"Mais qu’ont-ils fait de nos dessins animés ?" 23 septembre 2015
"Combats violents ? Plus question. Armes létales ? Exit. Tabac et alcool ? Prohibés. Au nom de la protection des enfants, les productions édulcorent les séries animées.
Souvenez-vous ! La fin des années 1980, et le « Club Dorothée » sur la Une. Avec la gentille Candy et ses montagnes de problèmes, le violent Goldorak et surtout Ken le Survivant qui dézingue à tout va... A l’époque, le « Club Dorothée » écoule sans scrupule son stock de dessins animés japonais, pas toujours angéliques.
Vingt-cinq ans plus tard, les associations familiales et le CSA, ou encore la loi Evin, sont passés par là, et le politiquement correct a formaté les dessins animés.
Les héros ne meurent plus
Vous pouvez toujours chercher. Nul risque de voir couler même une goutte de sang dans les cartoons d’aujourd’hui. « La règle, qui reste tacite, c’est : pas de mort, pas de sang, pas de violence gratuite », explique Jean-Luc François, réalisateur de la saison 2 des « Mystérieuses Cités d’or » diffusée depuis 2013 sur TF 1 et qui prépare la troisième. « La scène de la version originale où un Olmèque poignardait le Prophète voyageur (le père d’Esteban) serait impossible aujourd’hui. Le personnage arriverait en disant : Je me suis fait poignarder, mais on ne montrerait rien. On ne raconte plus les histoires de la même manière, même si l’action, l’émotion et la tension sont toujours là. »
Jérôme Mouscadet, réalisateur des remakes d’« Heidi » et de « Maya l’abeille » pour TF 1, ajoute : « On ne fait plus mourir les héros. Par exemple, si l’on refaisait Goldorak, on aurait du mal à reproduire la fameuse scène où il tue un méchant déguisé en petit enfant. Par ailleurs, se lancer dans une adaptation animée des Tuniques Bleues — avec Blutch qui boit — ou de Corto Maltese — qui fume — serait compliqué... »
Des brocolis à la place des pizzas
« Dans la série originale, Maya et les autres abeilles avaient un dard avec lequel elles étaient susceptibles d’attaquer ou de menacer. L’araignée, elle, était plus menaçante », explique Sophie Decroisette, directeur d’écriture de « Maya » et d’« Heidi » (TF 1). L’édition 2012, où « plus personne ne pique », est plus douce. Mais cela ne retire rien, selon l’experte, à la créativité. « Je traite des sujets aussi intéressants, comme l’importance de l’esprit collectif face à l’individualisme, au lieu de montrer d’interminables combats d’insectes. »
Idem pour la BD « Lou » qu’elle a adaptée en dessin animé (M 6 puis Disney Channel en 2009 et 2010). « Lou avalait beaucoup de pizza et de junk-food. Les chaînes ont demandé qu’elle mange plus équilibré, histoire de montrer l’exemple aux enfants. J’ai ajouté des brocolis, des yaourts et des céréales. Cela n’a gêné en rien mon écriture. » Désormais, les chaînes de télé, qui participent au financement, contrôlent davantage le contenu des séries. La Une dispose même d’une psychologue à demeure.
Les chaînes veillent pour vous
« Avec la multiplication des écrans, les enfants regardent les programmes jeunesse de plus en plus seuls, de plus en plus jeunes, analyse Pierre Siracusa, directeur délégué à l’animation de France Télévisions. Cela nous pousse à être plus vigilants. Notre pacte avec les parents est de leur dire : Vous n’avez pas besoin d’être là, devant nos programmes jeunesse ; votre enfant est dans un univers sécurisé. »
Pas de sujets tabous pour autant. A l’occasion des 70 ans de l’Armistice, France 3 a même osé, au printemps dernier, aborder la Seconde Guerre mondiale dans la série « les grandes Grandes Vacances ». « Impossible d’aborder cette période sans évoquer la mort, la déportation, les traumatismes. Mais nous voulions parler de la guerre à hauteur d’enfant. On s’est demandés à chaque fois jusqu’où aller. Dans une scène, nos deux héros, Ernest (11 ans) et Colette (6 ans), voient un soldat allongé sous un arbre. La fillette demande à son frère : Qu’est-ce qu’il fait ? Il dort ? Et il lui répond : oui, gêné. Cela ne fait aucun doute : le soldat est mort mais on ne le montre pas. »
Si nos héros animés portent désormais des casques pour faire du roller, des gilets de sauvetage à proximité de l’eau et mangent des légumes verts, la France fait encore figure de laxiste face aux Anglo-saxons plus rigoristes."
""INSPECTEUR GADGET" : le chef cache sa pipe ! Dans la série d’origine cocréée en 1983 par Jean Chalopin, l’inspecteur-chef Gontier (le patron de Gadget) est l’archétype du policier des années 1980, qui tel Maigret ne se départit jamais de sa pipe. Mais la législation antitabac est passée par là… Et dans la nouvelle série animée diffusée sur France 3, Gontier s’est débarrassé de son calumet…
"LES MYSTERIEUSES CITES D’OR" : on dose davantage la violence. Dans la série culte apparue dans « Récré A2 » en 1982, on a pu voir un menaçant Olmèque poignarder le Prophète Voyageur — le père d’Esteban — sous les yeux du garçonnet. Dans la suite diffusée sur TF 1 depuis 2013, exit ce genre de scène. Mais quand le méchant Zarès se bat avec le mercenaire Mendoza, ça rue encore dans les brancards.
"CALIMERO" : plus question d’être négatif ! Le plaintif poussin noir aurait-il pris des antidépresseurs ? L’attachant volatile qui, depuis 1974, se lamentait sous sa coquille, voit désormais la vie en rose dans la nouvelle version de TF 1. Aujourd’hui plus actif que victime, M. « C’est trop injuste » est prié de positiver et de trouver des solutions.
"MAYA L’ABEILLE" : l’insecte a rentré son dard. Dans l’adaptation de 1975 tirée d’un livre jeunesse allemand de 1912, les abeilles, guêpes et autres frelons étaient équipés pour se défendre en cas de besoin. L’abeille ressuscitée sur TF 1 en 2012, elle, n’a plus besoin de son dard, gommé par ses dessinateurs."
"Aux Etats-Unis, « Kirikou » interdit aux mineurs
Côté animation, les Anglo-Saxons ont serré la vis depuis un moment déjà. « Chez Disney par exemple, il existe tout un règlement : à l’image, un enfant ne peut pas casser une vitre, chercher quelque chose sous un meuble, rester seul avec un adulte dans une pièce dont la porte est fermée. Nous sommes encore loin de ça », souffle Jean-Luc François, le réalisateur des nouvelles « Cités d’or » sur TF 1. Mais les coproductions internationales s’avèrent plus compliquées. « Il y a une tendance à lisser les aspérités des héros. La France reste un pays plus ouvert sur différentes thématiques et la façon de les aborder », poursuit Pierre Siracusa, de France Télévisions.
Aux Etats-Unis, le film d’animation « Kirikou et la sorcière » de Michel Ocelot avait été interdit de projection aux mineurs en raison de la nudité du héros et des femmes africaines aux seins nus. En Australie, la série animée britannique « Peppa Pig », elle, a suscité la polémique en 2012 : la chaîne publique ABC avait dû censurer un épisode montrant une araignée « amicale » au prétexte qu’il diffusait un message positif alors que certaines espèces d’arachnides sont mortelles dans ce pays."
Comité Laïcité République
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