Professeur d’histoire à l’université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis. 29 octobre 2009
"Daniel Lefeuvre, professeur d’histoire à l’université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et coauteur de Faut-il avoir honte de l’identité nationale ? [avec Michel Renard, ed. Larousse, 2008 (Note du CLR)], répond aux questions du point.fr.
[...] Le président du MoDem François Bayrou estime que l’identité nationale est "comme l’histoire, qu’il n’appartient pas aux politiques de l’accaparer". Qu’en pensez-vous ?
C’est évidemment l’affaire des politiques. L’État a toujours été un des acteurs majeurs de la construction de l’identité nationale. Celle-ci s’est faite autour de l’État depuis le Moyen Âge, depuis les serments de Strasbourg de 842, en passant par Philippe Auguste, Saint Louis, Philippe Le Bel et, bien sûr, François Ier, avec l’édit de Villers-Cotterêts 1539 qui impose le français dans les actes officiels de la monarchie. Les historiens sont légitimes tout autant que les syndicalistes, comme l’ensemble des citoyens. L’identité nationale est l’affaire de tous. Il n’y a pas de raison que telle ou telle catégorie de personnes en soit exclue.
Un tel débat a-t-il déjà été mené par le passé ?
L’histoire de France est pleine de ces débats. Cela s’est vu notamment au moment de la Révolution française. Quand on discute de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, quand on réfléchit sur les institutions, quand on parle abolition de l’esclavage : on débat bien évidemment de ce sur quoi la France doit reposer et de ce qui la constitue. De même, quand on examine plus tard la question de la laïcité pour aboutir à la loi de 1905. Chaque fois, cela revient à poser la question de ce qu’est la France.
Quand le ministre de l’Immigration, Éric Besson, affirme que la burqa est "contraire aux valeurs de l’identité nationale", on a le sentiment qu’il définit celle-ci par l’exclusion. Cela vous choque-t-il ?
Il y a des choses qui font partie de l’identité nationale. Il faut réaffirmer le côté positif de celle-ci. Mais, là, on voit bien que l’on entre dans le débat politique. En même temps, l’immense majorité des Français est hostile au port de la burqa, non pas tant d’ailleurs pour des raisons religieuses, mais parce que la France est historiquement le pays des femmes, le pays de la dame, le pays de la courtoisie. Déjà au XVIIe et au XVIIIe siècle, les voyageurs anglais étaient frappés par la place centrale occupée par les femmes dans la civilisation française. Or, la burqa tend au contraire à exclure les femmes. C’est pourquoi il faut affirmer la valeur de la laïcité, créer un espace apaisé et interdire la burqa pour qu’hommes et femmes partagent ensemble cet espace.
Qu’est-ce qui fait que l’on se sent français, notamment quand votre histoire familiale s’inscrit dans un autre pays ?
L’intérêt de l’identité nationale et de la nation française, c’est qu’elles excluent l’identité raciale. L’identité nationale française est ouverte. Tout le monde peut devenir français. Tout le monde a la possibilité de participer à l’histoire de ce pays. Ce qui fait que l’on se sent français, c’est, je crois, le fait de partager la langue et un certain nombre de valeurs produites par l’histoire de France.
Comment expliquer que de jeunes Français d’origine étrangère, nés sur le territoire national, ne parviennent pas à s’approprier cette identité ?
La France d’aujourd’hui a, en partie, renoncé à la politique d’assimilation, héritée du volontarisme républicain de la IIIe et d’une partie de la IVe république. On valorise le multiculturalisme, la pluralité des identités, au lieu de valoriser l’appartenance commune. Or, un pays qui a du mal à être fier de lui-même, qui se délite parfois dans l’Europe, dans le régionalisme ou dans les communautarismes, est un pays qui attire relativement peu. Il convient toutefois de nuancer ce diagnostic. Car, il y a beaucoup de jeunes, nés en France, de parents ou de grands-parents venus d’ailleurs, qui sont aujourd’hui parfaitement intégrés et porteurs de cette culture française qu’ils ont eux-mêmes enrichie. L’identité française est un héritage pluriséculaire, mais c’est un héritage vivant. Chaque génération l’enrichit avec ses propres apports. Je dis bien : elle l’enrichit, mais elle ne la refonde pas.
Comment peut-on renforcer l’identité nationale ?
Le rôle de l’école me paraît tout à fait central et, notamment, la place de la langue française, avec ses règles et avec ses contraintes. Il faut aussi renforcer l’enseignement de la littérature et de l’histoire. J’ai entendu Éric Besson rappeler le rôle central de l’histoire. Dans le même temps, je m’inquiète du fait que, dans le concours du professorat des écoles, on veuille supprimer l’histoire comme discipline obligatoire. Il y a là quelque chose de contradictoire dans la politique du gouvernement. De même, la diminution des postes au CAPES et à l’agrégation d’histoire, ou de littérature, me semble un mauvais signal. L’assimilation doit être aussi professionnelle. Or, il y a des discriminations à l’embauche, au logement, qui touchent certains jeunes issus de l’immigration africaine ou nord-africaine et qui sont contraires aux valeurs de la République, que celle-ci ne fait pas suffisamment respecter. On a là des éléments de troubles très forts. Enfin, il existe de véritables ghettos, à la fois sociaux et ethniques, que la République a laissés, à tort, s’ancrer dans son territoire. [...]"
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