Revue de presse

"« Charlie » après « Charlie », l’humour résiste" (Le Monde, 20 nov. 15)

21 novembre 2015

"A Charlie Hebdo, les dessinateurs abattus le 7 janvier par les frères Kouachi étaient aussi connus, isolément, que le titre auquel ils collaboraient. Comme en témoignent une multitude de parutions, leur talent est toujours vivace. Qu’ils sont bêtes et méchants, dangereux aussi, ceux qu’ils croquent ! Face à eux, ces humanistes possèdent toutefois une arme assassine : l’humour noir qui, s’il ne résiste pas aux balles, résiste au temps et à l’oubli. Oui, on peut rire de tout, de la mort, du cancer, du fanatisme religieux, des attentats, et même de l’esprit #Charlie. Une soif de liberté et de révolte ravivée au lendemain de la tragédie du 13 novembre.

« “Charlie Hebdo”. Tout est pardonné » (Collectif)

Sinistre ironie du sort. Inaugurée sous de tragiques auspices, l’année 2015 aura eu le mérite d’encourager à (re) découvrir les chroniqueurs féroces de l’actualité formant sa rédaction. Soit un florilège de dessins rassemblés, ici, par thématiques : l’économie, la vie culturelle et éditoriale, le milieu sportif, l’obscurantisme religieux, les horreurs de Daech… Cinq chapitres consacrés respectivement à Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski, disparus le 7 janvier, permettent de vérifier combien leur style était singulier, à la fois très lisible et d’une esthétique sophistiquée. L’une des dernières créations de Charb, parue dans cette même édition, est titrée : « Toujours pas d’attentat en France ». En dessous, un djihadiste armé d’une kalachnikov objecte : « Attendez ! On a jusqu’à fin janvier pour présenter ses vœux. » Les survivants (Babouse, Catherine, Coco, Dilem, Félix, Foolz, Gros, Juin, Luz, Pétillon, Riss, Schvartz et Willem) racontent, eux, la mobilisation nationale vite fissurée par les polémiques, puis le barrage de Sivens, le drame des migrants… En ce sens, l’album Tout est pardonné, référence au dessin de Luz en « une » du numéro des survivants, tient autant de l’hommage que de l’héritage.
« Charlie Hebdo ». Tout est pardonné, Les Echappés, 184 p., 22 €.

« De Charlie Hebdo à #Charlie. Enjeux, histoire, perspectives » , de Jane Weston Vauclair et David Vauclair

Jane Weston Vauclair, historienne britannique de la culture française, est la première universitaire du monde à avoir soutenu une thèse de doctorat sur Hara-Kiri et Charlie Hebdo en 2010. Dans cet essai qu’elle cosigne avec son mari, David Vauclair, politologue français, sont expliqués avec clarté et moult encadrés : la genèse des deux Charlie Hebdo (le premier ayant paru entre 1970 et 1982, le second à partir de 1992), les évolutions éditoriales, les assignations en justice, la mise en perspective de l’attentat (leurs auteurs et leurs soutiens), ce que dit la loi en matière de liberté d’expression, les débats de société soulevés par la tragédie, l’impact de celle-ci dans le monde entier, la postérité de Charlie Hebdo après le 7 janvier… Avant cette date, cette réserve de Mohicans était, rappelle cet essai, une fille de Mai 68, rescapée des procès, des interdictions et des fâcheries, ainsi que l’unique survivance d’une tradition satirique et anticléricale jadis vivace.
De Charlie Hebdo à #Charlie. Enjeux, histoire, perspectives, de Jane Weston et David Vauclair, Eyrolles, 272 p., 16 €.

« Toujours aussi cons ! 300 dessins toujours d’actualité » , de Cabu

Porter la plume dans les plaies : les racistes, les fachos, les ­machos, les dévots, les sportifs dopés, les va-t-en-guerre, les pollueurs… Dessinateur de presse dès l’âge de 16 ans, Jean Cabut, dit Cabu (1938-2015), fut l’un des pionniers de la BD reportage. Inventeur du Grand Duduche, il avait, en 1974, donné naissance à un autre archétype : le Beauf, moustachu bedonnant, bas de plafond et sans vergogne. Vingt ans plus tard lui succédera le Nouveau Beauf, pubard pourvu d’un catogan, d’une barbe de trois jours et, comme son ancêtre, d’une bonne couche de connerie. Durant six décennies, que l’album Toujours aussi cons ! retrace en 300 dessins, Cabu a ­déployé un art du trait sans égal pour commenter l’actualité et en caricaturer les protagonistes. Même septuagénaire, « l’éternel ado » surprenait ses cadets par son art du raccourci dévoilant la bassesse ou l’hypocrisie de son sujet : patron, dirigeant, fanatique. « Il était, écrit Riss, l’actuel directeur de Charlie Hebdo, la référence de tous les caricaturistes. (…) Ils attendaient l’œil de Cabu. » Lui-même l’admettait : par ses dessins, il réglait ses comptes, vengeant les déshérités. Tels ces pauvres découvrant, au matin du 25 décembre, de simples bons pour un ressemelage, derrière leurs souliers. Chez Cabu, le rire surgit du sens foudroyant de la collision.
Toujours aussi cons ! 300 dessins toujours d’actualité, de Cabu, Cherche-Midi, 302 p., 18,90 €.
Signalons, du même auteur, la parution du Nouveau Beauf. L’intégrale, Michel Lafon, 200 p., 24,95 €.

« Murs… murs. La vie plus forte que les barreaux » , de Tignous

Depuis qu’une association catholique proche du Front national l’avait traîné en justice, Bernard Verlhac, dit Tignous (1957-2015), se passionnait pour les tribunaux. Titulaire de la carte de presse judiciaire, le dessinateur avait ainsi suivi le procès d’Yvan Colonna, en 2007. Ce qui avait donné lieu à un ­album (Prix France Info de la BD d’actualité et de reportage 2009), coécrit par le journaliste politique Dominique Paganelli, que Glénat vient de rééditer. Dans Murs… murs, la vie plus forte que les barreaux, BD de reportage dans cinq établissements pénitentiaires, préfacée par la garde des sceaux, Christiane Taubira, Tignous restitue la constellation d’hommes et de femmes (détenus, gardiens, avocats, médecins ou visiteurs) qui se croisent dans les prisons. Les croquis sont annotés de propos recueillis, placés entre guillemets, sur la peur, la solitude, le quotidien, etc. A la prison pour femmes de Rennes, une mère de famille, assise sur son lit, raconte son « tourisme pénitentiaire ». A Fleury-Mérogis, un détenu confie, devant les douches collectives, très sales, où se commettent des viols, que le carrelage cassé est une arme pour se suicider. Plus que des tranches de vie, ce sont là des instantanés, infiniment saisissants.
Murs… murs. La vie plus forte que les barreaux, de Tignous, Glénat, 120 p., 25 €.
Signalons, du même auteur, la parution en poche de Tas de riches, Folio, « BD », 144 p., 7,65 €, et de Tas de pauvres (idem), ainsi que la parution de l’anthologie Tignous, Chêne, 240 p., 35 €."

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