Contribution

Burkini : La laïcité, véritable combat révolutionnaire de notre temps ! (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier. 25 août 2016

Le débat sur le burkini prend une drôle de tournure, qui parait non seulement diviser laïques et promoteurs du multiculturalisme, mais aussi les laïques entre eux, sur les réponses à apporter. Il semble que le port du burkini, qui prolonge celui d’un voile de plus en plus ostensible, tel qu’il est porté, et de plus en plus présent dans l’espace public, interpelle de façon nouvelle les enjeux de société posés à travers les relations entre religion et République. Il y a là un tournant après les attentats de cet été, car l’apparition sur de nombreuses plages de France du burkini dans ce contexte, ne doit sans doute rien au hasard. C’est notre capacité à réagir qui est ici testée, et les limites que nous sommes en mesure de donner à une tentative continue depuis une trentaine d’années, depuis les premiers voiles dans l’école publique à Creil, d’imposer en France le communautarisme. Un péril mortel pour notre République laïque par les divisions qu’il provoque et les pressions dont il use. C’est aussi un péril pour nos concitoyens de confession musulmane, qui sont la cible d’une assignation communautaire, qui pèse sur leur libre choix de pratiquer leur religion comme ils l’entendent. Les tensions montent dans une situation à hauts risques.

Manifestations religieuses ostensibles : Passer du terrain juridique au terrain politique.

A ce jour, une quinzaine de maires ont interdit le burkini sur les plages de leurs communes, auxquels le Premier ministre a apporté son soutien. Des interdictions qui interviennent dans le contexte où un parc aquatique à Marseille avait prévu l’organisation d’une journée ouverte uniquement aux femmes en burkini, à l’initiative d’une association dite « socioculturelle pour les femmes musulmanes » (sic !), prévu en septembre prochain. Devant le tollé créé par cette initiative, elle n’aura finalement pas lieu.

Certains s’empêtrent, en savants juridiques, à chercher du côté du Conseil d’Etat, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence, des réponses à la situation, en développant une logique légaliste, qui voudrait que l’on s’abstienne d’interdire. Au domaine public la laïcité, c’est-à-dire, l’action de l’Etat et ses services, et de l’autre, l’espace privé, qui ne serait pas concerné, l’espace public étant considéré comme ouvert et devant sensiblement tout permettre. On rappellera au passage que l’entreprise est un espace privé, au sein duquel le salarié exerce néanmoins aussi des libertés fondamentales qu’il ne perd pas en y entrant, dont la liberté de conscience qui relève de la laïcité. Une liberté qui s’applique à l’ensemble de la société, pour dire que les choses ne se découpent pas si facilement en rondelles.

Nous avons perdu de vue qu’il n’y a pas si longtemps, pas plus qu’une trentaine d’années, avait été acquis une laïcité qui partout était respectée, par l’ensemble des individus et des cultes, sur le territoire de la nation [1]. Une réalité remise en cause par un islam identitaire multipliant les revendications religieuses à caractère communautaire au nom de la liberté de culte.

Pour faire société, comment peut-on à ce point oublier que nous avons besoin de partager des valeurs et des normes communes, qu’aucune société ne peut être qu’une simple addition de différences, pour qu’elle soit vivable, viable, tout simplement. Les libertés et droits individuels ne sont pas qu’un bien individuel mais un bien commun, une responsabilité collective, qui renvoient à la citoyenneté. Réflexion totalement absente des discours de ceux qui entendent laisser faire, au nom d’un libre choix de l’individu qui revient à un hyper-individualisme suicidaire, trop bien en phase avec le libéralisme régnant. Aussi, le problème que nous pose le burkini, dans le prolongement des attaques continues contre notre République égalitaire, n’est-il pas avant tout politique plutôt que juridique ?

Un combat vital engagé entre République laïque et islam communautariste

La lecture juridique et légaliste (distinction sphère publique/sphère privée), est en dessous des enjeux de société qui convoquent ici la laïcité. Nous sommes pratiquement le seul pays où ces débats de société ont lieu. N’est-ce pas en raison de cette évolution d’une société française qui est la seule à avoir pleinement séparée l’Etat des Eglises, achevant l’Etat de droit en le dégageant de la tutelle religieuse qui s’opposait à l’égalité entre tous les citoyens ? Un Etat soumis lui-même à la loi commune, et non faisant ce qu’il veut en se réclamant d’un dieu.

On évoque le fait que la seule limite qui puisse être donnée aux manifestations religieuses est celle du « trouble à l’ordre publique », comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en son article 10 [2] le prévoit ou encore, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce que l’on a tendance à réduire à la question de la sécurité publique. Mais « l’ordre public établi par la loi » concerne l’ordre républicain bien au-delà de la simple sécurité publique, qui se décline à travers des valeurs communes, "Liberté-Egalité-Fraternité", une République "indivisible, laïque, démocratique et sociale", telle qu’elle est inscrite à l’article premier de notre Constitution. La responsabilité de notre République ne s’arrête pas aux libertés individuelles, mais garantit aussi les libertés collectives. C’est la République qui protège des espaces de liberté par la loi, y compris dans le domaine privé, et l’abus de liberté est aussi sanctionné par elle.

Pouvons-nous oublier que chaque burkini se réfère à un groupe d’appartenance qui fait de plus en plus pression sur notre société, que le communautarisme auquel travaille ce groupe est un péril mortel pour notre République ? C’est bien là que la laïcité entre en scène en se plaçant au cœur des enjeux ! La démocratie est fragile par les libertés qu’elle donne, et nous ne pouvons ignorer que ce qui se manifeste aujourd’hui à travers le burkini, comme manifestation d’appartenance communautaire, est l’expression d’une volonté d’affrontement avec la République qui vise à la diviser, en semant le trouble. D’ailleurs, dans le cas du parc aquatique, l’événement dit privé d’ouverture uniquement à des femmes en burkini était relayé publiquement avec une large publicité, le transformant en événement public à caractère prosélyte… On voit comment les choses s’inversent et s’opère le détournement d’une liberté de son but et du droit.

La laïcité légitimement convoquée par les troubles créés par le burkini

On accuse la laïcité parfois, parce qu’elle est amenée à intervenir dans les débats de société comme le burkini, de combattre la religion et de servir les desseins de l’athéisme. Mais il s’agit simplement de renvoyer les individus à la responsabilité de leurs actes, lorsqu’au nom d’une religion ils s’écartent dangereusement de ce que nous mettons en commun pour faire société ensemble. Cela n’a rien à voir avec la remise en cause d’une religion, mais avec la limitation de ses manifestations si celles-ci mettent en péril les libertés des autres. Il ne s’agit donc pas de tout interdire. Ce ne serait pas l’islam, il en irait de même. D’ailleurs, la laïcité protège tous les cultes contre les excès de l’un envers les autres, en portant l’égalité de traitement de tous au-dessus des différences.

Lorsque des comportements mettent en péril l’unité de la nation, nous sommes bien sur des enjeux de cohésion sociale, de citoyenneté, qui dépassent de loin la simple question juridique et le légalisme. D’ailleurs, concernant la loi du 11 octobre 2010 d’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, la Cour européenne des droits de l’Homme avait donné raison à la France sur le fondement du vivre ensemble, qui repose sur une laïcisation de notre société qui vient de loin. Arrêtons de ce point de vue de nous cacher derrière notre petit doigt !

Le Burkini interdit à Cannes par arrêté du maire fin juillet a été validé par la justice administrative. Elle avait été saisie par trois particulières et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), organisme militant pour faire reconnaitre l’islamophobie comme concept juridique, afin d’interdire toute critique de l’islam. Une association qui mène un combat incessant contre la laïcité et ses lois.

Dans son ordonnance, le juge des référés note que « sont respectées les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles « la France est une République laïque », qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ». Le juge indique également que « dans le contexte d’état d’urgence et des récents attentats islamistes survenus notamment à Nice il y a un mois (...) le port d’une tenue vestimentaire distinctive, autre que celle d’une tenue habituelle de bain, peut en effet être interprétée comme n’étant pas, dans ce contexte, qu’un simple signe de religiosité ».

La Ligue des droits de l’homme, perdue ici pour la cause qu’elle prétend défendre, est associée au CCIF dans une seconde saisine du tribunal pour l’interdiction du burkini à Villeneuve-Loubet.

Notre société est un tout, et les individus ne peuvent être pensés comme libres de tout contrat au regard d’autrui, mais redevable au contraire envers tous les autres, sans lesquels il n’y a point de société, comme le voyait Jean-Jacques Rousseau. C’est la seule voie pour transformer la force en droit et l’obéissance en devoir (Du Contrat social- Du droit du plus fort). On voit ici comment la distinction public-privé et la seule référence aux libertés individuelles, volent en éclats !

Un combat contre l’obscurantisme qui met la laïcité au cœur des enjeux

Ce qui est en jeu à travers la laïcité aujourd’hui, c’est le combat contre le retour d’un pouvoir politique fondé sur le croire tirant sa légitimité d’une puissance extérieure à l’homme, invalidant sa capacité à décider de son destin, dotant celui qui gouverne comme guide ou nouveau prophète du pouvoir de faire ce qu’il veut, un pouvoir totalitaire absolu, coercitif, au nom d’une religion. La radicalisation est sans doute le point culminant de ce processus à haut risque et à degrés, qui peut tout simplement commencer avec le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, qui signe la fermeture aux autres, tend à mettre la foi au-dessus du droit, tourne le dos finalement à la citoyenneté et à toute intégration sociale sur un même fond de valeurs. La logique de séparation qui grandit à l’ombre du laisser-faire et concerne de nombreux musulmans en France et ailleurs, fabrique une nation dans la nation, dans le prolongement d’une conception de l’Oumma, de la nation des croyants, sans limite ni frontière prenant ici le pas sur tout. Le voilà le vrai sujet du burkini ! Ce qu’il faut, c’est casser cette dynamique pour mieux intégrer et déjouer la radicalisation.

Cette logique, ne l’oublions pas, prend en otage les autres musulmans, la logique communautariste les y assignant pour parler en leur nom, en les utilisant malgré eux pour peser contre la République. Cette dernière doit aussi contrer ces manifestations religieuses qui divisent, parce qu’elles entravent la possibilité, de façon de plus en plus évidente, que les autres musulmans qui veulent vivre leur religion en pleine harmonie avec la loi commune, puissent le faire. Ces provocations nourrissent les extrêmes par les amalgames qu’elles engendrent, mettant en danger autrement encore la République.

Nous n’en sommes plus avec ces manifestations religieuses ou d’autres à la question de la liberté de conscience, qui n’est pas en cause, mais de comment faire face à une guerre politique, idéologique et même militaire qui est faite à la République, et au-delà, à la démocratie elle-même qu’elle incarne si bien. Pourquoi ? Parce que poussée jusqu’au bout de ses principes, elle représente le projet révolutionnaire émancipateur de notre temps, auxquels certains livrent un combat à mort, parce qu’elle s’oppose à leur projet.

Encore là, heureusement que nous n’y cédons pas, car qu’en adviendrait-il de ces femmes qui se prêtent à une soumission à un ordre patriarcal moyenâgeux à travers le burkini, si la République ne les protégeait plus ? Les tribunaux islamiques tolérés de l’autre côté de la manche, tout près de chez nous, dont les décisions sont validées par le juge anglais (hormis les châtiments corporels prévus par la charia mais pas l’inégalité juridique des sexes), quels dégâts font-ils à la dignité humaine de combien de femmes, derrière les murs du communautarisme ?

La femme est visée à travers le burkini comme devant se couvrir pour ne pas être une source de tentation, projetant sur elle des pulsions de l’autre sexe vécues sous le signe de la religion comme une faute, ce qui n’a à voir qu’avec un simple manque minimum d’éducation à la liberté. L’égalité entre hommes et femmes si chèrement conquise contre les conservatismes et l’Eglise catholique, est à la pointe du combat laïque aussi ici, parce que l’obscurantisme religieux fait des femmes sa première victime en faisant faire retour aux pires archaïsmes.

Notre République sociale est aussi mise en cause par la montée des affirmations identitaires qui nous détournent, à travers mille attaques contre l’égalité et notre vivre-ensemble, du combat de classe qui seul devrait compter. Les forces sociales elles-mêmes s’en trouvent divisées, repoussées loin de tout combat commun, de l’extrême gauche au FN, avec un peuple fracturé, forclos dans sa capacité à agir.

La laïcité, véritable combat révolutionnaire de notre temps, combat d’avant-garde !

La France à travers notre République laïque et sociale porte un projet de société unique qui est à l’avant-garde de notre monde, parce qu’elle est le seul pays à avoir clairement dégagé l’Etat de toute tutelle religieuse par la loi, parce que l’égalité trône au sommet de la hiérarchie des normes communes, et que la laïcité en est le bouclier, en portant au-dessus des différences l’intérêt général, les libertés et droits individuels, la citoyenneté, la question sociale. Voilà pourquoi elle est si attaquée, mais aussi pourquoi elle doit se défendre en passant du terrain juridique au terrain politique.

La laïcité, ne serait-elle pas finalement, à bien y réfléchir, le véritable combat révolutionnaire de notre temps ? Un bel idéal universaliste qui n’a d’avenir que dans un combat politique sans concession, un combat d’avant-garde ! Laïques de tous les pays, unissez-vous !

Guylain Chevrier

[1Hormis évidemment le cas de l’Alsace-Moselle, qui a gardé son statut concordataire à n’avoir pas fait partie de la France au moment de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de décembre 1905. Ce qui demeure comme un grave anachronisme dans la République.

[2Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : Art. 10. -Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.


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