Revue de presse

C. Fourest : "La tentation du crucifix" (Marianne, 8 juin 18)

Caroline Fourest, journaliste, essayiste, auteur de "Génie de la laïcité" (Grasset). 18 juin 2018

"[...] Tous les pays européens sont traversés par le ressentiment après ces années d’attentats. Chacun encaisse le contrecoup à sa façon, selon ses spécificités culturelles et ses anticorps. Dans un pays aussi peu laïc que l’Allemagne, le controversé ministre-président de Bavière (CSU) réclame qu’on ressorte les crucifix pour les clouer au mur de chaque administration dépendant de son Land. Une annonce guidée par le désir de récupérer l’électorat de l’AfD en vue des prochaines échéances régionales. Elle fait débat et choque. Tant mieux. Un jour, on s’y habituera peut-être…

Au Danemark, où le centre droit s’inquiète des croupières taillées par l’extrême droite, le gouvernement a réagi autrement. Il a fait voter une loi interdisant le voile intégral dans l’espace public. Un texte qui a su fédérer les voix des différents partis, des populistes aux sociaux-démocrates. Ces deux mesures politiques ont beau procéder du même climat, de la même angoisse, elles ne portent pas le même esprit, ni ne plantent les mêmes graines pour l’après.

Brandir le crucifix comme s’il allait protéger la population chrétienne des vampires islamistes nous ramène cent ans en arrière. Au temps où l’Etat se disait religieux pour mieux manipuler les foules superstitieuses. Même l’Eglise allemande s’inquiète de cette instrumentalisation grossière. En un symbole, voilà ravivé le spectre des guerres de Religion que la sécularisation a mis tant de siècles à éteindre.

Afficher une croix sur des bâtiments publics ne détruit pas seulement l’égalité, mais la notion même de citoyenneté, placée par la force des symboles sous le respect d’une identité religieuse supérieure. Il n’existe pas plus court chemin pour abandonner de soi-même tous les acquis de la sécularisation menacés par les fanatiques que l’on prétend combattre ou repousser. En plus d’exciter le mal-être dont se nourrissent les extrêmes.

On connaît les excès du multiculturalisme. Voici ceux du monoculturalisme, tout aussi destructeurs de ce qui permet de "faire société". Ces deux tentations - celle des accommodements raisonnables au nom du particularisme et celle de la domination culturelle - se conjuguent pour faire reculer la sécularisation et menacer l’égalité. [...]"

Lire "La tentation du crucifix".



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