Revue de presse

Annie Sugier : « La laïcité est clairement la cible d’Amnesty International » (lepoint.fr , 22 juil. 24)

Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit international des femmes, Prix national de la laïcité 2022. 23 juillet 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"INTERVIEW. Pour la féministe Annie Sugier, l’ONG « inverse les réalités » lorsqu’elle condamne la décision de la France d’interdire le port du voile à ses athlètes lors des épreuves olympiques.

Propos recueillis par Nora Bussigny

Dans un rapport publié le 16 juillet dernier, Amnesty International reproche à la France son refus d’autoriser le port du hidjab à ses athlètes françaises pendant les épreuves des Jeux olympiques. Annie Sugier, figure du militantisme féministe universaliste, et présidente de la Ligue du droit international des femmes, mobilisée pour la défense de la laïcité, explique pour Le Point comment l’ONG, en postulant que « les autorités françaises excluent délibérément de leurs calculs les femmes portant le couvre-chef religieux », « se garde bien de questionner le sens d’une prescription religieuse ou politico-religieuse, ne s’appliquant qu’aux femmes ».

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Lire "Hidjab aux JO : « La laïcité est clairement la cible d’Amnesty International »".

Le Point : La France est actuellement accusée de « discrimination raciale fondée sur le sexe » par Amnesty International car elle refuse le port du hidjab à ses athlètes lors des épreuves. Comment expliquez-vous ces accusations ?

Annie Sugier : La raison invoquée pour la publication de ce rapport à la veille des Jeux olympiques et paralympiques de Paris est l’annonce faite par la ministre Amélie Oudéa-Castéra que « les représentantes de nos délégations dans nos équipes de France ne porteront pas le voile ». Amnesty International en conclut que « lorsque les autorités françaises se targuent de la parité dans le sport, elles excluent délibérément de leurs calculs les femmes portant le couvre-chef religieux ». Autrement dit, le slogan annonçant des Jeux « grands ouverts » serait mensonger et la France pratiquerait « une islamophobie genrée ».

Amnesty International se garde bien de questionner le sens d’une prescription religieuse ou politico-religieuse, ne s’appliquant qu’aux femmes. Cette ONG ne s’interroge pas davantage sur les implications du port de vêtements manifestant ostensiblement une croyance religieuse, dans un lieu où ceux-ci ne devraient satisfaire qu’à des critères sportifs. Rappelons que le CIO, dans un rapport publié en 2018 sur l’égalité des sexes dans le sport, précise que « les uniformes doivent correspondre à des critères techniques en relation avec le sport et ne pas présenter des différences non justifiées ».

Le communiqué d’Amnesty International est sans appel et en vient même à accuser l’interdiction du port du hidjab d’exercer un contrôle sur le corps des femmes et d’être une « violence raciste ». Cette décision est-elle réellement discriminatoire au regard de la charte olympique ?

Je ferai deux remarques à ce propos. La première concerne la question du contrôle du corps des femmes : Amnesty International inverse les réalités ! C’est la prescription du port du voile qui a pour objectif de contrôler le corps des femmes dans l’espace public. Le voile, hidjab, tchador, tchadri, quel que soit le nom qu’on lui donne, n’est pas un signe religieux comme les autres. Il a pour fonction d’invisibiliser le corps des femmes dans l’espace public. Il est symboliquement et concrètement la marque de l’apartheid fondé sur le sexe au détriment des femmes dont la liberté de circuler librement est associée à l’idée de liberté sexuelle et de désordre.

Ce n’est pas un hasard si cette obligation est la première imposée par les théocraties islamistes lorsqu’elles arrivent au pouvoir. Le voile, qu’on le porte volontairement ou non, demeure un symbole comme l’est un drapeau. Depuis la mort de Mahsa Amini [une Kurde iranienne de 22 ans, décédée le 16 septembre 2022 après son arrestation, NDLR] pour avoir mal porté le voile, on ne peut plus ignorer qu’il ne s’agit pas d’un simple morceau de tissus. Prétendre que l’interdiction de ce signe ségrégatif emblématique imposé par les théocraties islamistes, y compris sur le stade, porterait « atteinte aux droits humains des femmes et des filles musulmanes » est une insulte à toutes celles qui luttent, souvent au péril de leur vie, pour refuser cet apartheid.

Ma deuxième remarque concerne l’affirmation d’Amnesty International selon laquelle la France, en interdisant le port du voile dans sa délégation aux JO, violerait la charte olympique. C’est oublier que la règle 50.2 de la charte olympique précise qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». Il s’agit d’une obligation puissante de neutralité, qui trouve son origine dans la notion de Trêve olympique : afin de créer une véritable harmonie entre les jeunes du monde entier rassemblés dans un même espace, les athlètes se doivent de laisser leurs convictions au vestiaire !

C’est la raison pour laquelle le CIO, confronté aux demandes des organisations d’athlètes réclamant la liberté d’expression, a publié un guide d’application de cette règle. Son contenu est réaffirmé dans la perspective des Jeux de Paris 2024. Les quelques endroits où les athlètes peuvent faire état de leurs opinions y sont précisés, et en sont exclus le stade et les moments des cérémonies. En effet, rappelons que « l’attention lors des Jeux olympiques doit demeurer sur les performances des athlètes, le sport, l’unité internationale et l’harmonie que visent les JO pour avancer ».

À travers ces discours accusatoires, à l’instar des revendications portées par les « hidjabeuses », c’est à nouveau à la laïcité que l’on s’attaque… Qu’en pensez-vous ?

La laïcité est clairement la cible d’Amnesty International. Ce n’est pas un hasard si le rapport s’étend longuement sur le cas des hidjabeuses. Arrêtons-nous un moment sur cette affaire. On se souvient que le Conseil d’État, dans sa décision du 29 juin 2023, a rejeté les requêtes de deux associations ainsi que de la Ligue des droits de l’homme, qui souhaitaient que le port du hidjab soit autorisé par la Fédération française de football (FFF) pendant les matchs.

Notre association, la Ligue du droit international des femmes, représentée par Me Thiriez, s’était constituée en défense auprès de la FFF, car nous considérions qu’ils s’agissaient d’une affaire exemplaire. Elle le fut ! Dans sa décision, le Conseil d’État « rappelle que le principe de neutralité du service public s’applique aux fédérations sportives qui sont en charge d’un service public. Leurs agents et plus largement toutes les personnes sur lesquelles elles ont autorité doivent s’abstenir de toute manifestation de leurs convictions et opinions personnelles. Cette obligation de neutralité s’applique également à toutes les personnes sélectionnées dans une des équipes de France lors des manifestations et compétitions auxquelles elles participent ». Amnesty International, qui regrette à l’évidence cette décision, précise que les hidjabeuses et leur avocate ont porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme, considérant qu’elle n’est pas conforme au droit international.

La laïcité certes… mais aussi le féminisme universaliste dont vous répondez et que vous défendez ?

L’attaque porte aussi sur le féminisme universaliste qui se voit retirer toute légitimité à s’exprimer de façon critique sur les cultures et les religions des autres. La notion d’universalité des droits est pourtant la raison au fondement des Nations unies et des outils juridiques produits, à commencer par la charte des Nations unies et la Déclaration universelle des droits humains, mais aussi la Convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes, qui prévoit, dans l’un de ses articles, que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ».

La France est, par ces allégations, présentée comme le seul pays à faire preuve de « rigidité ». Est-ce vraiment le cas ?

Oui, d’ailleurs c’est l’argument principal mis en avant par Amnesty International. Soyons logique : si l’obligation de neutralité est considérée dans l’absolu comme discriminatoire, il faut la remettre en cause ! Or ce n’est pas le chemin que prend le CIO car, comme nous l’avons souligné, cette neutralité est au cœur même de l’Olympisme. Souvenons-nous de Tommy Smith et John Carlos, lors des JO de Mexico en 1968, levant leur poing ganté de noir en signe de soutien au Black Power. Ils ont été exclus à vie. Souvenons-nous des athlètes français lors des JO de Pékin en 2008, qui se sont vus interdire de porter un badge avec l’inscription pour un monde meilleur car considéré comme un message politique contre le choix de Pékin, donc contraire à la règle 50.2. J’ajouterai que la véritable discrimination réside dans le peu de considération portée aux femmes, dont on accepte qu’elles ne respectent pas la règle commune sous prétexte que « sans ça, elles ne pourraient pas faire de sport ».

D’où provient alors cette forme de « laxisme » du CIO vis-à-vis du port du voile ?

Cela remonte à 1996 aux Jeux d’Atlanta. Le CIO a cédé au diktat de la République islamique d’Iran en acceptant une première athlète voilée, la tireuse Lida Fariman, seule athlète féminine et porte-drapeau, tout un symbole. Les Fédérations internationales céderont les unes après les autres, d’autant que les réseaux femmes et sport dirigés par les Anglo-Saxonnes, tenantes du relativisme culturel, y verront un progrès au nom de l’inclusivité, nouvelle notion à la mode, sans comprendre qu’elles cautionnent des systèmes fondés sur l’apartheid sexuel.

Les textes internationaux, guides ou conventions vont d’ailleurs intégrer cette notion d’inclusivité, telle la déclaration de Berlin des ministres des Sports en 2013 s’engageant à « faire porter l’accent sur l’inclusion des filles et des femmes, des personnes handicapées et des groupes socialement exclus dans l’élaboration de notre politique nationale de l’éducation physique, du sport pour tous et du sport de haut niveau ». Ainsi, les femmes se voient reléguées au rang de groupe vulnérable minoritaire aux besoins spécifiques !

Le 23 juin dernier, journée internationale de l’Olympisme, vous étiez à l’initiative d’une action symbolique en hommage aux athlètes afghanes et iraniennes. Pourquoi cette action résonne-t-elle encore plus aujourd’hui, à l’approche des Jeux ?

Nous avons organisé un parcours de flamme symbolique, place de la Bastille à Paris, qui a mobilisé à la fois un collectif d’associations féministes et laïques et des athlètes et personnalités du monde du sport, principalement originaires d’Iran et d’Afghanistan. Notre objectif était de montrer notre solidarité avec les Iraniennes et les Afghanes qui sont victimes d’un véritable apartheid sexuel, qui se manifeste notamment dans le sport. Interdit aux femmes en Afghanistan, il est soumis à des restrictions humiliantes et contraires aux règlements sportifs en Iran : obligation du port du voile, interdiction de certaines disciplines car mixtes on non-Coran compatibles, interdiction de l’accès aux stades dans le pays.

Ce sont les vraies valeurs olympiques que nous avons défendues, en dénonçant la non-application de la règle 50.2 qui permet à des théocraties telles que l’Iran de promouvoir un modèle de société fondé sur l’apartheid sexuel dans un lieu regardé par près de la moitié de l’humanité. Nous avons marqué aussi notre action en déposant, au siège de l’Unesco, les textes des conventions internationales criminalisant l’apartheid racial et interdisant l’apartheid dans le sport, textes sur lesquels nous avons ajouté le mot « sexe »."



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