Revue de presse

B. Modica : Rapport d’inspection sur l’affaire Paty, "une formidable ouverture de parapluie !" (lexpress.fr , 7 déc. 20)

Bruno Modica, professeur d’histoire-géo. 8 décembre 2020

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Bruno Modica, professeur d’histoire-géo, évoque auprès de L’Express les nombreuses zones d’ombre de l’enquête de l’inspection générale sur l’assassinat de Samuel Paty.

Par Amandine Hirou

Le rapport des deux inspecteurs généraux, chargés d’enquêter sur les jours ayant précédé l’attentat contre Samuel Paty, professeur du collège du Bois d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, assassiné le 16 octobre dernier, laisse Bruno Modica, "perplexe". Le mot est faible. Ce professeur d’histoire-géographie, porte-parole de l’association Clionautes, pointe du doigt les nombreuses zones d’ombre de ce texte, écrit de façon très clinique, qui revient en 22 pages sur l’enchaînement des faits.

En guise de conclusion, celui-ci sous-entend que l’administration ne peut être accusée de quelconques dysfonctionnements notables. "Tant au niveau de l’établissement qu’aux niveaux départemental et académique, les dispositions ont été prises avec réactivité pour gérer le trouble initialement suscité par le cours sur la liberté d’expression de Samuel Paty", est-il écrit. Le rapport émet toutefois quelques préconisations dans le but de mieux prévenir à l’avenir, "dans toute la mesure du possible", la reproduction d’actes analogues (relatifs à la sécurité des établissements scolaires et les échanges d’information, à la dimension pédagogique, au climat et à la vie scolaires). Largement insuffisant pour Bruno Modica qui revient en détail, pour L’Express, sur les nombreux "non-dits" du rapport.

L’Express : La publication officielle de ce fameux rapport de l’inspection générale, en fin de semaine dernière, n’a pas suscité beaucoup de commentaires dans la presse. Pour quelles raisons selon vous ?

Bruno Modica  : Pour bien analyser ce rapport, et les messages qu’il renvoie en creux, il faut bien connaître le système de l’Education nationale de l’intérieur et ses ressorts. La vitesse avec laquelle il a été réalisé, puis rendu public, est une première qui en dit déjà long ! N’oublions pas que l’attentat dont nous parlons s’est déroulé il y a moins de deux mois. Le rapport a donc été réalisé sur un temps très court. Et que stipule-t-il en guise de conclusion ? Que l’institution, dans cette affaire, a parfaitement agi, qu’elle s’est montrée très réactive, qu’il n’y a pas eu de défaillance.

Mon sentiment personnel est que cette "enquête" s’apparente à une formidable opération d’ouverture de parapluie. Pour moi, il est clair que l’institution cherche à se protéger. Or certains faits, présentés comme des pratiques courantes dans ce rapport, mériteraient qu’on s’y attarde. Il ne s’agit pas ici de pointer les responsabilités individuelles des uns ou des autres mais de s’interroger sur le fonctionnement d’un système aux effets potentiellement pervers.

Estimez-vous normal que l’on ait pu demander à Samuel Paty de s’expliquer auprès de certains parents après son fameux cours à l’occasion duquel il avait présenté des caricatures de Mahomet ? Rappelons qu’en proposant aux élèves qui le souhaitaient de sortir, il avait suscité l’indignation de certaines familles...

Le simple fait de demander à un professeur de s’expliquer, lui-même, auprès de parents d’élèves est inacceptable. Ce n’était pas à lui de faire cette démarche. A partir du moment où un enseignant met le doigt dans cet engrenage, il s’expose personnellement et donne du grain à moudre à ses contradicteurs. Ces derniers ont pu y voir une première victoire sur l’institution. Et, malheureusement, on constate que le fait qu’il se soit plié à la demande de sa hiérarchie n’a pas suffi à apaiser les tensions. Bien au contraire. Il faut dire que les parents d’élèves, mis en cause dans cette affaire, étaient dans une attitude de mensonge et de manipulation. En procédant ainsi, il était clair que l’on risquait de tomber dans leur piège. Je ne cesserai jamais de le dire : nous n’avons surtout pas à entrer dans cette logique de négociation avec des parents. Ce qui est pourtant de plus fréquent malheureusement.

Cette histoire est-elle révélatrice de la place grandissante accordée aux parents d’élèves ces dernières années ?

Effectivement. Selon moi, le problème est largement antérieur à ce qu’il s’est passé le 16 octobre dernier. Si nous en sommes arrivés là, c’est en partie à cause de la façon dont l’école de la République n’a cessé de reculer face aux exigences des parents d’élèves en général. Nombreux sont ceux qui se comportent comme des "consommateurs mécontents".

Je m’interroge aussi sur le rôle joué par certaines fédérations de parents d’élèves dans l’affaire de Conflans-Sainte-Honorine, et notamment sur celui de la FCPE. Une phrase du rapport, dans lequel elle est souvent citée en tant que protagoniste, m’a particulièrement interpellé : "La FCPE, estimant qu’elle était ’dépassée’ dans l’exercice du rôle de modérateur qui est le sien a conseillé au père, s’il considérait qu’il y avait harcèlement, de déposer plainte". Était-elle là vraiment dans son rôle ? Vous remarquerez également que, dans ce fameux rapport, seuls trois professeurs (sur les 51 que comptent le collège !) ont été interrogés. Contre quatre parents d’élèves...

Qu’en est-il de l’attitude des collègues de Samuel Paty ? "Bien que des interrogations s’expriment, la nécessité de se montrer solidaire du professeur prédomine" stipule le rapport. Or, vous ne semblez pas avoir la même lecture des faits rapportés ?

Selon moi, l’absence de solidarité des autres enseignants est flagrante. Un chiffre est particulièrement parlant : seuls 25 professeurs, sur les 51 que compte l’établissement, ont assisté à la réunion plénière organisée le 12 octobre dans le cadre de cette affaire. C’est-à-dire qu’un enseignant sur deux n’en a rien eu à faire. Ce qui ne m’étonne pas vraiment. Sur ces questions de laïcité, jugées "sensibles", le "pas de vague" prédomine. Mais il y a pire que l’indifférence. Certains enseignants du Bois d’Aulne ont clairement accablé leur collègue Samuel Paty. L’idée d’adresser une lettre à l’inspectrice d’histoire-géographie, pour indiquer qu’ils n’avaient pas la même démarche que lui, a même émergé. Même si ce projet a finalement été abandonné, comment a-t-il pu être envisagé un seul instant ?

Comment analysez-vous le fait que le titre du rapport - "Enquête sur les événements survenus au collège du Bois d’Aulne (Conflans-Sainte-Honorine) avant l’attentat du 16 octobre 2020" - ne mentionne même pas le nom de Samuel Paty ?

Non seulement le titre du rapport ne mentionne pas le nom du professeur assassiné mais il parle "d’événements", comme au temps de la guerre d’Algérie ou de mai 1968. Comme si on voulait minimiser ce qu’il s’est passé.... D’ailleurs, vous ne trouverez aucune référence à l’assassinat de Samuel Paty sur la page Internet consacrée aux enseignements d’histoire-géographie et d’éducation morale et civique de l’académie de Versailles dont dépend le collège du Bois d’Aulne. Rien. Pas le moindre hommage à ce professeur qui a pourtant été gratifié d’un hommage national. La semaine dernière, cette même académie de Versailles n’a pas non plus hésité à rédiger une annonce Pôle Emploi pour recruter un professeur d’histoire-géographie dans le fameux collège où exerçait Samuel Paty [elle a été retirée depuis]. Comme si, deux mois seulement après l’attentat, la page était tournée ! Quel manque de considération et de respect pour notre collègue assassiné. Finalement, l’Education nationale reste fidèle à ses vieux démons, soit l’auto-protection de sa hiérarchie et le fameux "pas de vague"."

Lire "Rapport d’inspection sur l’affaire Paty : "Une formidable ouverture de parapluie !"".


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Assassinat de l’enseignant Samuel Paty (16 oct. 20) ; le communiqué du CLR Mort pour la France (CLR, 17 oct. 20) (note du CLR).


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