Delphine Girard, professeure agrégée de Lettres classiques, fondatrice et porte-parole de Vigilance collèges lycées (VCL), membre du Conseil des sages de la laïcité, vice-présidente du Comité Laïcité République (CLR). 7 janvier 2025
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Pourquoi l’école laïque doit être une grande cause nationale".
"Qui n’attend pas François Bayrou au tournant du mois de janvier ? Agriculteurs, retraités et futurs retraités, victimes de plans sociaux, enseignants… chaque catégorie de citoyens se prépare à tenter de ramener vers soi la couverture étriquée du budget national. Mais pour passer l’hiver, notre Premier ministre devra venir à bout d’une gageure peut-être plus ardue encore que celle de trouver le Graal impossible d’un accord budgétaire : réconcilier entre eux des Français divisés bien au-delà des questions d’arbitrages économiques, bien plus profondément. De ce défi politique historique, ses premiers mots montrent bien qu’il a une conscience aiguë : « je n’ignore rien de l’Himalaya, qui se dresse devant nous, [notamment] l’éclatement notre société », disait-il à M. Barnier, « l’unité nationale est une condition indispensable pour le redressement » du pays, renchérissait-il devant l’Assemblée.
Mais comment s’y prendra-t-il ? À supposer que le nouveau gouvernement échappe à la censure, lui suffirait-il d’assurer la stabilité du pays et d’offrir enfin un cap à nos finances publiques pour redonner au peuple français, écartelé entre des extrêmes plus prépondérants et moins enclins que jamais à participer à une vie publique apaisée, une unité, un désir de construction commune, une envie de faire nation ? Assurément, non.
Et pourtant, le Premier ministre a raison de souligner combien notre pays est fragmenté, et combien ce danger plus que tout autre est à craindre, étant un défi d’avenir, un défi générationnel : il suffit par exemple de prêter l’oreille à ce que signalent tant de professeurs dans leurs salles de classe pour prendre la mesure de toutes les tensions, les incompréhensions et les violences qui traversent notre jeunesse. Tensions communautaires explosives, et plus encore depuis le 7 octobre 2023, repli identitaire croissant, et en particulier religieux, rendant l’enseignement de certaines disciplines scientifiques, philosophiques ou artistiques de plus en plus contesté, remise en cause parfois violente du savoir des enseignants, voire de l’institution tout entière, au profit de vérités alternatives et de figures d’autorité concurrentes, rixes de plus en plus meurtrières, notamment – encore… – autour des questions d’orthopraxie religieuse chez les filles… Les digues de la laïcité s’affaiblissant, les « querelles des hommes » sont de plus en plus nombreuses à pénétrer « l’asile inviolable » de l’école, au grand dam des héritiers de Jean Zay, indiquant que le pire n’est peut-être pas derrière nous…
Voilà bien qui devrait retenir d’autant plus l’attention du professeur de lettres classiques et ancien ministre de l’Éducation nationale, qui, sur le perron de Matignon, rappelait que l’école, ce « point fixe de toute [s]a vie », était par excellence le lieu où l’émancipation par le savoir rendait en principe possibles tous les changements de trajectoires et de destins, crédibles toutes les promesses que la République fait aux déshérités, et qu’Emmanuel Macron avait failli à rendre effectives malgré une campagne électorale de 2017 qui en avait fait son mantra.
Monsieur le Premier ministre qui semblez vouloir réparer les manquements d’un président de la République décevant pour les acteurs de l’éducation, décevant pour les enfants des quartiers pauvres, où – vous avez raison de le dire – les déterminismes sociaux, culturels et religieux n’ont jamais tant enfermé nos élèves dans des carcans dont l’école ne parvient plus à les libérer, nous avons en effet, professeurs de la République, besoin de votre soutien, et de celui de la nation tout entière ! Car pour tenir ses promesses d’émancipation, l’école doit pouvoir retrouver confiance, confiance en elle-même et confiance en l’Institution : bouleversés dans leur chair par les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard, conscients que l’école, attaquée dans son principe même, est devenue la cible privilégiée des islamistes et le terreau de toutes les divisions qui traversent notre société, les enseignants s’autocensurent, éludent, contournent, émondent leurs cours de tout ce qui pourrait susciter la polémique, de tout ce qui pourrait choquer et déplaire aux religieux ou aux communautaristes de tous bords. Et ceux-là sont nombreux, y compris parmi nos propres élèves, qui majoritairement ne comprennent plus en quoi notre laïcité protège leur esprit en formation, leur permet de s’ouvrir au monde et aux autres, leur offre la liberté de choisir leur identité. Élisabeth Borne, au moment de prendre place rue de Grenelle, a du reste reconnu et pointé sans retard l’enjeu majeur que constituait le respect de la laïcité pour l’école. Un courage politique de bon augure !
Voilà bien d’ailleurs un sujet, M. le Premier ministre, qui pourrait être un puissant ferment de concorde nationale dans votre quête de réconciliation des Français, la laïcité ! Que font d’ordinaire les dirigeants en mal d’unité au sein de leur pays ? Ils redonnent au peuple une identité commune, leur offrent des figures de proue, religieuses ou historiques, rebâtissent un narratif national. Pour assurer la stabilité de son règne en succédant à César, Auguste s’efforça de faire oublier des décennies de guerres civiles en bâtissant massivement des temples, en remettant les anciennes coutumes romaines au cœur de la vie publique et en commandant l’Énéide à Virgile… Mutatis mutandis, nous avons pour temples de fières mairies, pour histoire commune la République, pour héros des Jaurès ou des Briand, et pour maison commune l’école laïque : voilà la culture nationale dans laquelle nous pourrions tous nous retrouver, et qui redonnerait confiance aux professeurs qui ont encore le courage d’enseigner les Lumières et la liberté d’expression, confiance dans notre école.
Faites par exemple de la laïcité à l’école une grande cause nationale de la République ! Dotez-la, pourquoi pas, d’un secrétariat d’État ! Il est temps de montrer que la nation tout entière se tient derrière ses enseignants, qui sont en première ligne, qui forment nos futurs concitoyens et sur qui reposent tous les espoirs pour notre jeunesse. Politiquement, cela serait un gage de fermeté donné à la droite, un message habile envoyé à la gauche républicaine, et l’opportunité de redonner à tous les Français un sentiment de patriotisme républicain unificateur… À n’en pas douter, Henri IV ne ferait pas autrement !"
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales