Christiane Vienne, ancien ministre de la Santé de Wallonie-Bruxelles, député. 29 octobre 2017
En Belgique, la première loi dépénalisant l’euthanasie a été votée en 2002, au cours d’une réflexion incluant également une loi sur les droits du patient et une autre sur les soins palliatifs.
En introduction à mon propos de ce soir, j’aimerais attirer votre attention sur quelques éléments de réflexion d’ordre général :
1. Les lois dites éthiques sont des lois qui ouvrent des portes, des possibilités à saisir pour celui qui le souhaite. Personne n’est contraint à l’euthanasie, et chacun peut préférer les soins palliatifs, ou associer les deux !
2. C’est un élément essentiel car le débat est bien souvent faussé par cette idée que légiférer va créer un appel d’air et que les pouvoirs publics seront dépassés par une demande exponentielle et incontrôlable.
3. Légiférer permet la création d’un cadre contraignant et distingue tout aussi clairement ce qui est permis de ce qui est interdit et fera en conséquence l’objet de poursuites. Le cadre législatif est ainsi protecteur pour le praticien et pour le patient.
4. La Belgique pratique l’euthanasie depuis 2002, le dernier rapport de la Commission Fédérale de Contrôle et d’Evaluation de l’euthanasie présenté aux chambres législatives en juin 2017, couvrant les années 2014-2015 est donc le septième de son genre, les données chiffrées que je citerai en sont issues. L’euthanasie pour les mineurs a été votée en 2014, elle introduit la notion de capacité de discernement et ne retient pas la souffrance psychique, les représentants légaux sont associés à toutes les phases de la démarche de demande et doivent donner leur accord.
Entrons dans le concret :
Comment la loi définit-elle l’euthanasie : il s’agit de l’acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci.
Le médecin ne commet pas d’infraction s’il s’assure que :
Et qu’il respecte les conditions et prescrits de la loi :
1. Informer le patient de son état de santé et de son espérance de vie, se concerter avec le patient sur sa demande d’euthanasie et évoquer avec lui les possibilités thérapeutiques encore envisageables ainsi que les possibilités qu’offrent les soins palliatifs et leurs conséquences. Il doit arriver, avec le patient, à la conviction qu’il n’y a aucune autre solution raisonnable dans sa situation et que la demande du patient est entièrement volontaire.
2. S’assurer de la souffrance physique ou psychique du patient et de sa volonté réitérée. A cette fin, il mène avec le patient plusieurs entretiens, espacés d’un délai raisonnable au regard de l’évolution du patient.
3. Consulter un autre médecin quant au caractère grave et incurable de l’affection, en précisant les raisons de la consultation. Celui ci prend connaissance du dossier médical, examine le patient et s’assure du caractère constant, insupportable et inapaisable de la souffrance physique ou psychique. Il rédige un rapport concernant ses constatations. Il doit être indépendant, tant à l’égard du patient qu’à l’égard du médecin traitant et être compétant quant à la pathologie concernée. Le médecin traitant informe le patient des résultats de cette consultation.
4. S’il existe une équipe soignante en contact régulier avec le patient, s’entretenir de la demande avec elle ou un de ses membres.
5. Si le patient le souhaite, s’entretenir de sa demande avec les proches que celui-ci désigne.
6. S’assurer que le patient a eu l’occasion de s’entretenir de sa demande avec les personnes qu’il souhaitait rencontrer.
7. Si le patient est mineur non émancipé, consulter pédopsychiatre ou un psychologue, en précisant les raisons de cette consultation. Les conditions pour les mineurs sont renforcées et la parfaite information et l’accord des représentants légaux sont exigés
Si le médecin est d’avis que le décès n’interviendra pas à brève échéance, il doit en outre :
Consulter un deuxième médecin, psychiatre ou spécialiste de la pathologie concerné, en précisant les raisons de la consultation. Celui ci, doit être indépendant du médecin traitant, du patient et du premier médecin consulté. Il prend connaissance du dossier médical, examine le patient et s’assure de la nature de la souffrance subie par le patient et du caractère volontaire réfléchi et répété de la demande. Il rédige un rapport transmis par le médecin traitant à son patient.
Il doit s’écouler un mois entre la demande écrite du patient et l’euthanasie.
La demande est rédigée par écrit et signée par le patient lui même ou s’il n’en est plus capable par une personne majeure de son choix (qui ne peut avoir d’intérêt matériel à son décès), en présence du médecin dont le nom est mentionné dans le texte et qui confirme les raisons pour lesquelles le patient est en incapacité de rédiger lui même sa demande. Le document est versé au dossier médical.
La demande du patient peut aussi s’exprimer au travers d’une déclaration anticipée, dans l’hypothèse où il serait un jour incapable d’exprimer sa volonté.
Elle est valable 5 ans, elle peut être résiliée à tout moment, constatée par écrit devant deux témoins dont un au moins n’aura pas d’intérêt matériel au décès du déclarant. Il peut y être fait mention d’une ou de plusieurs personnes de confiance qui sont informées dès que la situation du demandeur l’exige et peuvent prendre toute décision pour lui.
Avant de pratiquer l’euthanasie le médecin est tenu de vérifier que :
le patient est atteint d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable,
est inconscient
cette situation est irréversible selon l’état actuel de la science
Aucun médecin n’est contraint de pratiquer l’euthanasie, aucune autre personne n’est contrainte de participer à une euthanasie !
Si le médecin consulté refuse, il est tenu d’en informer en temps utile le patient ou la personne de confiance en précisant les raisons. Dans le cas où son refus est justifié par une raison médicale, elle est consignée dans le dossier médical du patient.
Le médecin qui refuse de donner suite à une demande d’euthanasie est tenu de communiquer le dossier médical du patient au médecin désigné par ce dernier ou par la personne de confiance.
La personne décédée à la suite d’une euthanasie respectant les conditions de la loi est réputée décédée de mort naturelle, ce qui n’est pas sans impact sur les contrats d’assurance.
Le médecin dispose de quatre jours ouvrables pour envoyer un document d’enregistrement destiné à la Commission Fédérale de Contrôle et d’évaluation. Le document d’enregistrement se compose de deux volets dont le premier est scellé et contient les données personnelles du patient et le second les données médicales précises. Le premier volet n’est ouvert que si la commission estime, à la majorité simple, que les conditions ou la procédure suivie ne correspond pas totalement au prescrit de la loi et le médecin est tenu de répondre aux questions qui lui sont alors posées. Si au bout de deux mois, et à une majorité des deux tiers, la commission estime que la loi n’a pas été respectée, le dossier est transmis au Procureur du Roi.
Cette commission fédérale de contrôle et d’évaluation est composée de seize membres, huit docteurs en médecine dont quatre sont professeurs dans une université belge, 4 professeurs de droit dans une université belge ou avocats, auxquels s’ajoutent quatre représentants issus des milieux chargés de la question des patients atteints d’une maladie incurable. Sur la période 2014/2015, 75 % des dossiers examinés par la commission ont été acceptés sans demande supplémentaire, 18,6 % ont été suivis d’une demande de précisions (souvent des problèmes administratifs liés à la transmission de certaines informations), 6,1 % pour des questions d’anonymat non respecté et 0,03 % ont été transmis à la justice.
Etat des lieux
La proportion du nombre de décès par euthanasies déclarées en 2014 et en 2015 a été en moyenne d’environ 1,8% de l’ensemble des décès en Belgique.
Quelques chiffres :
En 2014 : 1928 cas
En 2015 : 2022 cas
Néerlandais : 79,8 %
Français : 20,2 %
51,3 % d’hommes
48,7 % de femmes
14,2 % des patients avaient entre 40 et 59 ans, 48,5 % entre 60 et 79 ans et 35,4% entre 80 et 99 ans
La loi autorise depuis 2014 l’euthanasie des mineurs mais le premier cas a eu lieu en 2016
43,9 % ont lieu à domicile
41,9 % ont lieu à l’hôpital
12,3 % ont lieu en maison de repos
Pour 85% des euthanasies pratiquées l’échéance prévisible du décès était brève, la pathologie à l’origine de la demande est à 67,7 % due à des cancers.
Dans le cas des 15% restant c’est à dire là où l’échéance prévisible du décès n’était pas brève, 32% sont d’origine poly pathologiques, 19% liées à des troubles mentaux, 18,4 % des maladies du système nerveux et 10% des maladies du système respiratoire.
67 cas concernent des patients inconscients ayant fait une déclaration anticipée, c’est peu mais le champ d’application de la loi de cette déclaration ne concerne que les patients irréversiblement inconscients.
Quelques exemples :
Patient soufrant de sclérose latérale amyotrophique (la maladie de Charcot), maladie incurable du système nerveux qui se caractérise par la dégénérescence des cellules nerveuses motrices de la moelle épinière, du tronc cérébral et du cortex cérébral et dont l’issue est la mort par suffocation en raison de la paralysie des muscles respiratoires. Certains patients (9) ont demandé l’euthanasie avant la phase terminale mais la grande majorité a préféré attendre la phase finale (85 cas).
Patiente de 26 ans atteinte d’un trouble mental très grave et incurable. Il a été demandé à deux psychiatres de rendre un avis sur la demande d’euthanasie. Tous deux ont vu la patiente en consultation à plusieurs reprises avant de rendre leur avis. Le délai d’attente peut être très long pour ce type de patients, entre quelques mois, voire quelques années.
Patiente de 91 ans combinant une série de maux dits de vieillissement nuisant gravement à sa qualité de vie, dont l’état pouvait être considéré comme sans issue car sans traitement curatif possible. La souffrance étant considérée comme insupportable constante et inapaisable bien que le décès ne soit pas attendu à brève échéance. L’avis d’un médecin généraliste agréé en soins palliatifs et d’un psychiatre ont été sollicités et ont souligné que la situation était conforme à la loi relative à l’euthanasie.
Le premier médecin consulté obligatoirement est dans 53,5 % des cas un médecin généraliste, dans 38,9 % un spécialiste et dans 7,6 % un médecin formé en soins palliatifs.
Le deuxième médecin consulté est dans 68,4 % des cas un psychiatre et dans 31,6 % un spécialiste.
En plus des obligations légales, un médecin ou une équipe palliatives sont consultés dans environ 50 % des cas.
Dans les commentaires faits par les médecins dans il est souvent signalé que le décès est survenu paisiblement en quelques minutes et fréquemment en présence de proches
Analyse et conclusions
Il apparaît très clairement que, depuis 2002, les demandes d’euthanasie ont augmenté doucement chaque année pour atteindre 1,8 % des décès en Belgique.
Nous sommes très éloignés d’une demande massive.
L’euthanasie répond bien à une demande précise d’une catégorie de patients dont la fin de vie est marquée par « une souffrance constante, insupportable et inapaisable » et fait l’objet d’un très large consensus social.
Le cadre légal répond actuellement aux critères éthiques que nous nous étions fixés en 2002 et n’est remis en cause par personne.
Dans ce cas précis, la loi protège le patient en respectant sa volonté de mourir dans les conditions qu’il a choisies et protège le médecin qui pose un acte encadré qui le met à l’abri de poursuites éventuelles.
Le fait de légiférer crée un cadre dont vous avez pu mesurer à quel point il est strict et de ce fait il empêche les dérives.
Si l’on se place du point de vue de la famille, il libère les proches de la culpabilité de devoir décider eux mêmes ou de partager la violence de la souffrance de leur parent, c’est le patient qui choisit sa fin, lui seul, ceux qui l’accompagnent suivent le chemin qu’il a tracé pour lui même.
Nous sommes loin, dans la philosophie de la loi, du suicide assisté qui fait peser la culpabilité sur les proches ou le médecin, loin aussi du « petit coup de pouce » médical qui repose sur le médecin seul, loin aussi de la compassion à géométrie variable, nous sommes dans le domaine du droit, de la loi qui ne porte ses effets que si le principal bénéficiaire et intéressé décide de se l’appliquer.
En conclusion, je m’accorderai la liberté de quelques réflexions personnelles.
A mon sens, la plus mauvaise manière d’aborder les questions liées à l’euthanasie et plus généralement à l’éthique et la bioéthique sont :
1. D’ignorer les pratiques et les évolutions de la société, de faire semblant que cela n’existe pas.
2. De les « moraliser » :
Ruwen Ogien, un spécialiste français de philosophie morale expérimentale, pose cette question très intéressante : « Est-il vrai, que pour la plupart des gens, certains actions sont incorrectes ou immorales, même si elles n’ont causé aucun tort concret à personne ? » (L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale, Grasset, 2011).
Si nous excluons de la morale tout ce qui « ne cause de tort concret à personne » alors la question de l’euthanasie est réglée sans problème, celle du mariage pour tous également et bien d’autres encore !
En effet, qui est lésé par le fait qu’un être humain choisisse de mettre fin à ses souffrances et à une vie qui ne fait plus sens pour lui et à le faire dans un cadre légal accompagné de son médecin et des siens ?
Comme je le soulignais en introduction, la loi ouvre une porte, offre une possibilité à celui qui souhaite s’en saisir.
Elle ne contraint personne, elle fixe les conditions d’accès et établit les règles de la pratique.
Celui qui souhaite, par conviction religieuse ou philosophique, donner un sens spirituel à sa souffrance est totalement libre de le faire, celui qui préfère se suicider l’est tout autant, de même que celui qui, comme le soulignait le psychanalyste Michel Baron, ressent « cette ultime recherche de plaisir d’un masochisme primaire, où la pulsion de mort est dirigée sur le sujet lui-même mais liée à sa libido et unie à elle » … rien ne change pour eux ! Et il n’y a aucun jugement de valeur à poser sur ces motivations de nature différente.
3. De refuser d’analyser le champ social auquel ils appartiennent :
Ainsi,
L’avortement est, avant tout, une question de santé publique.
Le mariage homosexuel une question d’équité (en tout état de cause le vrai progrès social aurait plutôt consisté à interdire le mariage aux hétéros plutôt qu’élargir l’institution, mais le lobby des avocats spécialisés en divorce a été trop puissant ! et il n’y a aucune raison pour que les couples homosexuels soient privés de la joie des divorces et des pensions alimentaires) ,
L’euthanasie est une question de liberté, celle de décider de son destin jusque dans la mort et la loi garantit cette liberté.
Je reprendrai cette citation de Michel Baron, psychanaliste, dans son article « A mon corps défendant … rassembler ce qui est épars » (colloque BEL, juin 2015) parlant de Freud qui écrivait à son médecin en 1939, ivre de la souffrance provoquée par son cancer de la mâchoire : « Mon Cher Schur, vous vous souvenez de notre première conversation ? Vous m’avez promis de m’aider lorsque je n’en pourrai plus. A présent, ce n’est plus qu’une torture et cela n’a plus de sens ».
Et je souhaite à chacun d’entre nous qu’un « Schur » nous entende si un jour nous étions amenés à prononcer ces paroles.
Voir aussi le programme Colloque du CLR : "Fin de vie, la liberté de choisir" (CLR, Paris, 28 oct. 17) et la rubrique Colloque "Fin de vie, la liberté de choisir" (CLR, Paris, 28 oct. 17) ; les communiqués du Comité Laïcité République Droit de mourir dans la dignité : le Comité Laïcité République dénonce le poids exorbitant des morales religieuses (10 oct. 03), Droit de mourir dans la dignité : un droit inaliénable pour tout être humain (15 oct. 04), Henri Caillavet, un siècle de combat républicain (27 fév. 13) ; dans la Revue de presse Fin de vie (note du CLR).
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