Revue de presse

Attentat de l’Isère : cette haine que la France a laissé prospérer contre elle-même (G. Chevrier, P.-F. Paoli, Y. Roucaute, atlantico.fr , 27 juin 15)

Guylain Chevrier, membre de la mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013), docteur en histoire. 1er juillet 2015

"Gangrenée par des tumeurs et des crispations, l’attentat en Isère révèle de profonds ressentiments qui traversent la société française entre Institutions, classes populaires, descendants d’immigrés, et idéologues.

Guylain Chevrier : Les tensions identitaires, voire parfois la haine, qui prennent forme et s’enracinent dans la société française à travers les rapports entre religion et société, particulièrement au regard de la place que revendique un islam communautaire dans une certaine confrontation avec la République, constituent une réalité de plus en plus prégnante. Une tendance qui ne concerne que la partie la plus visible des musulmans, mais significative. Ce que l’on ne peut laisser de côté dans l’analyse à mener sur le développement inquiétant de l’influence du fondamentalisme et du djihadisme en France. Il ne s’agit évidemment nullement d’assimiler islam et islamisme ici, mais de reconnaitre qu’à cet endroit on doit s’interroger sur les continuités possibles entre les différentes formes sous lesquelles se manifeste le religieux. Ce que l’on a tendance à dénier de façon de plus en plus surprenante, dans un contexte qui ne cesse de se tendre.

On apprend que concernant l’auteur de l’attentat de ce 26 juin en Isère, une fiche « S » lui avait été consacrée en raison de ses liens avec la mouvance salafiste, dont on a du mal à distinguer la frontière entre les exigences religieuses d’un islam qui verse dans le fondamentalisme, et le djihadisme. Cette tendance de l’islam rejette les valeurs de la République et se comporte comme une secte, où l’on retrouve la plupart des femmes portant le niqab et des gants, des hommes qui refusent de serrer la main des femmes, qui entendent appliquer les textes religieux à la lettre, selon une interprétation aux relents moyenâgeux. En laissant se développer dans notre société cette mouvance, n’est-on pas en train de banaliser un modèle totalement contraire à nos acquis démocratiques, et un fanatisme religieux qui est au fondement du djihadisme ? N’est-on pas en train de laisser s’installer sur notre sol une haine de nos valeurs qui ne peut qu’être le terreau des plus grands dangers ?

Ne doit-on pas se remémorer que les contrôles de femmes en niqab (voile intégral) par la police, pour les verbaliser depuis la loi qui interdit la dissimulation du visage dans l’espace public de 2010, ont donné lieu à Trappes, comme dans d’autres villes telle Marseille, à des soutiens de la population de leurs quartiers qui se considèrent en affinité avec elles, au point de déclencher des émeutes de plusieurs jours ? Les incidents de la minute de silence dans les établissements scolaires au moment des dramatiques attentats de janvier dernier, où on a entendu des « Charlie, ils l’ont bien cherché », ne sont-ils pas dans ce prolongement, inquiétants ? Les cris de « morts aux juifs et Allah akbar, France complice », lors de manifestations pro-palestiniennes depuis l’année dernière, ne relèvent-elles pas de la même veine problématique, dévoilant un terreau favorable à la dérive radicale bien au-delà de la mouvance salafiste ? Le parti des Indigènes de la République qui développe un discours de haine de la République et de ses valeurs, opposant les musulmans désignés comme opprimés à une société française dominée selon lui par des blancs au racisme postcolonial, n’encourage-t-il pas les choses dans le même sens, créant le trouble, sans réaction d’ailleurs des pouvoirs publics ?

On voit comment la place de l’islam en France est disputée entre différentes tendances, autour d’exigences croissantes, avec en toile de fond une mise en procès de la France de ne jamais en faire assez. On a vu dernièrement Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman, aller à la tribune du rassemblement du Bourget de l’UOIF, organisation affiliée au Frères musulmans, faire de la surenchère en demandant à la France d’aider à la construction de 2000 mosquées supplémentaires, comme mise au défi. Quelques jours plus tard, il proposait de transformer des églises en mosquées… On assiste à une montée des revendications communautaires à caractère religieux comme un du dans tous les espaces de la société, avec une pression très forte en faveur de la reconnaissance d’une logique communautaire à caractère juridique contraire au sens de nos institutions qui ne connaissent que des individus de droit, afin de protéger leur libre choix, y compris celui de nos concitoyens de confession musulmane qui le demandent. La communautarisation de certains quartiers constitue par ailleurs un cadre idéal, à l’ombre de quoi des religieux malveillants sont aux aguets pour embrigader des jeunes et jouer de l’enfermement religieux, qui peut être l’antichambre d’une dérive radicale, qu’on ne pointe pas assez.

Il est indéniable que les tensions sont à leur comble de ce point de vue, alors qu’on ne saurait oublier qu’au niveau international s’affirme un Etat islamique qui trame les dangers et se positionne comme le retour d’une fierté piégée, mais bien réelle pour une partie des musulmans en France. Il apparait plus que jamais nécessaire d’avoir aujourd’hui une réflexion d’ensemble qui permette des repositionnements autour de nos valeurs communes de façon beaucoup plus forte qu’on ne le fait, où on passera à côté d’un des enjeux essentiels dans la prévention à la dérive radicale et au djihadisme. [...]

Il y a une grille de lecture des difficultés sociales rencontrées dans les quartiers, dans certaines banlieues déshéritées, qui consiste à y voir avant tout des discriminations envers les immigrés, qui sont souvent perçus comme des musulmans, justifiant de mettre en jeu l’idée d’un Etat raciste. Ce qui alimente la théorie d’un complot du mensonge et de la haine envers certaines populations. Il n’est pas question de nier qu’il y ait des discriminations, mais avoir pour lecture qu’elles seraient le seul motif des difficultés sociales rencontrées par ces dernières est absurde, alors que nous évoluons dans une économie de sous-emploi chronique qui est largement à la source des problèmes d‘intégration. Une grille de lecture qui est relayée par des associations et des organisations qui en ont fait leur font de commerce, y rajoutant encore du crédit et des tensions. Cette lecture faussée a aussi pour effet de masquer le fait que dans ces quartiers demeurent en général des familles de la population majoritaire en nombre, qui passent pour invisibles, générant ainsi un ressentiment qui n’est pas difficile à exploiter pour détourner leur colère contre les immigrés, les musulmans. On voit comment on installe une sorte de jeu de rôle à travers des lectures faussées et des abandons, aboutissant à opposer des populations selon l’origine, la couleur ou la religion.

Il y a la tension des espaces urbains, qui ont la priorité sur tous les plans, avec des espaces ruraux souvent oubliés, 20% de la population française, où le taux de pauvreté est supérieur à la moyenne nationale, qui connaissent un fort vote FN dont les journalistes s’étonnent toujours, curieusement. Il y aussi les ouvriers de régions sinistrées qui sont absents des références collectives aujourd’hui, longtemps désignés comme le fer de lance du progrès social par leurs luttes, vivant souvent dans des quartiers où la seule réalité qui s’affiche est celle d’une religion revendiquée identifiée à l’immigré qui les a remplacés dans les préoccupations collectives, avec une rupture consommée.

Il y a le divorce qui commence à s’opérer entre des classes moyennes qui financent l’Etat-providence et les moins bien lotis qui en bénéficient. Des classes moyennes qui longtemps ont considéré devoir jouer le jeu de ce pacte social, mais qui se sentent en permanence sollicitées et même mises à l’index parfois, pointées du doigt comme riches, telle que la mise sous conditions de ressources des allocations familiales l’a souligné.

Il y a aussi, à un autre niveau de lecture, les gagnants et les perdants de la mondialisation, de la modernité identifiée au lien entre libéralisme et démocratie, en quoi tous ne peuvent se reconnaitre. Ce qui renvoie au rejet du système qui appuie sur toutes ces contradictions. [...]

Il y a ceux qui revendiquent ouvertement des droits au nom de leur différence en faisant le procès de la République, et ceux qui se sentent abandonnés derrière un discours politique qui ne parle plus que des rapports entre République et immigration, entre République et islam, dès qu’est évoquée la question sociale. Si on prend l’exemple du rôle des médias dans la promotion des minorités visibles, il y a derrière celle-ci tout un ensemble de promoteurs institutionnels, associatifs et publics, de cette dynamique.

Ce qui a permis de constater une progression importante de cette visibilité depuis une dizaine d’années. Les ouvriers eux ont disparu des écrans, qui représentent pourtant une vingtaine de pourcents encore aujourd’hui de la population française, avec un constat qui est celui d’un vote FN soutenu dans cette frange de la population qui formait hier les bataillons d’électeurs du Parti communiste. Les choses évoluent pour une part sans qu’on le voit, effectivement, en dehors du révélateur que constituent les échéances électorales, exprimant au grand jour certaines évolutions des forces politiques en reflet de changements dans l’électorat.[...]

Le film « La Haine » est un bon repère. Les choses n’ont cessé de se dégrader depuis. S’il y a des causes internes, telle qu’une société plus composite qu’il y a trente ans, avec des enjeux identitaires qui se sont affirmées à l’aune d’une laïcité mise à mal, on ne peut oublier les facteurs externes. On doit aussi cette situation à un double mouvement, l’un qui tient à une mondialisation qui fragilise les démocraties occidentales en provoquant des crises économiques et sociales fortes qui les décrédibilisent, l’autre qui tient d’une situation internationale où les cartes ont été rebattues depuis la fin du communisme à l’Est et un bouleversement des rapports de forces et des équilibres, à la faveur de quoi le retour au religieux en grand s’est fait jour, à partir de pays qui n’ont pas connus un véritable processus démocratique. Dès qu’il y a recul des institutions politiques, l’irrationnel fait retour sur la scène de l’histoire.

Il y a comme une naïveté semble-t-il propre aux pouvoirs publics, et qui consiste à penser que c’est en multipliant les compromis que l’on arrivera à contenir la poussée religieuse et permettra les adaptations aux exigences de la modernité démocratique, derrière le slogan annoncé d’un islam compatible avec la République. Aucune religion n’est incompatible avec les institutions républicaines, il en va de la conception que la religion se donne d’elle-même, rien de plus ni de moins. On a choisi depuis de nombreuses années de donner une prime aux différences, convaincu d’’une reconnaissance en retour des populations en référence pour la République, mais c’était vouloir atteindre un but avec des moyens contraires. Les atermoiements sur l’application du principe de laïcité à l’école où on voit un regain d’incidents avec des signes religieux qui s’y manifestent, les nombreuses dérogations à la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, comme celles du Conseil d’Etat en faveur d’un financement des lieux de cultes par les collectivités locales incitant à un clientélisme local qui n’arrange rien, le renforcement de l’enseignement du fait religieux à l’école au nom de la laïcité qui signifie la volonté d’intégrer toujours un peu plus les élèves selon leurs différences, croyant par là pouvoir nourrir le sentiment d’appartenance à une même société, sont autant d’errances et d’erreurs. Il ne s’agit pas de tout effacer d’un trait mais de revoir les équilibres dans les choses.

On voit bien qu’en cette période de crise, cette orientation a constitué une tentative de modérer certaines tensions entre l’immigration, les cultures venues d’ailleurs s’exprimant dans certains groupes revendicatifs, et la société française dans son ensemble, qui a échoué. Il ne faut pas persévérer dans ce sens, ce serait une faute grave au regard des risques encourus. Il faudrait, au contraire de la valorisation des différences, être d’abord fort sur ce qui nous rassemble en mettant la République laïque au centre ainsi que le modèle démocratique dont elle est indissociable, principe d’égalité en tête pour exorciser les divisions, en nous montrant bien plus sûr de nos valeurs, de notre culture, de notre identité. C’est sans doute la voie pour exorciser le risque d’une radicalisation qui joue de toutes les faiblesses.[...]"

Lire "Attentat de l’Isère : derrière la guerre avec l’Etat islamique, cette haine domestique que la France a laissé prospérer contre elle-même".


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