(Le Monde, 27 août 24) 26 août 2024
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"« Nouvelles spiritualités des jeunes » (1/6). Astrologie, tarologie, cartomancie… Amorcé au moment de la pandémie, le regain d’intérêt des générations X et Y pour les pratiques ésotériques témoigne de leur quête d’introspection."
Nouvelles spiritualités des jeunes — 1/6 — Astrologie, tarologie, cartomancie… Amorcé au moment de la pandémie, le regain d’intérêt des générations X et Y pour les pratiques ésotériques témoigne de leur quête d’introspection
Par Charlotte Bozonnet
Sous l’enseigne lumineuse « Bonne aventure », un épais rideau de velours violet isole la petite cabine du brouhaha ambiant. A l’intérieur, Louise tire les cartes à Max, la trentaine, cheveux châtains et pardessus kaki, venu avec une de ses amies, Romane (tous les deux ont souhaité que leur prénom soit modifié). « Il y a l’idée d’un combat, quelque chose de pernicieux dont vous devez vous débarrasser, car il vous contraint, vous maintient à l’étroit », explique Louise en posant sur la table une carte de tarot représentant un serpent enroulé autour d’un glaive. Max, concentré, opine de la tête : « Ce que ça veut dire pour moi est très clair. »
Depuis 2021, Louise Térive – son nom est un pseudonyme – reçoit, chaque jeudi et vendredi soir, à Ground Control, une ancienne halle de la SNCF, devenue un lieu branché du 12e arrondissement de Paris, où la jeunesse vient dîner, boire une bière, jouer au ping-pong, flâner dans la librairie et chez le disquaire, fureter au milieu des fripes mais aussi, donc, se faire tirer les cartes et lire son thème astral.
Dans le public, pas vraiment de doux rêveurs, ni d’originaux en marge, mais plutôt des étudiants et des jeunes cadres travaillant dans la capitale. « C’est la majorité des personnes qui viennent me voir ici », confirme la cartomancienne et astrologue de 39 ans, longs cheveux bouclés. Il faut dire que l’exercice a un coût : comptez 25 euros pour un tirage ou une lecture flash, de quinze minutes, et 80 euros pour une consultation de cartomancie d’une heure. Un prix que certains amateurs n’hésitent pas à payer.
Tous les milieux
En hausse depuis l’épidémie de Covid-19, l’engouement pour l’astrologie, la cartomancie et la tarologie ne retombe pas. Selon une enquête IFOP réalisée en 2022 auprès de quelque 2 000 jeunes, 61 % des 11-24 ans croient à, au moins, une parascience (astrologie, cartomancie, lignes de la main…). Plus précisément, 50 % croient à l’explication des caractères par les signes astrologiques ; 38 % dans les prédictions des médiums ; 33 % aux lignes de la main ; 27 % à la cartomancie. Et cet attrait pour ces pratiques, qui relèvent de la croyance et ne reposent sur aucune vérité scientifique, touche tous les milieux.
Louise Térive, elle, a eu le déclic peu avant ses 18 ans en découvrant le thème astral que sa mère avait fait réaliser lorsqu’elle est née. Simple cadeau de naissance dans cette famille sans pratique religieuse, le document en forme d’accordéon, sur lequel s’entremêlent planètes, signes, maisons et aspects, est une révélation pour la jeune fille. « J’y ai lu beaucoup de choses précises, justes et éclairantes sur moi. J’ai reconnu mes contradictions intérieures entre un côté lié à l’imaginaire et un autre très cartésien, que j’ai souvent eu du mal à concilier. Le voir écrit noir sur blanc m’a procuré un vrai soulagement », raconte la jeune femme.
L’astrologie et la cartomancie ne sont alors qu’un hobby dans sa vie. Louise est inscrite en master d’histoire de l’art à la Sorbonne qu’elle obtient en 2013. Après ses études, elle est artiste plasticienne et exerce des boulots alimentaires pour payer ses factures. Mais, en 2020, confinée comme toute la France, elle lit une petite annonce pour travailler pour une plate-forme téléphonique de voyance. L’expérience ne dure que six mois, mais elle lui fait prendre conscience que cela peut être un métier. Ainsi, depuis 2021, en plus de consultations privées et de participations à des événements pour des grandes marques, Louise Térive est présente, deux soirs par semaine, à Ground Control. Cette activité lui rapporte environ 1 000 euros par mois pour l’équivalent d’un mi-temps.
« Un accompagnement », sans déterminisme
« On vit dans une société qui est confrontée à de nombreux questionnements existentiels. Face à cela, il y a un désir de créer des spiritualités affranchies des dogmatismes », estime la jeune femme en référence au déclin des croyances religieuses traditionnelles qui traverse les sociétés occidentales. Pour elle, si les jeunes manifestent un regain d’intérêt pour les pratiques ésotériques, c’est parce qu’elles représentent « un moyen d’accéder à soi un peu différemment ». Loin de l’image de la voyante lisant un avenir tout tracé dans une boule de cristal, la jeune femme revendique une pratique « moderne », un « accompagnement » dont on aurait évacué toute idée de déterminisme.
Apparue en Mésopotamie trois mille ans avant notre ère, l’astrologie, fondée sur l’observation du ciel, est prise très au sérieux jusqu’au XVIIe siècle. Sa remise en question a lieu au siècle des Lumières. En France, Colbert, ministre de Louis XIV, interdit son enseignement dans les universités. Sociologue et auteur de Prédire. L’astrologie au XXIe siècle en France (Fayard, 2013), Arnaud Esquerre, directeur de recherche au CNRS, rappelle que le recours à l’astrologie est une constante : « C’est une manière de se projeter dans l’avenir, une façon de réduire l’incertitude, qu’elle soit professionnelle ou affective. » Et « sa pratique ne cesse d’évoluer avec la société ».
S’incarnant de nos jours principalement sous la forme d’horoscopes ou de consultations d’astrologues « professionnels », encore genrée, plus utilisée par les femmes que par les hommes, l’astrologie s’est beaucoup diffusée ces dernières années auprès des jeunes par le biais des applications proposant des horoscopes et des thèmes astraux mais aussi des comptes Instagram spécialisés dans cette croyance.
Théodore Fachan, 34 ans, astrologue queer, s’est fait connaître avec son podcast « Z comme Zodiaque », lancé en 2018, qui s’adresse autant aux initiés qu’aux débutants. Pâtissier et cofondateur du café Contresort, dans le 18e arrondissement de Paris, il n’est pas surpris par l’engouement actuel. « On vit une époque complexe, peut-être pas plus que les précédentes, mais on est tellement informés qu’il est difficile de s’en extraire. L’urgence climatique, l’incertitude géopolitique, les inégalités… Tout cela donne envie de se connecter à quelque chose de plus grand que soi, d’essayer de trouver du sens », estime ce diplômé de Sciences Po.
“Une suspension d’incrédulité”
Là non plus, pas question de déterminisme. « On peut tirer les cartes le matin et aller manifester l’après-midi pour le climat », dit-il. Pas de naïveté non plus dans la démarche. « Pendant une heure trente [le temps d’une lecture de thème astral], on opère une “suspension d’incrédulité”, c’est-à-dire que l’on accepte de vivre une fiction comme si c’était la réalité, comme on le fait au cinéma ou lorsqu’on lit un livre », précise-t-il.
Ce féru d’astrologie depuis l’enfance regrette toutefois que le secteur soit si mal réglementé, citant notamment la persistance des plates-formes de voyance par téléphone, dont l’objectif est de garder les clients le plus longtemps en ligne et de faire ainsi grimper la facture.
A Ground Control, Louise Térive s’est tournée vers Romane. L’élégante trentenaire, blazer rouge et gobelet de bière à la main, tire la carte de la force : une jeune femme domptant un lion. « Beaucoup d’énergie s’en dégage et il est parfois difficile de ne pas se disperser. L’enjeu : comment apprivoiser son lion ? Si l’on gère mal son énergie, il y a le risque de burn-out, mais on peut aussi tomber dans un côté control freak [« maniaque du contrôle »] », explique Louise. Max, à son côté, se marre. Il reconnaît bien son amie dans cette description et refera probablement un tirage dans trois mois, l’occasion de partager des « moments intimes » entre amis.
Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier Le Monde "Nouvelles spiritualités des jeunes" (août 24) (note de la rédaction CLR).
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