Contribution

Crèche Baby Loup : La République doit empêcher que ne se commette l’injustice irréparable ! (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, membre de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013). 17 octobre 2013

Avec le sort fait à la crèche Baby Loup, nous sommes en train de laisser se produire sous nos yeux une injustice irréparable dont on ne mesure pas toute l’étendue du séisme politique à venir. La crèche a été renvoyée par la Cour de cassation devant la Cour d’appel de Paris ce 17 octobre pour avoir licencié une de ses employés qui entendait y travailler en portant le voile. Elle risque, au nom du respect du principe de non-discrimination qui prévaut dans le champ de l’entreprise à laquelle elle est (incompréhensiblement) assimilée, d’être condamnée pour discrimination !

La mission de cette crèche et sa directrice ne sont rien de moins qu’exemplaires

Pourquoi risque-telle cette condamnation ? Parce qu’elle a voulu, à travers sa directrice, défendre la neutralité et la laïcité de façon exemplaire dans la réponse apportée à un besoin social essentiel, l‘accueil de la petite enfance, tout en respectant les convictions de l’ensemble de ses usagers. Parce qu’elle a voulu défendre la liberté de l‘enfant à ce qu’il ne puisse se retrouver sous l’influence de telle ou telle religion à travers sa mission d’utilité sociale et d’intérêt général qui devrait l’en protéger. Laisser faire, ne pas réagir, ne serait-ce pas précisément abandonner les droits de l’enfant, ne pas le respecter ? Ne serait-ce pas dénier sa liberté ? Le refus de signes religieux, n’est-il pas dans ce cas proportionné au but recherché en lien avec la nature de la tâche à accomplir, comme le prévoit le Code du travail ?

Il y a ici un degré d’injustice à la hauteur de ce que cette directrice de crèche a aussi d’exemplaire. Elle, qui après avoir fuit le régime de Pinochet est arrivée en France pour s’investir dans le secteur social, jusqu’à ce projet de crèche ouverte 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, dans un quartier difficile de Chanteloup-les-Vignes, destinée en priorité à ces femmes seules avec enfant, souvent immigrées, qui connaissent les contraintes des horaires décalés et du temps partiel. Une mission assumée comme un véritable combat social mené depuis vingt ans en faveur de l‘intégration sociale de ces femmes. Abandonner la crèche Baby Loup à son sort, ne serait-ce pas abandonner ces femmes aussi, voire leur émancipation, alors que la crèche sous la pression intégriste a été contrainte de déménager ? Un déménagement d’ailleurs sans certitude de pouvoir continuer à fonctionner, faute de moyens. Le Conseil régional d’Ile de France vient de refuser de subventionner la crèche.

La liberté d’association sous le veto de la religion et des pressions communautaires

Le fait qu’une crèche se voit imposée, par une de ses employées l’expression ostensible de sa croyance, pour mettre l’établissement en situation de servir à travers sa mission collective à la propagation d’une religion auprès de ses usagers, enfants et parents, ne serait pas non plus un problème ? Sans compter encore avec le fait, que cette manifestation de sa religion par cette employée se trouve en opposition totale avec les buts et valeurs définis par l’association qui gère cette crèche, niant totalement son caractère propre dans le silence de la loi. Comme le dit Robert Lafore, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux dans les ASH : « Il y a une nécessaire affinité entre membres qui dynamisent l’action associative. Et c’est un problème que, d’imposer, au nom de la non-discrimination, un salarié professant ouvertement des options contraires. » C’est tout simplement nier l’autonomie du caractère propre des associations, et rendre impossible à partir du moment où elles se dotent d’employés, qu’elles se déclarent laïques. Les associations confessionnelles n’ont effectivement rien à craindre, elles en ont le droit, celui selon leur caractère propre, buts et valeurs, d’imposer à leurs employés de respecter le dogme qu’elles professent !

Le droit individuel d’expression religieuse, y compris par l’entremise de signes ostensibles, serait ainsi comme supérieur à tous les autres pour imposer la division là où il y avait la concorde ? Comment oublier l’effet collectif de cette demande qui s’inscrit dans une logique qui est celle des revendications communautaires religieuses visant à peser sur la règle commune ? Comment ne pas voir ici la volonté qu’on adapte de plus en plus cette dernière à la reconnaissance de droits spécifiques à des groupes qui pourraient rompre l’égalité entre les citoyens selon qu’ils appartiennent à tel ou à tel groupe ? La laïcité mais aussi la démocratie se trouvent ici très sérieusement mises en risques. Donner tort à la crèche Baby Loup, c’est encourager l’éclatement du droit de tous à la faveur d’une logique communautaire et ses groupes de pressions, dont le but est d’imposer à notre société les règles de leur religion par l’argument d’une liberté individuelle qui est, en réalité, instrumentalisée par la logique communautaire. Ce n’est donc pas la religion qui est ici remise en cause par la crèche pas plus que dans notre société, mais le fait qu’une certaine façon de vouloir imposer sa religion s’attaque au vivre-ensemble.

La discorde religieuse contre le droit de l’enfant à une éducation qui respecte sa liberté

Sous le signe de l’égalité des droits, le travail social et les politiques sociales n’ont pu voir le jour que grâce au dégagement de l’Etat et de la liberté de l’individu de la tutelle religieuse. Tous les usagers des établissements sociaux et médico-sociaux, dont des dizaines de milliers d’enfants pris en charge, ont droit au respect de leur liberté de conscience dans les droits fondamentaux qui leurs sont reconnus. Les personnels qui les accompagnent ont ainsi une obligation de neutralité au regard de leurs convictions philosophiques ou religieuses, qu’ils ne peuvent exprimer de façon ostensible. Pourquoi pourrait-il en être autrement des enfants et de leurs parents qui utilisent les services d’une crèche ? D’autant que celles-ci ont dès l’origine de leur statut épousées une mission sanitaire et sociale ?

L’éducation de l’enfant n’a pas d’âge et l’enfant mérite qu’à travers elle on le respecte ! Comme le dit Jean Jaurès dans son discours de Castres à propos de la laïcité : « La démocratie a le devoir d’éduquer l’enfance ; et l’enfance a le droit d’être éduquée selon les principes mêmes qui assureront plus tard la liberté de l’homme. Il n’appartient a personne, ou particulier, ou famille, ou congrégation, de s’interposer entre ce devoir de la nation et ce droit de l’enfant. » N’est-il pas au fondement du respect de l’enfant qu’on l’éduque à la liberté de conscience, dès ses premiers pas ?

Le caractère d’utilité sociale et d’intérêt général de la crèche incroyablement ignoré

On sait que l’Observatoire national de la laïcité, fraichement créé par l’exécutif, émet un avis défavorable quant au recours à une loi pour répondre à cette situation inique faite à la crèche Baby Loup. Ce qui n’est pas allé sans voix discordantes en son sein d’ailleurs. Pourtant, le président de la République s’y était engagé, le 8 avril dernier, en direct au journal de 20 h sur France 2. Mais cet Observatoire, que n’a-t-il pris en compte les nombreux questionnements relatifs à la dimension d’utilité sociale des crèches ! D’autant plus lorsqu’elles sont, comme celle-ci, financées au moins partiellement par subventions publiques. Elles remplissent une fonction d’utilité sociale et d’intérêt général qui implique de considérer tout autrement la relation à leurs usagers ! C’est le périmètre de définition de l’action sociale et médico-sociale des crèches qui aurait du être souligné pour faire bouger les lignes de la loi. Mais on a bien compris qu’il n’en est rien. En ces temps de préparation d’échéances électorales il est surtout question de ne pas faire de vagues. Mais que l’on se méfit de ce côté d’un effet boumerang. Et cela n’a rien pour enchanter les démocrates et les hommes de libertés, qui voient chaque jour le Front national alimenter sa roue à l’eau de cet immobilisme.

Qu’il s’agisse, de la fonction sociale de la crèche répondant à un besoin social de prise en charge d’enfants qui ne peut en faire une entreprise comme les autres, des droits des usagers dont la liberté de conscience ne saurait être violée s’agissant des enfants ou/et de leurs parents, du caractère propre de l’association qui doit pouvoir se définir ses buts et valeurs à travers l’idée de s’associer sans but lucratif qui rejoint le bien commun, rien ne peut justifier de donner raison à la volonté d’une seule employée qui manifeste des convictions totalement contraires aux valeurs de cette association pour la faire condamner pour discrimination.

Il en va de l’honneur de notre République, dite laïque et sociale !

Comme dans d’autres moments essentiels de notre histoire, c’est le fondement de notre droit, l’idée sur laquelle nous faisons société et même l’honneur de notre République laïque et sociale qui se trouvent engagés. Dans quelle considération nos concitoyens pourraient-ils donc tenir cette dernière si elle ne sert à rien quant le feu prend dans la Maison commune ? Il en va de la volonté générale et nous en appelons aujourd’hui solennellement à l’autorité de l’Etat, au gouvernement et au Parlement, afin de mettre par la loi un coup d’arrêt au risque que ne se produise ici une injustice irréparable pour la République, avec toutes les conséquences catastrophiques pour notre pacte social et républicain.

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