19 février 2015
"Gauche et droite se retrouvent dans le même questionnement autour de la laïcité. Persuadées qu’il n’y a pas mieux pour assurer le « vivre ensemble », mais bousculées par l’incompréhension que cette notion suscite à l’étranger et sur le sol national, chez une partie des musulmans notamment.
Quand un mot ne peut plus sortir qu’accompagné d’un adjectif, c’est le signe qu’il est perdu. Vidé de sens. La laïcité est de ceux-là. Prononcé dans toutes les bouches depuis les attentats des 7 et 9 janvier, mot mantra, « cri comme un exorcisme » selon le sociologue Jean Viard, mot gilet de sauvetage auquel on se raccroche, mais sans savoir ce qu’on y met derrière. Laïcité « ouverte », dit le sociologue Jean Beaubérot ; laïcité « inclusive », décline François Kalfon, au PS ; laïcité « coercitive », plaide au contraire Xavier Bertrand à l’UMP. La liste est longue.
Gauche et droite se retrouvent dans le même questionnement. Persuadées qu’il n’y a pas mieux pour assurer le « vivre ensemble » que ce principe typiquement français, qui cantonne la religion à la sphère privée. Mais bousculées par l’incompréhension qu’il suscite à l’étranger et sur le sol national, chez une partie des musulmans notamment.
Politiquement, le concept s’est promené. Le « laïcard » n’est plus ce qu’il était, assurément de gauche. La philosophe Elisabeth Badinter affirme même que c’est une partie de la gauche qui l’a abandonné, lorsqu’il « a été admis, à partir de la fin des années 1980, qu’il fallait tolérer, dans certaines limites, le voile » (interview « Le 1 »). Intégrer les six millions de musulmans passait forcément par des concessions à leur façon de vivre leur religion.
La droite a longtemps été gênée, à l’instar de l’électorat catholique, marqué par les débats houleux de la loi de 1905. Hésitant, Nicolas Sarkozy l’a été. Ferme dans les mots depuis les attentats, mais d’abord ouvert sur le voile à l’école avant de se rallier à l’interdiction (2009), auteur du discours de Latran, etc.
Le tout se complique depuis que Marine Le Pen a repris le concept à son compte, en arrivant à la tête du FN, et en a fait un combat, essentiellement dirigé contre l’islam. « Marine Le Pen a réussi une véritable OPA sémantique sur le concept de laïcité, qu’elle transfigure en arme politiquement correcte contre les musulmans », décrypte l’universitaire Cécile Alduy (« Le Monde culture & idées »).
Depuis les attentats de janvier, tous s’entendent sur un point : il faut remettre de l’ordre dans ce paysage troublé. « La laïcité est le premier combat de la gauche », clame Manuel Valls. Le PS accuse le FN d’avoir « détourné » le concept. Le FN rétorque qu’il l’a « déserté ».
En réalité, tous sont soumis à la même interrogation. Comment faut-il répondre au malaise apparu chez certains musulmans après les attentats, lors de la minute de silence à l’école notamment ? Faut-il revenir à une conception dure de la laïcité ? C’est la thèse de ceux qui estiment que les souplesses données dans le passé ont entretenu l’idée que l’on pouvait s’affranchir de la République.
Ou faut-il au contraire aller plus loin dans les accommodements ? Les règles induites par la laïcité auraient suscité un sentiment d’exclusion, l’impression, partagée chez les musulmans, qu’ils n’étaient pas les bienvenus dans la communauté nationale.
Le débat agite la droite comme la gauche. Des personnalités comme Jean-Louis Debré, Xavier Bertrand et François Baroin à l’UMP, Didier Guillaume et Malek Boutih au PS, André Gerin au PC plaident ces derniers jours pour la fermeté et une lecture restrictive de la laïcité. D’autres, comme Alain Juppé, Gérald Darmanin, Bruno Beschizza à l’UMP, Olivier Faure et François Kalfon au PS, défendent l’idée d’un certain pragmatisme. A fortiori lorsqu’ils sont élus de quartiers difficiles. Olivier Faure, député de Seine-et-Marne, estime ainsi que « pour éviter le repli identitaire, il faut que les musulmans se réapproprient la laïcité ». Et pour cela il faut dialoguer avec les religions, renégocier d’une certaine façon le pacte républicain pour voir ce qui est acceptable par elles ou pas. Sur la question du financement du culte par exemple, il défend l’idée d’une dérogation transitoire à la loi de 1905, « pour permettre à l’islam français de s’émanciper des influences extérieures ».
Le débat n’épargne pas le gouvernement, bien sûr, même si la vitrine affichée est aujourd’hui celle de la fermeté. « Je ne connais d’autre communauté que la communauté nationale », affirme depuis un mois François Hollande. « La laïcité est un des plus beaux mots de la langue française. Il faut reprendre ce combat que nous avons délaissé », renchérit Manuel Valls.
Derrière les discours, les traductions concrètes sont plus prudentes. L’UMP demande l’interdiction du voile porté par les accompagnatrices des sorties scolaires (autorisé par la ministre de l’Education à l’automne), le gouvernement ne répond pas. Le PS vient de demander à ses fédérations d’engager un dialogue avec les religions « pour nourrir le débat ».
Dans chacune de ses interventions, Manuel Valls prend soin d’assortir son discours de fermeté d’une main tendue aux musulmans que « la République aime et protège ». Des initiatives seront prises pour assurer l’indépendance financière de l’islam, « avec des imams formés en France », esquisse-t-il. Comme si, prudemment, lentement, il tentait de trouver une troisième voie entre une lecture si restrictive de la loi de 1905 que les musulmans s’en sentiraient exclus, et une laïcité coquille vide.
Dès lors se pose une question. Sur ce terrain explosif, au sens propre comme au sens figuré, y a-t-il un compromis possible ? Non, répondent déjà certains intellectuels. « On ne peut pas faire des injonctions de laïcité et dire qu’on va former des imams, il faut être cohérent », affirme l’historien Benjamin Stora (Mediapart). Tout comme Elisabeth Badinder : « Le choix se situe entre la coexistence de communautés ou la communion du peuple. Je ne vois pas de troisième modèle. »"
Lire "Cette laïcité qui bouscule tout le paysage politique".
Lire aussi “Ils ont volé la laïcité”, par Patrick Kessel (éd. Gawsewitch-Balland, 2012) (note du CLR).
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