Yves Chiron, historien, auteur d’"Histoire des traditionalistes" (Tallandier, 2022). 13 août 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Au gré des changements de noms et de personnes, comment une mouvance est-elle passée de la défense d’une conception traditionaliste de l’Église et du catholicisme à un nationalisme teinté de complotisme ? Yves Chiron retrace dans cette tribune les évolutions idéologiques qui ont mené à ce que Civitas soit menacé de dissolution.
Lire « Civitas est passé de la restauration de La Cité catholique à la promotion du complotisme ».
Depuis l’après-guerre, plusieurs organisations laïques ont eu l’ambition de regrouper les catholiques traditionalistes dans une perspective intégraliste : restaurer une société chrétienne qui ait pour fondement l’enseignement traditionnel de l’Église. Ces mouvements catholiques se sont multipliés, bien qu’ils aient des moyens d’action souvent identiques. Leur fractionnement indique des différences idéologiques, mais surtout des positionnements ecclésiologiques divergents.
Le plus ancien de ces mouvements est La Cité catholique, fondée en 1945-1946 ; devenue l’Office en 1963. Ce fut dès l’origine une œuvre de formation doctrinale, organisée en groupes d’études, qui tenait chaque année un congrès, avec le soutien de plusieurs évêques. En 1970, l’Office refusera de prendre position contre la nouvelle messe, ce qui écartera nombre de catholiques traditionalistes.
Aujourd’hui, Ichtus, et sa devise « Former & Relier pour Agir », est l’héritier d’un mouvement qui vise à former des catholiques actifs dans tous les secteurs de la société. Ichtus refuse le militantisme politique classique, mais ses membres ont été et sont actifs dans les mouvements anti-avortement, contre le mariage homosexuel, contre l’euthanasie.
Importance de la Fraternité Saint-Pie X
Au début des années 1980, Bernard Antony – qui, plus tard, sera élu député européen Front national – a fondé successivement le Centre Henri et André Charlier, Chrétienté-Solidarité et l’Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne). Ces organisations sont toujours actives aujourd’hui à travers une revue mensuelle, Reconquête, une université d’été et différentes initiatives. Longtemps proches du Front national, les organisations de Bernard Antony ont pris leur distance avec ce parti tout en entretenant des liens étroits avec d’autres formations nationalistes.
Le refus de Bernard Antony de soutenir Mgr Lefebvre en 1988, au moment des sacres accomplis contre la volonté du Saint-Siège, a entraîné une dissidence. D’anciens cadres de Chrétienté-Solidarité ont fondé une nouvelle organisation, Renaissance catholique, qui, à l’origine, s’est appuyée sur la Fraternité Saint-Pie X. Sous le triptyque « Réflexion, Formation, Transmission », Renaissance catholique est active à travers une université d’été, une revue mensuelle (Renaissance catholique), une fête du livre annuelle, à quoi s’ajoutent une émission régulière, « Terre de mission », diffusée sur la chaîne TV Libertés (sur le Web) et une maison d’édition, Contretemps, qui bénéficie du soutien du cardinal Sarah et de certains évêques étrangers, notamment Mgr Schneider, évêque auxiliaire d’Astana, au Kazakhstan, très actif dans les milieux traditionalistes en Europe et aux États-Unis.
Tournant nationaliste
Renaissance catholique ayant pris ses distances avec la Fraternité Saint-Pie X, des laïcs ont fondé en 1999 l’Institut Civitas, qui s’adresse aux catholiques désireux de « se former et agir pour restaurer la chrétienté en France ». À l’origine, il s’agissait clairement de renouer avec La Cité catholique de Jean Ousset et sa méthode d’action : l’organisation de cercles d’études. Civitas fut aussi liée, dès le départ, à la Fraternité Saint-Pie X, qui lui fournit son premier aumônier, l’abbé Lorans, et son premier local, rue Claude-Bernard.
L’organisation a connu une profonde évolution avec l’arrivée d’Alain Escada, qui avait milité jusque-là dans diverses organisations nationalistes belges. Il devient secrétaire général du mouvement en 2009, puis président en 2012. Il dote l’organisation d’un mouvement de jeunesse et, en 2016, il transforme officiellement Civitas en parti politique destiné à « promouvoir et défendre la souveraineté et l’identité nationale et chrétienne de la France ». À partir de 2017, Civitas organise une « Fête du Pays Réel », dont Jean-Marie Le Pen fut l’un des invités de la première édition, et, dès 2018, une université d’été. Le parti peut s’appuyer également sur un site d’informations quotidiennes en ligne, Médias-Presse-Info (MPI).
Une radicalisation vers le complotisme
C’est au cours de la Ve université d’été de Civitas que l’essayiste anti-mondialiste et complotiste Pierre Hillard a tenu les propos sur les juifs qui ont entraîné l’action du ministère de l’intérieur, visant la dissolution du mouvement. À cette université d’été, un prêtre de la Fraternité Saint-Pie X et un religieux de la communauté capucine de Morgon, non reconnue par Rome, ont fait une conférence.
Mgr Vigano, ancien nonce apostolique à Washington, y est intervenu aussi par une conférence enregistrée. Ce prélat avait été l’auteur, en 2018, d’une lettre ouverte qui avait mis directement en cause le pape François dans la gestion des abus sexuels dans l’Église. Ses allégations, contredites officiellement par le Vatican, l’ont marginalisé. Depuis Mgr Vigano a développé des analyses complotistes qui l’ont discrédité encore davantage. En le faisant intervenir dans son université d’été, Civitas poursuit sa radicalisation."
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Civitas dans Catholiques traditionalistes dans Eglise catholique (note de la rédaction CLR).
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