Revue de presse

"Comment sortir de l’emprise juridique de l’Europe" (Marianne, 21 mars 24)

(Marianne, 21 mars 24) 25 mars 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Auditionné par les juges du Conseil d’État en novembre 2023, l’ancien ministre Arnaud Montebourg a pointé leur propre responsabilité dans la « mutilation juridique » de la souveraineté française. « Marianne » révèle le contenu de sa note… que l’institution a refusé de publier.

Par Hadrien Mathoux

JPEG - 77.3 ko

Lire "Il tape sur le Conseil d’État : comment Montebourg veut sortir la France de l’emprise juridique de l’Europe".

Ça ne pouvait pas bien se passer. Lorsqu’ils ont convoqué Arnaud Montebourg pour une audition, fin novembre 2023, les juges du Conseil d’État ne s’attendaient sans doute pas à ce que le passage de l’ancien ministre de l’Économie tourne à ce point au vinaigre. La confrontation était en réalité inévitable, au regard de l’angle d’attaque choisi par le chantre du made in France : invité à s’exprimer sur les causes de la perte de souveraineté du pays, Montebourg a pointé le rôle… du Conseil d’État. [...]

Face au Conseil d’État, Montebourg a enfourché un nouveau cheval de bataille : la dénonciation de la « souveraineté juridiquement mutilée », du fait de la « dépossession sérieuse et continue des pouvoirs appartenant au législateur », c’est-à-dire les politiques élus par le peuple, au profit d’institutions juridiques qui « fabriquent à jet continu des décisions rivalisant de zèle pour écarter nos lois, relativiser leur application, interdire tout ou partie de leur contenu et inventer toutes sortes de règles afin de les rendre caduques ». Et, parmi les cinq cours suprêmes, qui sont, rappelons-le, le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), c’est le Conseil d’État que l’ex-socialiste a choisi de cibler ! [...]

À l’issue de son audition, Montebourg a adressé à Martine de Boisdeffre, présidente de la section des rapports et des études du Conseil d’État, ainsi qu’au vice-président du Conseil d’État, Didier-Roland Tabuteau, une note étayant ses positions. Coécrit avec le doctorant en droit public Samuel Seu et une équipe de « jeunes juristes universitaires », le document détaille l’argumentaire de Montebourg sur 17 pages. Si l’ex-ministre a fait part au Conseil d’État de sa « demande officielle que ces considérations » figurent dans le rapport, la réponse de Martine de Boisdeffre s’est révélée négative : le 4 janvier, la magistrate a informé l’ancien avocat que sa note, promise à « alimenter de façon fort utile » la réflexion du Conseil d’État, ne figurerait pas dans le rapport, celui-ci étant fermé à toute « contribution externe ».

Un prétexte purement politique selon Montebourg, qui estime que le Conseil d’État n’a pas aimé se voir reprocher ses propres turpitudes en matière d’affaiblissement de la souveraineté française. [...]

« La lutte contre la perte de souveraineté juridique est le plus important des combats, martèle-t-il. Les Français n’en sont pas conscients mais plus de 60 % des lois adoptées sont des transpositions de directives européennes. » Arnaud Montebourg n’est pas seul : beaucoup de spécialistes ont pointé la tendance d’un grand nombre de magistrats de haut rang à outrepasser leurs pouvoirs, prétendant dicter leur loi au législateur – et au peuple qui l’a élu – au nom d’un « État de droit » qui ressemble de plus en plus à un gouvernement des juges. [...]


La note de Montebourg en deux points

[...] Il s’attaque en particulier à deux arrêts du Conseil d’État.

Le premier, l’arrêt Nicolo, qui date de 1989, interprète l’article 55 de la Constitution pour consacrer la supériorité juridique des traités internationaux sur les lois nationales. Une décision contestable selon la note, qui puise dans la jurisprudence des exemples démontrant qu’il serait au contraire possible de faire primer la souveraineté nationale et populaire, notamment lorsque les intérêts du pays sont en jeu.

Le second, l’arrêt French Data Network, décidé en 2021, est une réaction à la décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande prise l’année précédente. Celle-ci avait estimé que les institutions européennes avaient outrepassé leur pouvoir en bafouant la souveraineté des peuples dans l’affaire du rachat de titres publics par la BCE. Le Conseil d’État, sollicité par Jean Castex, avait au contraire proclamé sa soumission en se déclarant inapte à juger de la répartition des compétences entre l’UE et la France. Selon Montebourg, « s’il fallait résumer en termes crus et cruels la jurisprudence du Conseil d’État, elle s’arroge le droit de constituer la loi nationale lorsque celle-ci contredit le droit européen, et elle refuse de contrôler les excès de pouvoir des institutions européennes lorsque celles-ci contredisent le droit des traités européens ». [...]"


Voir aussi dans la Revue de presse "Loi immigration : le Conseil constitutionnel ou le nouveau coup d’État permanent" (H. Mathoux, marianne.net , 26 jan. 24, Marianne, 1er fév. 24), Jean-Éric Schoettl : « Entre les intérêts de la France et la jurisprudence européenne, il faut choisir » (Le Figaro, 26 sept. 23), J.-É. Schoettl : "L’arrêt de la CEDH sur le rapatriement des familles de djihadistes est inacceptable" (marianne.net , 16 sept. 22), J.-É. Schoettl : « Face au fanatisme, l’État de droit ne doit plus tergiverser » (lefigaro.fr , 16 août 22), J.-É. Schoettl : « L’emprise du juge sur la démocratie est réelle » (marianne.net , 18 avril 22), J.-É. Schoettl : « Du caprice du prince au caprice du juge » (lefigaro.fr , 22 mars 22), J.-É. Schoettl : « Pour résister aux attaques contre la laïcité, une révision constitutionnelle s’impose » (Le Figaro, 7 fév. 20), Marcel Gauchet : « Remettre à sa juste place l’État de droit par rapport à la souveraineté populaire » (lefigaro.fr , 25 oct. 20), M. Gauchet : "Les droits de l’homme ne sont pas une politique" (Le Débat, juillet-août 1980), J.-É. Schoettl : Lutter contre l’islamisme impose une révision de la Constitution et une renégociation de nos engagements internationaux (Le Figaro, 22 oct. 20) , A.-M. Le Pourhiet : "Soumission à la Cour de cassation" (Causeur, nov. 18),
Notre Etat de droit nous autorise à étendre certaines interdictions (B. Bertrand, F. Braize et J. Petrilli, marianne.net , 12 jan. 17), J.-M. Sauvé : Le Conseil d’Etat "adapte" la Loi de 1905 (6 déc. 16), "Crèches de Noël et laïcité : le détricotage de la loi de 1905 continue…" (B. Bertrand, F. Braize et J. Petrilli, marianne.net , 5 déc. 16), "Le Conseil d’Etat ouvre une nouvelle brèche dans la loi de 1905" (B. Bertrand, F. Braize et J. Petrilli, marianne.net , 25 av. 16), "Laïcité : que reste-t-il de la loi de 1905 ?" (F. Braize et J. Petrilli, slate.fr , 21 nov. 13),
dans les Initiatives proches Res Publica Jean-Éric Schoettl : "La notion européenne d’Etat de droit et les souverainetés nationales" (Res Publica, 21 nov. 22) (note du CLR).


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris

Tous droits réservés © Comité Laïcité RépubliqueMentions légales