par Claude Ruche 20 juillet 2017
Christophe Guilluy, Le Crépuscule de la France d’en haut, Flammarion, 16 €.
Il n’est plus nécessaire de présenter le géographe Christophe Guilluy, qui, depuis son premier essai, Fractures françaises, publié en 2013 et La France périphérique, publié en 2015, est devenu le rapsode des ravages de la mondialisation sur la vie quotidienne des classes populaires. Inlassable analyste des nouveaux rapports de classes, il sait parfaitement mettre en évidence les différentes étapes qui permettent à la bourgeoisie devenue "hipster", d’accompagner, sans mauvaise conscience le capitalisme le plus dur.
Dans ces deux premiers opus, nous avions découvert comment les gagnants de la mondialisation heureuse s’étaient emparé de ces nouvelles citadelles que sont les grandes métropoles, en reléguant les perdants, les classes populaires, dans les zones périphériques que sont les moyennes et petites villes, des zones rurales éloignées des bassins d’emplois les plus dynamiques. Nous avions compris le double langage des politiques qui surjouent les postures républicaines mais qui signent tous les traités de libre échange et acceptent tous les abandons de souveraineté.
Dans son nouvel essai, Le Crépuscule de la France d’en haut, Christophe Guilluy poursuit son patient travail d’archéologie sociale pour nous proposer cette fois, deux concepts clefs pour la compréhension de la nouvelle société "post-politique" qui est désormais la nôtre : la désaffiliation et le marronnage.
La désaffiliation d’un nombre toujours croissant de citoyens issus des classes populaires est la résultante d’un long processus, dont Christophe Guilluy nous décrit minutieusement chaque étape, au terme duquel les classes supérieures ont réussi à imposer l’idée d’une société sans intérêts de classe et dans laquelle le "vivre ensemble" est devenu la norme. Mais le mensonge de la société ouverte ne fait plus illusion et les élites ont, en fait, perdu le contrôle des représentations, les classes populaires ayant parfaitement perçu l’étendu de la trahison qui a délégitimé la démocratie et les valeurs républicaines.
En effet, le débat entre républicains et communautaristes est rude, parfois violent, mais il est déjà tranché par le réel à l’avantage des seconds. Par leur incapacité à aborder les questions de fond que sont l’immigration et l’insécurité culturelle, les républicains ont perdu la bataille politique et médiatique. Certes, les Français restent attachés au modèle républicain, laïque et égalitaire, mais leur réalité quotidienne est déjà celle d’une société multiculturelle avec ses dérives communautaristes. Ils se retrouvent broyés entre, d’une part, le discours d’ouverture des élites, reposant sur le piège sémantique du "vivre ensemble" et, d’autre part, une réalité territoriale aux antipodes de ces paroles désormais perçues comme l’expression d’un mensonge d’Etat. Relégués dans des territoires de plus en plus éloignés des centres ville, les classes populaires sont traversées par un sentiment de déclassement social qui creuse chaque jour un peu plus le fossé qui les sépare des classes supérieures. D’autant que leur mécontentement affiché est dénoncé, par le barnum médiatique, comme une posture négative de repli qui trouve sa source dans le racisme structurel du modèle républicain. Les élites, ayant compris que la société mondialisée et multiculturelle n’est viable qu’à la condition de se protéger des tensions qu’elle génère mécaniquement, n’ont de cesse d’accuser ceux qui n’ont pas les moyens de s’en protéger d’être responsables des tensions. A ce jeu, les classes populaires sont forcément perdantes socialement, culturellement et politiquement. En réalité, la mise en avant de la diversité par "le parti de l’ouverture", n’est qu’une stratégie de défense d’intérêt de classe. Car, ne nous y trompons pas, la question de la diversité n’a qu’un objectif, celui de masquer la non représentation des classes populaires blanches, noires ou arabes dans les lieux de pouvoir économique, politique et culturel.
Le résultat de ce jeu de dupes est un désastre démocratique sans précédent impliquant le plus grand plan de licenciement de l’Histoire, celui de l’ensemble des classes populaires. Reléguées dans des territoires sans avenir, elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour assurer leur survie. Mais Christophe Guilluy nous explique qu’elles ont brisé leurs chaines, celles des appartenances politiques traditionnelles, en ne reconnaissent plus aucune légitimité ni supériorité morale à la classe politique, médiatique et universitaire. Il nomme ce phénomène le "marronnage", en référence aux esclaves qui fuyaient les plantation pour vivre dans les montagnes. C’est, nous explique-t-il, la grande imprévue de la mondialisation, car elle annonce l’émergence d’une contre société en tous points contradictoire avec le modèle économique et sociétal des classes dominantes.
C’est un essai très puissant que nous livre à nouveau Christophe Guilluy. Comme à son habitude, il nous donne des clefs de compréhension qui autorisent une réflexion plus proche du réel que de l’idéologie dominante. Les partis politiques traditionnels, qui viennent de faire les frais de ce marronnage généralisé, seront-ils capables de se rappeler les paroles de Jaurès qui disait qu’il n’y a pas de socialisme sans lutte des classes ?
Avant de penser à se reconstruire, la nouvelle direction collégiale du PS serait avisée de relire Dostoïevski et Camus qui étaient tous deux convaincus que la tâche de l’homme ne sera pas accomplie tant que sera oubliée la souffrance d’un seul.
Claude Gabriel Ruche
Lire aussi C. Guilluy : "Pourquoi le "vivre ensemble", c’est fini !" (nouvelobs.com , 10 mai 14) dans Christophe Guilluy (note du CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales