Revue de presse

"Comment le salafisme progresse en banlieue" (G. Chevrier, lefigaro.fr/vox , 23 nov. 15)

Guylain Chevrier, Docteur en histoire, ancien membre de la mission laïcité au Haut conseil à l’intégration (2010-2013). 24 novembre 2015

"Guylain Chevrier analyse comment l’islam radical prospère dans certains quartiers de Seine-Saint-Denis, et s’étonne que le salafisme ne soit pas interdit sur le territoire français.

LE FIGARO. - Abdelhamid Abaaoud, cerveau présumé des attaques de vendredi à Paris, abattu par le RAID, se cachait à Saint-Denis. Êtes-vous surpris ?

Guylain CHEVRIER. - Pas vraiment. La Seine-Saint-Denis pourrait dégager comme des ondes positives pour ces fous de dieu, même si des lieux plus neutres peuvent satisfaire à leurs desseins. Ceci étant, on sait combien ce département concentre une population issue de l’immigration où le culte musulman est particulièrement présent. On a vu s’y mettre en place un communautarisme qui fonctionne comme un marqueur, avec une tendance à la désertion de la mixité sociale, où les valeurs de la République passent à l’arrière-plan d’un religieux qui tient la place. Du MacDo 100% halal au coiffeur strictement réservé aux femmes avec une salle spéciale pour les femmes voilées [1], à l’IUT de Saint-Denis dont le directeur a été amené à fermer une salle confiée à une association communautaire transformée en salle de prière, le décor est posé.

Certains encouragent ce climat, en faisant campagne sur des thèmes comme l’abrogation de la loi d’interdiction de dissimulation du visage dans l’espace public, auquel on mélange le soutien aux Palestiniens, au ressort explosif. Sans compter encore avec le clientélisme politico-religieux qui accompagne cette évolution, sur laquelle on ferme les yeux.

La Seine-Saint-Denis, on le sait, est un de ces départements où on peut rencontrer des mosquées où le salafisme prolifère voire, où on se réclame ouvertement de l’Etat islamique. Un cadre qui peut être ressenti par des radicaux comme un milieu particulièrement favorable comme base d’organisation et de repli, de mise à l’abri, sans attirer l’attention. D’ailleurs, on apprend que le groupe a aussi pour une part, recruté en Seine-Saint-Denis. La jeune radicalisée morte lors de l’assaut, a sa famille à Aulnay-sous-Bois. Elle serait une cousine d’Abdelhamid Abaaoud, organisateur présumé des attentats, tué lors de l’assaut donné sur l’appartement de Saint-Denis. Différents éléments qui justifient, à tout le moins, une vigilance particulière.

Existe-t-il un lien entre délinquance et radicalisation ?

Le délinquant est un sujet flottant, qui est dans « le hors la loi » et en même temps, qui a une famille, le cas échéant une religion, des racines identitaires ainsi qu’un groupe d’appartenance, voire plusieurs. Il n’est donc pas hors société, mais dans une situation de fragilisation sociale. On sait que la radicalisation se développe sur la base d’un recrutement qui passe en général par la rencontre entre un schéma de pensée et une vulnérabilité, souvent passagère, altérant les mécanismes de défense de l’individu, pour l’endoctriner.

Il faut être très vigilant au regard d’une délinquance des mineurs qui est marquée par le laxisme judiciaire, qui les laisse dans l’idée d’une toute-puissance qui peut les faire se rêver en caïds, prêt à porter de l’exclusion qui joue contre eux, et en fait potentiellement des futures recrues de la radicalisation. Ces jeunes délinquants déjà en conflit avec la République peuvent être une proie facile pour les endoctrineurs, qui utilisent l’argument selon lequel elle serait contre eux parce que contre leur religion et donc un ennemi légitime, transformant leur délinquance, difficulté sociale, en instrument de guerre religieuse. L’engagement djihadiste joue alors comme une purification. Il y a là aussi un risque majeur qui est loin d’être conjuré.

Pour le Figaro Magazine, la journaliste Rachida Samouri a infiltré les foyers de l’islam radical qui se réclame ouvertement de l’État islamique en Seine-Saint-Denis. Qui sont-ils ? Sont-ils très minoritaires ?

Ceux qui ouvertement se réclament de l’Etat islamique sont certes repérés comme minoritaires, mais leur prêches s’inscrivent dans un mouvement bien plus large. Les 150 mosquées radicales (chiffre du ministère de l’intérieur) qui en France appellent à la haine, se rejoignent dans des exhortations qui fondent la violence djihadiste. Ils jouissent d’une écoute, sans jamais avoir provoqué des dénonciations ciblées et publiques de la part des autres religieux musulmans, montrant qu’ils jouissent d’une impunité dans leur propre champ d’action religieux et dans des quartiers, et même bien au-delà. Il a d’ailleurs fallu les derniers événements pour que l’on commence à prendre vraiment au sérieux les choses de ce côté. On notera l’exception notable de l’intellectuel et islamologue Ghaleb Bencheikh qui alerte sur cette situation de l’islam de France et appelle à sa façon à un « « aggiornamento » [2].

Une situation qui tend à banaliser la violence au nom du religieux. D’autant que, derrière cette violence on héroïse ceux qui partent en Syrie. Une médiatrice sociale qui intervient dans la banlieue nord, avec laquelle je me suis entretenu, expliquait rencontrer aujourd’hui, dans des réunions qu’elle organise dans les quartiers, des femmes musulmanes qui se disent admiratives de ces jeunes, qualifiés de courageux, et passent pour des jeunes pieux, modèle d’exemplarité.

Cette influence ne vient pas de nulle part, elle tient à la confusion qui règne au regard de ce qu’est l’islam. Ces imams radicaux sont pour le retour à la tradition, à une pratique de la religion qui était celle prétendument, du Prophète, considérée comme la seule « vraie » religion, fidèle aux textes. Mais où vont-ils chercher la légitimité à un tel discours et les djihadistes leur Modus vivendi ? Tout simplement dans le Coran, où on trouve des appels à la violence en faveur du jihad (guerre sainte), tels que contre les idolâtres, « saisissez-les et tuez-les où que vous les trouviez » et de façon plus générale envers les apostats et les mécréants, « Ceux qui ne croient pas dans nos versets, nous les brûlerons bientôt dans le feu » (4.56) « n’appelez point à la paix alors que vous avez la supériorité » (47.35) [3]. L’islam y est décrit comme religion et Etat, en lien avec l’affirmation d’un nouveau pouvoir politique et religieux au VIIe siècle, que le texte sacré sert, afin qu’il domine sur la terre. Chose qui est donc à replacer dans un contexte historique qui n’a plus cours, ce qui est le sentiment d’une large partie des musulmans, mais qui ne se traduit pas par une remise en cause de ces références mais le fait de les cacher, le Conseil Français du Culte Musulman lui-même ne sachant répéter autre chose que « l’islam est une religion de paix », créant la suspicion.

A vouloir absolument nous dire que le djihadisme n’aurait rien à voir avec l’islam, cela ne permet pas de désamorcer, de déjouer ce risque, cette entrée vers le terrorisme. Tant qu’un travail de désacralisation de ces références ne sera pas fait et assumé, il y aura danger.

Ont-ils une influence sur les musulmans modérés notamment les plus jeunes ?

Ils profitent du laisser-faire concernant des mouvances quiétistes et fondamentalistes qui sont à l’œuvre depuis longtemps dans les quartiers et qui ont préparé le terrain. Il est devenu banal que des musulmans fassent passer leurs valeurs religieuses avant celles de la société, dont l’extension du port du voile et la tendance à vouloir l’imposer partout est l’expression manifeste, ce qui constitue pourtant une voie d’eau de taille au regard d’une intégration bien comprise.

Cette influence tient aussi à des failles, relatives à l’absence de clarification des relations entre islam et République. Les difficultés rencontrées avec le Conseil français du culte musulman, fabriqué de toute pièce par l’Etat, croyant pouvoir ainsi mieux contrôler une religion a été un leurre dangereux, assignant à ses prises de position tous les musulmans qui dans leur diversité ne s’y sont légitimement pas retrouvés.

Autre exemple, la laïcité a progressivement été identifiée par l’Etat comme relevant d’un enseignement du fait religieux à l’école, dont elle n’a ni la légitimité ni les enseignants les clés, alors que le débat autour des textes religieux est, comme on vient de le voir, piégé. Ce qui ne peut que rajouter à la confusion et appuyer sur les différences. C’est pourtant le renforcement de cet enseignement qui a été choisi comme réponse par le gouvernement, après les tueries de janvier dernier, à côté d’une charte de la laïcité à signer par les parents, comme si elle était optionnelle, alors qu’elle n’est pas négociable. Ce qui est de la responsabilité de l’école, c’est cette mission de diffusion des valeurs et principes sur lesquels la citoyenneté se construit, l’individu autonome, celui qui fait les lois auxquelles il obéit, les affaires de la cité ne concernant l’autorité d’aucun dieu ni croyance, message qui ne passe toujours pas.

Le reportage évoque notamment le phénomène des conversions au salafisme. Le phénomène des conversions est-il marginal ou préoccupant ? Que révèle-t-il ?

Le phénomène des conversions (20 à 30% des radicalisés), correspond à un certain désarroi de jeunes des banlieues qui, par-delà l’origine, le groupe d’appartenance, se ressemblent, partagent les mêmes codes sociaux. Ils peuvent trouver là, à travers un collectif, malheureusement, une réponse à la quête identitaire de l’adolescence, surtout quand elle se prolonge en l’absence d’une intégration sociale réussie. Il y a un contexte favorable à l’emprise religieuse qui se pose en recours face à une société qui parait se déliter moralement, manque d’avenir pour sa jeunesse.

Les conversions au salafisme procèdent d’une surenchère pour le nouveau converti, tenté d’en rajouter pour donner des gages à la communauté pour trouver sa place et être accepté.

On s’étonnera que le salafisme, qui prône le retour au mode de vie du prophète, qui pratiquent la polygamie interdite par la loi, une inégalité entre hommes et femmes qui va jusqu’à effacer l’identité de ces dernières, imposant le voile intégrale et le retrait total de notre société, de façon discriminatoire, rejette la République en bloc et avec elle-même la musique… ne soit pas interdite sur notre territoire. La complaisance dont ils ont bénéficié a banalisé cette vision de l’islam, servant de cheval de Troie entre autres, au refus de serrer la main de femmes, qui se multiplie. Ce qui devrait être fermement condamnée devant les tribunaux, et qui relève d’une des entrées de la radicalisation religieuse, qu’on ne s’y trompe pas !

Peut-on parler d’un phénomène de contagion ?

Il y a en tout cas un climat de confusion et de flottement qui ne peut être que favorable à une certaine contagion et même, on ne peut l’écarter, au risque d’embrasement.

La multiplication des attaques où les armes entrent en jeu, tend à banaliser un recours à la violence au nom du religieux susceptible d’enflammer certains esprits, de les désinhiber. Il y a là des risques potentiels d‘épidémie mentale, qu’il ne faut pas négliger. Par exemple, une contagion par la connexion entre ces attaques terroristes et des groupes fanatisés dans des quartiers, entre parcours délinquant, fondamentalisme et rejet de la République, qui sont toujours prêts à en découdre avec la police. Il y a là les ingrédients à enflammer des mèches. Cette campagne d’attentats n’est pas sans chercher un écho, avec l’espoir de l’effet du détonateur, pour porter la guerre civile en France.

L’immense enjeu aujourd’hui, si nous voulons désamorcer ce risque, c’est de le prévenir par un travail de prévention qui passe pour la République par une clarification du projet qui est le sien, qui donne toute leur place aux musulmans de France, tant qu’il en respectent les principes, les valeurs, le mode de vie qui est le nôtre. Cela passe aussi par une nouvelle expression des musulmans qui se reconnaissent dans la République, dans le sens d’un rejet d’une forme de foi qui donne la primauté aux valeurs religieuses sur le droit, qui conduit au communautarisme, à la fracture sociale, et est l’un des terreau de la radicalisation. Dans cet état d’esprit, Place de la République, ce dimanche, 130 enfants venus de Villeneuve-la-Garenne, représentatifs de la diversité de nos banlieues, ont chanté la Marseillaise pour rendre hommage aux 130 victimes des attentats de Paris. Il s’agit d’une initiative de l’association Ecoute Conseil Dialogue, qui parlait de partage des valeurs de la République et de citoyenneté. Il ne peut il y avoir rien de mieux, pour éviter tout amalgame. A Strasbourg, ce vendredi, c’est dans la mosquée que l’on a chanté la Marseillaise après la lecture du texte proposé par le CFCM condamnant toute forme de violence et de terrorisme, une belle initiative, mais il manquait la moitié de ceux qui habituellement font la prière du vendredi, selon certains observateurs, à cause de la peur... Rien n’est réglé pour autant, des rapports litigieux entre islam et République, qui est une des clefs de la situation."

Lire "Comment le salafisme progresse en banlieue".

[1« Saint-Denis : ma ville à l’heure islamiste », interview de Fewzi Benhabib, Marianne.fr. Fewzi Benhabib, Universitaire, a été menacé de mort par les islamistes du FIS dans son Algérie natale. Arrivé à Saint-Denis en 1994, c’est un amoureux de la laïcité.
Voir "Saint-Denis : ma ville à l’heure islamiste" (F. Benhabib, Marianne, 16 nov. 15) (note du CLR).

[3Dictionnaire du Coran, référence « Jihad », sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi, Robert Laffont, 2007.


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris

Tous droits réservés © Comité Laïcité RépubliqueMentions légales