(Marianne, 8 août 24) 11 août 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Condamné à disparaître de la langue française, le passé simple lutte pour sa survie".
Dans ce quatrième numéro, « Marianne » s’intéresse au passé simple. Temps du récit par excellence, les adultes le contournent par tous les moyens, de peur de fauter. Les ados l’éliminent. Alors que les enfants, eux, en raffolent.
Par Frédéric Pennel
Il était une fois un temps qui vivait son âge d’or : le passé simple. Au XVe siècle, on l’utilisait sans doute à l’oral dans le quotidien. Mais, soudain, arriva l’imprimerie. Commença alors une lente déconnexion de l’écrit et de l’oral. Le passé simple se spécialisa dans les livres tandis que le passé composé s’imposa peu à peu dans l’oralité. Il faut dire que les Français ont un faible pour les auxiliaires… « Depuis le Moyen Âge, les formes synthétiques issues du latin s’affaiblissent en français, confirme le linguiste Gilles Siouffi. Il y a ainsi une multiplication des auxiliaires qu’on voit dans la voix passive. D’où l’essor du passé composé, mais aussi, au futur, des formes telles que “tu vas aller” plutôt que “tu iras”. »
À l’oral, plus personne n’est en mesure de se lancer dans un long récit au passé simple. Même les orateurs les plus assurés ont la langue tremblante. En 2022, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, fut sommé de conjuguer le verbe « courir » au tableau. Las, devant les caméras de télévision, il écrivit « il coura » plutôt que « il courut ». Quelle déconvenue de la part de ce ministre, ardent défenseur de ce temps ! Plus personne ne s’y risque, et le passé simple reste cantonné à l’écrit. Et encore. La presse l’a lâché et la littérature lui est parfois infidèle.
Le choix du passé composé par Albert Camus pour écrire l’Étranger en 1942 marqua un tournant. Même Jean-Paul Sartre commenta ce choix, alors audacieux. Ce n’est évidemment pas par paresse, pour s’épargner ses terminaisons foisonnantes, que Camus délaissa le passé simple. Non, il voulait relier son récit passé au présent. Car un passé simple n’est pas un passé composé. Le premier désigne une époque révolue alors que le second reste relié au présent. Pour tenter de s’y retrouver, des grammairiens instaurèrent la règle des vingt-quatre heures. « Napoléon mourut en 1821. Je l’ai lu il y a deux heures. » Une règle vaine car inappliquée.
« Un attrape-imaginaire »
Avec sa concision, ce passé simple aurait de quoi séduire notre époque pressée. D’ailleurs, son cousin espagnol ou son équivalent anglais, le prétérit, restent plébiscités. « Cela crée un problème pour les traducteurs vers le français, constate Gilles Siouffi. Comment traduire le prétérit ? Par du passé composé ou du passé simple ? » Selon le choix, le texte change de ton.
Et s’il n’y avait que la concurrence du passé composé… Pour contourner le passé simple, tous nos temps sont mis à contribution. À commencer par le présent de narration. Le poète Alain Borer le désigne comme le « présent du JT de TF1 ». « Au début de la nuit, les pompiers arrivent sur les lieux de l’incendie. » Même le futur s’utilise au passé : « Les Brésiliens l’emporteront finalement aux tirs au but. » Voire le futur antérieur : « Robert Badinter aura siégé neuf ans au Conseil constitutionnel. » Comme si tout valait mieux que le passé simple, ce mal-aimé de l’indicatif. Jugé daté, compliqué et extravagant.
Ce temps a pourtant trouvé un ultime refuge : l’enfance. « La princesse est née » ne vaudra jamais « la princesse naquit ». Le passé simple demeure l’irremplaçable temps des contes. « Chez les enfants, le temps du récit est un attrape-imaginaire qui projette le récit dans une dimension surnaturelle, soutient Gilles Siouffi. D’ailleurs, on trouve souvent du passé simple dans leurs rédactions, avec un festival de fautes… Mais une fois adolescents, les jeunes le délaissent. » Par mimétisme, les ados le trouvent trop baroque. Mais si ce passé simple survit encore, n’est-ce pas parce que nous sommes tous de grands enfants ?
Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier Marianne "Disparu du français" (été 24) dans Langue française dans Être Français (note de la rédaction CLR).
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