de Cannes, et des actrices qui se déchirent pour savoir s’il faut couper les couilles de Depardieu en quatre ou en huit. Dans cette cacophonie typiquement française, on en oublierait presque qu’il existe des magistrats dont c’est le boulot de juger ce qu’on reproche au colonel Chabert. Après une telle pression médiatique, dans quel état d’esprit seront-ils pour faire leur travail ? On leur souhaite bien du courage, mais la justice n’est ni du théâtre ni du cinéma, et la recherche de la vérité ne s’écrit pas comme le scénario de Bienvenue chez les Ch’tis ou de La Grande Vadrouille.

On se demande si ce tintamarre, qui donne l’impression de vouloir guider la main des juges quand ils auront à rédiger leurs décisions, ne va pas provoquer le contraire et les inciter à défendre leur indépendance en jugeant de manière inattendue. Ce ne serait pas la première fois que la logique médiatique serait désavouée par la rigueur juridique.

Une impasse troublante
Un argument a souvent été invoqué par ceux qui accusent Depardieu de harcèlement sexuel sur les plateaux de tournage. Il s’en prenait aux faibles, situés au bas de l’échelle sociale, car personne n’aurait osé les soutenir face à un acteur au faîte de sa puissance. Schéma souvent constaté dans les affaires de viol : prédateur sexuel parce que prédateur social. Avec cet argument, l’affaire Depardieu coche toutes les cases pour devenir une grande cause de gauche, associant lutte féministe et lutte des classes. Enfin ! Il faut dire que ces derniers temps le féminisme s’est retrouvé piégé dans des impasses qui n’ont pas manqué de troubler.

Rappelons le silence assourdissant d’un certain nombre de féministes confrontés à la triste réalité des viols perpétrés sur des Israéliennes par le Hamas pendant les attaques du 7 octobre. De même, chaque fois que des meurtres atroces et des violences sexuelles en tout genre sont commis dans des quartiers populaires contre des femmes par des individus issus de classes sociales défavorisées, on entendrait voler une mouche dans les rangs des féministes de gauche, car leur embarras est grand de constater que la domination masculine n’est pas incompatible avec le statut de dominé de classe.

Dans un numéro de L’Assiette au beurre du 20 décembre 1902, le dessinateur avait représenté un prolo qui tabassait une femme avec la légende « le singe n’est pas toujours un bourgeois ». Ce qui était compris il y a plus d’un siècle semble avoir été totalement oublié par quelques défenseurs des droits des femmes de notre temps.

Le monstre sacré
Par chance, notre président de la République, lors de son intervention télévisée qui devait expliquer aux Français la réforme de la loi sur l’immigration, a eu des mots favorables pour le célèbre acteur, et opéré ainsi, de manière spectaculaire, une diversion qui entrera dans les annales. Car dès le lendemain, plus personne ne parlait de la loi sur l’immigration et tout le monde n’avait plus sur les lèvres que la quéquette à Gérard. Celle d’un monstre sacré !

Comme un cadeau lancé de son traîneau par le Père Noël, l’affaire Depardieu a opéré une convergence des luttes idéale qui permet de dégager en touche les violences sexuelles qui dérangent quand elles n’ont pas lieu dans les beaux quartiers et de ne cibler que celles qui incriminent le bourgeois, qui plus est de la caste du cinéma. Tous les ingrédients d’un bon film que nous attendons avec impatience sur grand écran."


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