Revue de presse

C. Fourest : "Pourquoi Jean-Louis Bianco a fâché tant de laïques" (lemonde.fr , 21 jan. 16)

Caroline Fourest, journaliste, auteure d’ "Eloge du blasphème" (Poche). 21 janvier 2016

"La polémique suscitée par l’Observatoire de la laïcité est loin d’être anecdotique. Il s’agit de savoir si l’État veut défendre la laïcité face aux intégristes et à leurs alliés, ou s’il veut s’en accommoder au titre du dialogue interreligieux et de la laïcité «  ouverte  ». Ce ne sont pas que des mots ni des guerres de chapelles. Mais des choix qui peuvent armer ou, au contraire, désarmer.

Dans un pays visé par le terrorisme, certaines propagandes peuvent tuer. Comme faire croire que la France pratique un racisme d’État, parce qu’elle ose se défendre face au terrorisme. Ou qu’elle est «  islamophobe  », parce qu’elle souhaite faire respecter l’égalité hommes-femmes et la laïcité au sein de l’école publique.

Les prescripteurs de ces propagandes empoisonnées sont bien connus des laïques vigilants. Ceux-là aimeraient pouvoir compter sur l’Observatoire de la laïcité pour nous protéger. Ils constatent que le bouclier est percé.

L’Observatoire semble bien plus occupé, depuis son entrée en fonctions, à minimiser l’intégrisme, voire à cautionner ceux qui tiennent ces discours contre la France et sa laïcité. C’est le reproche adressé par de nombreuses organisations laïques, qualifié de «  réaction laïciste intégriste  » par Jean-Louis Bianco. Son mépris envers ces vigilants étant exactement inverse à la complaisance dont il fait preuve envers les organisations réellement intégristes. Jusqu’à dédaigner les principaux rendez-vous laïques, comme le Prix annuel de la laïcité, pour mieux s’afficher aux côtés des partisans d’une laïcité «  ouverte  » aux accommodements religieux, façon l’association Coexister. Doté d’importants moyens, ce collectif proche de l’Église catholique limite la définition de la laïcité à la «  neutralité  ». Il la pratique essentiellement à travers le dialogue interreligieux, pouvant aller des sympathisants de La Manif pour tous aux Frères musulmans. L’un de ses animateurs, Samuel Grzybowski, dit trouver «  intéressant  » ce courant de l’islam politique totalitaire. Comme les Frères musulmans et les créationnistes chrétiens, il refuse de considérer les sciences comme «  supérieures  » aux croyances au sein de l’éducation nationale. N’y avait-il pas meilleur partenaire pour signer un livre, L’Après-Charlie. 20 questions pour en débattre sans tabou (Coédition Éditions de l’Atelier et Réseau Canopé, 2015), à destination des écoles  ? C’est pourtant le choix de l’Observatoire de la laïcité.

D’autres alliés posent question, surtout après les attentats de janvier et de novembre 2015. Nous sommes nombreux à avoir partagé le hashtag #NousSommesUnis par souci d’unité. L’appel du même nom, cautionné et relayé par l’Observatoire de la laïcité, relève de cercles bien plus restreints  : un noyau dur formé par Coexister et plusieurs personnalités proches des Frères musulmans, élargi à quelques noms servant de caution, comme Jean-Louis Bianco. Il se défend aujourd’hui de l’avoir signé, mais figure bien en tête des personnalités associées au communiqué de #NousSommesUnis, relayé avec enthousiasme par le numéro deux de l’Observatoire, Nicolas Cadène.

Le texte de l’appel, totalement niais, n’est pas en cause. Le problème réside dans le signal envoyé. Dénoncer l’amalgame, plus que la terreur, aux côtés d’intégristes. Appeler à ne pas stigmatiser en compagnie de personnalités et d’associations qui passent leur vie à stigmatiser la laïcité comme raciste, et les laïques comme «  islamophobes  ». Les noms mis en avant par cet appel  ? Le rappeur Médine, qui chante «  crucifions les laïcards comme à Golgotha  », Nabil Ennasri (dont la proximité avec le Qatar n’est plus à démontrer) ou encore le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

Clairement islamiste, ce collectif manipule les chiffres, déjà élevé, d’actes antimusulmans – pour l’essentiel des insultes et des graffitis – en ajoutant, dans sa comptabilité, les perquisitions antiterroristes, les mesures d’éloignement d’imams incitant à la haine, l’agression mortelle d’un musulman par un autre musulman ou le vol de métaux sur le dôme d’une mosquée lié à la délinquance.

Son but est clair. Convaincre les musulmans que la France les abandonne, afin de les pousser dans les bras des prédicateurs intégristes avec qui le CCIF milite. Au choix, Tariq Ramadan, l’imam salafiste de Brest ou Abou Anas, pour qui la musique est «  la voix de Satan  », incite à la «  perversion des mœurs  » et au «  libertinage  ». Des prédicateurs qui participent au dîner annuel du CCIF… Beaux alliés pour un appel à l’«  union  », surtout après les attentats du Bataclan. D’où la pétition, signée par plus de 4 000 laïques, pour demander la démission de Jean-Louis Bianco.

Plus récemment, une goutte d’eau a fait déborder le vase et convaincu trois membres de se désolidariser de l’Observatoire (Jean Glavany, Françoise Laborde, Patrick Kessel). Alors que France Inter consacrait son antenne à l’«  anniversaire  » du massacre de Charlie Hebdo, Nicolas Cadène s’est joint aux troupes du CCIF pour enrager contre Élisabeth Badinter sur Twitter. Qu’a-t-elle dit ce jour-là  ? Qu’il fallait défendre la laïcité «  sans avoir peur d’être traité d’islamophobe  ». Qu’a fait croire le CCIF, spécialiste de cette technique d’intimidation  ? Qu’Élisabeth Badinter défendait le droit d’être «  islamophobe  ». Une malhonnêteté habituelle, mais qui commence à coûter trop de vies pour être tolérée. Et que l’Observatoire devrait combattre au lieu de se joindre à la meute des lyncheurs.

Voilà les lignes rouges dont il est question. Celles que Manuel Valls a tenu à rappeler lorsqu’on lui a demandé s’il cautionnait la dérive de l’Observatoire. Jean-Louis Bianco a répondu sèchement, en feignant ne pas dépendre du premier ministre. Ce que son papier à en-tête contredit cruellement. Le gouvernement ne pourra pas se contenter de ce simple rappel à l’ordre. Les institutions qu’il met en place doivent tenir leurs promesses  : défendre la laïcité, et non ceux qui l’attaquent."

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