Avec la participation du CLR

"Convaincre les jeunes que la laïcité est la condition de la liberté" (Philippe Guittet pour le CLR, Université de rentrée du PS Paris, 9 sept. 23)

par Philippe Guittet, président de la Commission Ecole et République du CLR. 11 septembre 2023

LA REPUBLIQUE : UNIVERSALISME ET LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

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J’aborderai ce thème en traitant la question initiale qui était posée : L’ECOLE EST-ELLE TOUJOURS LE TERREAU DE LA REPUBLIQUE ?

Un rappel : la France est une Nation constituée de citoyens libres et égaux en droit et non pas constituée de communautés religieuses ou non dont l’État assurerait la coexistence dans un régime de tolérance.

Rien ne justifie ces nouvelles communautés, que certains organisent en hiérarchisant les êtres humains selon la couleur de peau et le statut réel ou fantasmé d’opprimés, entre « racisés » et hommes blancs « cisgenres » par exemple.

L’École occupe une place particulière dans notre République laïque.

Il faut relire Condorcet : « L’éducation a pour principal objet de corriger l’inégalité des conditions en offrant à tous la même possibilité d’excellence ; en offrant à chacun la capacité de juger de la valeur ou de la vérité des opinions, y compris celles du milieu où il est né ; en enseignant non pas le contraire de ce que l’on voudrait combattre, mais le moyen de se soustraire à la tyrannie des opinions auxquelles on n‘aurait pas souscrit librement » (Cinq mémoires sur l’instruction publique).

C’est sur ces bases qu’a été fondée L’École laïque avant même la loi de séparation de 1905.

Il fallait la soustraire à la mainmise de l’Église pour former des citoyens libres et émancipés.

Cette École de la République qui émancipe par le savoir, la rationalité critique et, donc forme de futurs citoyens éclairés, nous devons la protéger.

C’est ce qu’avait compris Jean Zay, ministre du Front populaire, par deux circulaires en 1936 et 1937, interdisant les signes politiques puis les signes religieux.
Il avait compris, après Condorcet que nous ne devons pas arriver à l’Ecole en affichant ses convictions, mais prêts à recevoir un enseignement qui peut ébranler nos certitudes.
C’est cette Ecole qui évite le repli sur les identités et donc toute stigmatisation et discrimination en fonction des origines religieuses.

Alors que la laïcité n’était plus un sujet au sein de l’École de la République, au-delà de la querelle École laïque-École privée, les réponses « salafistes », « fréristes », ont importé l’islamisme en France, idéologie politico-religieuse.

Ce fut d’abord l’affaire du voile islamique de Creil en 1989.
La réponse du ministre de l’Éducation de l’époque, fut d’interroger le Conseil d’État.
Celui-ci, condamna le seul prosélytisme, bien difficile à repérer pour les chefs d’établissement, les directeurs d’école et les enseignants !

Il a fallu attendre la loi du 15 mars 2004, édictée en application du principe de laïcité, qui interdit le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse à l’École.
J’y ai pris une part très active en tant que secrétaire général du SNPDEN-UNSA, le principal syndicat de personnels de direction.
J’ai participé à la rédaction de la circulaire d’application de cette loi qui indique que « la loi est rédigée… de manière à répondre… à d’éventuelles tentatives de contournement de la loi »

C’est le cas de l’abbaya.
Comme le dit Gilles Kepel, « l’abbaya n’a pas été portée de toute éternité : elle a été mise à la mode par les salafistes… au milieu du XXe » ou comme dit Kamel Daoud « cette tenue n’est pas celle d’ancêtres fantasmés mais l’uniforme de manipulateurs expérimentés et de communautaristes ingénieux ».
Nous saluons donc sans réserve la note de service qui interdit l’abbaya et le quamis dans les établissements scolaires.
La question laïque ne s’arrête, bien sûr, pas là : des contestations d’enseignement s’expriment dans de nombreuses disciplines.
La formation et le soutien des autorités sont donc essentiels.
C’est la condition pour que l’École puisse émanciper en aidant chacun à se distancier des pressions sociales et culturelles.

La principale discrimination dans l’Ecole est sociale et ethnique.
Selon l’OCDE, la France est un des pays où l’origine sociale explique le plus les différences de résultats. Cela ne correspond pas à la promesse républicaine de correction des inégalités sociales, d’égalité des chances et de promotion par le mérite.
Les raisons en sont nombreuses et je n’ai pas le temps de les aborder dans cet exposé. Je vous invite à me lire sur le site du Comité Laïcité République (SNPDEN "Ré-instituer l’Ecole de la République" (Ph. Guittet, Direction, SNPDEN, juin 2023)).

En premier lieu, il faut profiter de la baisse des effectifs globaux dans l’Ecole, pour réduire drastiquement le nombre d’élèves par classe en maternelle, dans le primaire, mais aussi dans les premières années du collège.
Surtout il faut permettre la mixité sociale et scolaire.
Ce devait être le grand enjeu du précédent ministre. Au lieu de cela son avancée se fait à petits pas.
La mixité sociale est pourtant un enjeu contre une ghettoïsation, renforcée par les stratégies d’évitement scolaire.
Le privé sous contrat recrute les élèves les plus favorisés sans avoir à respecter les règles de carte scolaire de l’enseignement public.
La loi Guermeur, en instaurant le « caractère propre », donne à cette École privée toutes les raisons de ne pas appliquer les mêmes règles que l’École laïque.
Nous avons entendu les vociférations de la droite qui y voit une nouvelle agression contre l’École qu’elle appelle « libre ».
Le privé, pour accueillir plus de boursiers - les meilleurs -, non pour se plier à la carte scolaire, indique qu’il ne le fera qu’avec de nouvelles subventions.

Un autre combat sans relâche doit être mené contre les discriminations, celui contre le harcèlement scolaire renforcé par l’usage des réseaux sociaux.
Il faut lutter enfin contre les discriminations lors des stages et bien sûr après lors de l’embauche.

Pour combattre les distinctions sociales, il faut ré-instituer l’Ecole de la République.
L’École de la République doit être conçue comme le lieu où l’on apprend à s’approprier les mots, puis à maîtriser les savoirs élémentaires (lire, écrire, compter, vivre en société), pour permettre ensuite de couvrir tous les champs du savoir et du questionnement scientifique.
Il faut retrouver pour tous les élèves, sans distinction, l’ambition culturelle des programmes.
Donner des mots émancipateurs à chacun, c’est aussi se prémunir contre la violence et tous les fanatismes.

L’Ecole a besoin d’enseignants convaincus de la dimension émancipatrice de leur enseignement.
Mais pour cela, il faut une volonté politique et un désir de la société pour redonner tout son sens à l’École et à l’émancipation par l’acquisition des savoirs.
L’urgence est donc de reconstruire la formation des maîtres dont le recrutement connaît une crise sans précédent.

Mais la première urgence est de convaincre les jeunes que la laïcité est la condition de la liberté.
Convaincre que l’École publique laïque doit être celle d’un espace impartial, indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique.
Il sera difficile de convaincre ceux qui font passer la loi de dieu avant celle de la République.
Mais pour une partie des autres, il faut convaincre ceux qui voient dans les lois de la République des entraves systémiques à l’expression d’une identité.
Ceux-ci sont souvent imprégnés par le modèle sociétal anglo-saxon, et surtout par une vraie méconnaissance du modèle républicain, confondant tolérance œcuménique et laïcité.
Ce discours, malheureusement porté et soutenu par une partie sensible de la gauche, est en profonde rupture avec l’histoire laïque de ce courant.
Je compte sur vous pour que toute la gauche renoue avec son Histoire.


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Faut-il réviser la loi de 1905 ? (7 février 2007) (note de la rédaction CLR).



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