24 septembre 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"S’il fallait une preuve que l’extrême droite, le catholicisme et l’islam conservateurs se retrouvent au sein des mêmes combats, on en a eu un aperçu des plus évidents cette semaine en Belgique. Alors qu’un décret a été voté, qui propose aux élèves de sixième et de seconde de suivre des modules d’éducation à la sexualité, 2 000 personnes ont manifesté à Bruxelles dimanche dernier pour s’y opposer, et huit écoles ont été incendiées. Retour sur les militants à l’origine de cette panique morale.
Laure Daussy
Lire "Complotistes, cathos et musulmans conservateurs belges, tous unis contre l’éducation sexuelle".
A priori, les personnalités qui se succèdent à la tribune, ce dimanche 17 septembre près de la gare centrale de Bruxelles, n’ont strictement rien en commun. Se côtoient des chantres de l’intégrisme catholiques opposés à toute immigration et des ultra-conservateurs musulmans. Qu’est-ce qui peut bien les réunir ? La lutte contre l’éducation sexuelle à l’école. Ils étaient 2 000 à manifester dans la capitale belge contre Evras, le programme d’« Education à la Vie Relationnelle Affective et Sexuelle », module que doivent suivre les élèves de 6e et de seconde en Belgique francophone. Preuve de l’extrême crispation que crée le débat en Belgique, des inscriptions « No Evras » ont été retrouvées dans au moins quatre écoles incendiées – une enquête est en cours.
Depuis plusieurs semaines, des militants se mobilisent, propageant mensonges et contre-vérité sur les réseaux sociaux. Une vive réaction qui rappelle celle des « journées de retrait de l’école », organisées en France au moment des « ABCD de l’égalité » mise en place par le ministère de l’Éducation nationale de Najat Vallaud-Belkacem en 2013. À l’époque déjà, l’initiative avait créé une alliance entre extrême droite et musulmans conservateurs.
Ce dimanche dernier à Bruxelles, parmi les tribuns venus dénoncer ces programmes Evras, on trouve notamment Radya Oulebsir, une militante islamiste franco-algérienne, mobilisée depuis plusieurs mois, via sa chaîne Youtube, « Omrri Omrri » aux 14 000 abonnés. C’est elle qui a déposé l’autorisation pour la manifestation, comme elle le précise dans une de ses interventions, preuve qu’elle joue un rôle non négligeable dans la mobilisation. Elle se présente comme une mère de quatre enfants, fondatrice du cercle de la Boétie, une « association d’éducation pour la jeunesse ». Parmi ses autres chevaux de bataille, la défense de l’imam Iquouissen, proche des Frères musulmans, expulsé de France en 2022. Et son discours à propos de l’Evras est des plus caricatural : elle le présente comme le « décret de l’enfer ». « C’est bel et bien la famille traditionnelle, ancestrale, qui est attaquée à la racine » dit-elle.
Homophobie et antisémitisme
Elle assure par ailleurs être « féministe », – si si ! – tout en s’opposant virulemment à l’IVG qui serait l’apanage des « ultra-féministes ». Elle s’en prend au « lobby LGBT » : « Ils acquièrent des droits qui n’ont ni queue ni tête et en concurrence constance avec la classe des hétéros », « Ils enfreignent les platebandes des familles hétérosexuelles »… Elle s’en prend par la même occasion au « lobby des intégristes laïcardo-athéistes » qui « ont fait une OPA sur l’école publique ».
Il faut aussi se plonger dans un de ses podcasts, où elle pousse plus loin encore ses saillies conservatrices. « Le droit des homosexuels devrait s’arrêter là ou commence le droit des familles nucléaires », dit-elle. Elle loue le courage des jeunes filles qui affirment vouloir rester vierges, dénonce le « manque d’intelligence » des jeunes femmes « qui se dénudent » : « On ne peut pas faire les connes et se plaindre qu’on nous harcèle » assène-t-elle, fustigeant pêle-mêle les « mœurs décadentes » et les « valeurs de dépravation ». Dans une de ses vidéos, elle flirte avec l’antisémitisme en s’en prenant violemment au Crif et à la Licra : « Le commerce de la pleurniche, sur les martyrs juifs des camps de concentration, il y en marre, on a eu aussi nos martyrs, nous ! ».
Mais elle n’est pas la seule à s’être mobilisée ce dimanche-là. Toute une galaxie d’organisations musulmanes très officielles est présente. Un communiqué commun à six institutions, repris sur la page Facebook du Conseil de coordination des institutions islamiques de Belgique, a d’ailleurs été diffusé. Parmi elles, la Diyanet de Belgique, c’est-à-dire les représentants des mosquées turques, ou encore la Fédération des Mosquées Albanaises de Belgique, l’Associations des Mosquées Africaines de Belgique, l’Union des Mosquées de Liège, la Communauté Islamique Bosniaque de Belgique. « Nous craignons que le programme EVRAS puisse éroder la liberté religieuse et les droits des parents à guider l’éducation de leurs enfants conformément à leurs croyances », écrivent-ils. Le Collectif pour l’inclusion et contre l’islamophobie en Belgique a également relayé des appels contre Evras, de même que le site Musulmans.be.
Catho-conservato-complotistes
Face à cette mobilisation communautaire, une présence détonne : celle d’Alain Escada, président de Civitas, groupe catholique intégriste devenu parti politique, farouche opposant au mariage des personnes homosexuelles, sous le coup d’un processus de dissolution en France depuis début août pour des propos antisémites. Parmi ses dernières mobilisations, la lutte contre un projet de centre d’accueil pour réfugiés à Saint-Brévin, ville où le maire a vu son domicile incendié par des militants d’extrême droite. A la tribune, Escada dénonce un « projet mondialiste qui va vous imposer un nouvel ordre mondial sexuel ». Mais rien d’étonnant à cette alliance entre catho intégristes et musulmans conservateurs, ils se retrouvent sur un point commun : la défense des valeurs réactionnaires.
S’ajoute à ce beau monde la sphère complotiste qui partage les mêmes paniques morales que l’extrême-droite. Ainsi, la RTBF a identifié la mobilisation de pages Facebook tels que "Bon Sens Belgique", une page qui milite contre la vaccination contre le Covid et qui s’est mobilisé contre Evras. Illustration de plus de cette convergence conservatrice : "Bon Sens" invitent prochainement Radya Oulebsir pour une conférence. Parmi d’autres personnalités ou organisations, la mobilisation de Karl Zero, du média alternatif Kairos et de l’association Innocence en danger, grand propagateur de la théorie des élites pédocriminelles. Et comme les rappeurs sont désormais abonnés aux combats conservateurs – Booba n’a-t-il pas félicité Zemmour pour ses propos contre le « lobby LGBT » – c’est Rohff qui, cette fois-ci, s’en est mêlé, via plusieurs tweets : « Il est où le respect de nos valeurs, de la pudeur qu’on inculque à nos enfants ? ».
Comme lors des JRE, tout ce petit monde a aussi propagé des fake news. Notamment celle selon laquelle le programme inciterait les enfants à envoyer des sextos. Certains propos issus d’un guide destinés aux animateurs Evras ont été détournés ou mal compris. Le chapitre intitulé « pornographie », par exemple, ne consiste pas à faire visionner des films pornos, mais évidemment de permettre de s’en prémunir, dans une société où les plus jeunes y ont de plus en plus accès. Il s’agit, d’après le guide, de « distinguer la sexualité dans la vie réelle et la sexualité dans les médias », ou encore de « reconnaître que la pornographie est de la fiction et que cela ne correspond pas toujours à une vision réelle de la sexualité ».
Une « banalisation de la transidentité » ?
Reste une autre mobilisation contre Evras, celle de l’observatoire de la Petite sirène, (OPS) association implantée également en France et présenté dans la presse comme soutien de cette manif. Interrogée par Céline Masson, psychanalyste à l’origine de l’observatoire prend ses distances. « L’OPS n’a jamais appelé à manifester. Un avocat a très mal représenté la branche belge de l’OPS en déposant un recours en même temps que d’autres associations militantes et nous le regrettons vivement car nous ne souhaitons pas nous associer à des associations homophobes anti-gay et d’extrême droite » nous explique-t-elle.
Les membres de l’Observatoire assurent qu’ils ne s’opposent en rien à l’éducation à la sexualité, mais à la « banalisation de la transidentité » présente dans les modules d’Evras. Parmi les enseignements visés, par exemple, ceux qui présentent l’ensemble des « identités de genre (cisgenre, transgenre, homme, femme, non-binaire, agenre, etc.) », pour un public de 9/11 ans, et affirment par la même occasion « l’importance de l’autodétermination ». Le guide semble assez (trop ?) militant sur certaines questions, qui ne font pas l’unanimité, y compris chez les féministes et les progressistes. Une chose est sûre, un univers sépare les concepteurs de ce programme et les familles ultra-conservatrices qui veulent maintenir leur enfant dans l’ignorance la plus totale face aux questions du corps et de la sexualité."
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