Revue de presse

"Alexandra Henrion Caude, ou l’art de tordre les faits scientifiques" (L’Express, 30 mars 23)

31 mars 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Avec son ouvrage à succès, la généticienne et égérie des antivax prétend "ouvrir le débat" sur les vaccins anti-Covid. Encore faudrait-il qu’elle s’appuie sur des arguments solides.

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Lire ""Les Apprentis sorciers" : Alexandra Henrion Caude, ou l’art de tordre les faits scientifiques".

[...] "Thèses farfelues", "absence de données probantes", "confusions dans la lecture des études", "erreurs de compréhension" : les scientifiques à qui L’Express a demandé de lire tout ou partie de l’ouvrage ont eu des mots sévères à son égard.

Parce que les Français se précipitent par milliers sur son livre, il paraît essentiel d’en donner des clefs de lecture, et de montrer comment cette généticienne de formation, qui n’est ni virologue, ni épidémiologiste, ni immunologue, ni pharmacologue, maltraite les "sources vérifiables" sur lesquelles elle prétend s’appuyer. Et va ainsi "à l’encontre des messages de santé publique validés par la science", selon les termes de Didier Samuel, l’actuel président de l’Inserm.

Une mauvaise connaissance des sources utilisées

Pour souligner la dangerosité des vaccins, Alexandra Henrion Caude pointe le nombre "alarmant" de notifications d’événements indésirables post-vaccinaux, recensés dans les bases de données de pharmacovigilance en Europe ou aux Etats-Unis. "Elle ne connaît visiblement pas bien le rôle de ce type d’outil", s’agace Francesco Salvo, responsable du centre de pharmacovigilance de Bordeaux, qui a coordonné le suivi des vaccins anti-Covid. "Ces notifications sont de simples signalements d’événements survenus après la vaccination : en aucun cas le lien de cause à effet avec les injections n’est démontré à ce stade. Il faut des analyses médicales et épidémiologiques pour le confirmer, ou l’infirmer", rappelle le médecin.

La généticienne cite ensuite la "liste prioritaire des événements indésirables d’intérêt particulier" établie par la Brighton Collaboration, une structure partenaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle s’avère aussi longue qu’effrayante : thromboses, syndromes inflammatoires multisystémiques chez les enfants, détresses respiratoires aiguës, infarctus, méningites, alopécie, convulsions… Problème, Alexandra Henrion Caude ne semble pas savoir qu’il s’agit d’une liste établie avant le démarrage de la campagne de vaccination. "Des experts internationaux ont recensé en amont les effets indésirables connus de tous les vaccins existants d’une part, et du Covid lui-même d’autre part, pour que, sur le terrain, les spécialistes de la pharmacovigilance sachent quoi surveiller en priorité", détaille le Pr Salvo. Fort heureusement, pour la plupart de ces événements indésirables, aucun lien avec les vaccins n’a été confirmé.

Des omissions peu scientifiques

Premier défaut des vaccins à ARN messager selon Alexandra Henrion Caude, leur inefficacité, puisqu’ils "n’empêchent pas d’attraper le Covid". Si leur faible effet sur la transmission est une évidence, l’ancienne chercheuse oublie de préciser que leur principal intérêt a été de nous protéger des formes graves. Interrogée sur ce point, elle botte en touche. "J’ai envie de le laisser croire aux gens", avait-elle éludé devant les caméras de CNews. "Ce débat sur les formes graves, on ne pourra pas y échapper, assure-t-elle à L’Express. C’est un sujet qui mériterait un congrès d’une journée, car nous ne sommes pas d’accord." Dans son livre, elle cite tout de même une étude de 2022 indiquant que deux ou trois doses de vaccin n’empêchent pas les hospitalisations. "C’est faux : même dans ce travail mené en Afrique du Sud, l’efficacité était autour de 50 % à trois-quatre mois, avant de baisser ensuite. Mais surtout, l’auteure fait comme s’il n’y avait pas d’autres publications sur ce sujet. Un scientifique sérieux doit prendre l’ensemble de la littérature pour voir ce qui fait consensus, et non pas sélectionner les études qui l’arrangent", s’indigne Mahmoud Zureik, professeur d’épidémiologie à l’université Versailles Saint-Quentin. Et le consensus est clair : la vaccination protège fortement des formes graves.

Autre exemple d’omission, l’auteure insiste à plusieurs reprises sur les myocardites causées par les vaccins. "Elles existent, mais elles s’avèrent bénignes, alors que celles provoquées par l’infection sont bien plus fréquentes, et bien plus graves", rappelle le Pr Mathieu Molimard, de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique.

Une présentation tronquée des articles

Cinq publications à l’appui, Alexandra Henrion Caude insiste sur le lien entre vaccination et troubles neurologiques. Elle retient d’une première étude prospective que "8,5 % des patients ont développé des symptômes dans les mois qui ont suivi la vaccination". Oubliant de dire que cette statistique a été calculée sur 117 patients - bien moins spectaculaire. Même chose avec cet article "où l’on apprend cette fois que 57 % des patients de l’étude développent des troubles neurologiques juste après la vaccination" : il s’agit là aussi d’une série de cas (22 patients !), ce qui n’est pas précisé. "Cette présentation tronquée pourrait laisser croire à un lecteur néophyte qu’il s’agit de données relatives à la fréquence de ces troubles. Si c’était vrai, 30 millions de Français souffriraient d’affections neurologiques après la vaccination, ce qui n’est bien sûr pas le cas", constate le Pr Zureik. Interrogée sur ce point, l’auteure met en avant sa "volonté de simplification". Le reste de ses références, pourtant, est à l’avenant. Une publication sur un cas, une autre sur sept. La dernière enfin, qui "compile les effets neurologiques", souligne que les plus fréquents sont les maux de tête…

Autre exemple, la généticienne rapporte que l’ARN messager du vaccin passerait dans le lait maternel (sans dire que les quantités s’y avèrent négligeables), ce qui entraînerait des changements de comportements chez les bébés. Mais elle ne relève pas que le lien causal n’est pas démontré, ni que les auteurs de l’étude citée jugent leurs données rassurantes.

Des "études" sans valeur

Les scientifiques savent que toutes les publications scientifiques ne se valent pas. Les séries de cas, comme celles mises en avant par Alexandra Henrion Caude à propos des troubles neurologiques, sont considérées comme non démonstratives. Non probants également, les sondages sur Internet. L’auteure se base pourtant sur une enquête de ce type, auprès de 300 volontaires qui ont bien voulu répondre car probablement souffrantes, pour affirmer que de 10 % à 65 % des femmes seraient concernées par des troubles menstruels post-vaccinaux. Un chiffre qu’elle martèlera également sur CNews, alors qu’en réalité, leur incidence réelle n’est pas connue…

Plus étonnants encore, les arguments déployés pour pointer un lien entre vaccins et cancer : Alexandra Henrion Caude évoque une "étude" expliquant que la protéine Spike "pourrait fusionner certaines cellules chez les individus vaccinés". Ce qui, selon elle cette fois, augmenterait le risque de tumeurs. En fait d’étude, il s’agit d’un article d’opinion rédigé par un consultant, qui ne démontre rien. "Il n’y a aucune raison de penser que la Spike entraîne des fusions de cellules. Et celles-ci ne sont de toute façon pas connues pour déclencher, en elles-mêmes, de processus cancéreux", souligne le Pr Alain Fischer, ancien président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale. En revanche, alors que la généticienne avait prétendu sur CNews que les vaccins étaient à l’origine de "turbo cancers" (une affirmation vivement dénoncée par la communauté des cancérologues), le sujet ne figure pas dans son livre.

Des erreurs d’interprétation des articles

Alexandra Henrion Caude reprend à son compte le commentaire publié par un chirurgien cardiovasculaire dans Virology Journal assurant qu’une étude du Lancet montre que "la fonction immunitaire chez les personnes vaccinées huit mois après la deuxième dose est inférieure [sic] à celle des non-vaccinés". Problème, l’étude du Lancet n’évoque pas ce point (ses auteurs montrent qu’il n’y a plus de protection à ce stade). Mais l’auteure n’en démord pas : "C’est le graphique publié dans l’étude qui le montre clairement, comme le reprend Virology Journal", nous assure-t-elle. Pas vraiment, pour Mahmoud Zureik, qui a examiné l’étude en question : "A huit mois, la courbe évoquée montre simplement que l’efficacité est nulle, ce qui a été invalidé depuis par d’autres travaux. Ce graphique indique surtout que l’intervalle de confiance [NDLR : la marge d’erreur dans l’estimation de l’efficacité] est beaucoup plus important à la fin de l’étude, en raison du très faible nombre de sujets suivis longtemps."

Un peu plus loin, l’auteure nous explique que la Spike, la protéine virale produite après l’injection du vaccin, pourrait "réactiver des séquences de virus dans nos globules blancs", et ainsi causer des cancers ou des maladies neurologiques. Détail : l’étude en question ne parle pas des effets du vaccin mais… de ceux du virus.

Des thèses non démontrées

Certains arguments avancés dans le livre semblent sortir tout droit de l’imagination d’Alexandra Henrion Caude. Premier exemple, la protéine Spike induite par le vaccin dans nos cellules ne serait pas "inactivée", et s’avérerait donc aussi toxique que le virus. Aucune "source vérifiable" ici, et pour cause. "La Spike vaccinale est légèrement différente de la protéine naturelle, mais l’idée qu’elle soit activée ou inactivée n’a pas de sens, puisqu’elle n’est pas toxique en elle-même. Elle confond protéine et toxine", assure le Pr Fischer.

Deuxième exemple, l’idée que les vaccins s’intégreraient dans notre ADN et modifieraient notre patrimoine génétique. Une seule étude fait état d’un tel résultat – sur des cellules de culture, en laboratoire. "Il n’existe aucune autre évidence, ni expérimentale, ni animale, ni humaine, d’intégration de l’ARN messager dans le génome humain", rappelle le Pr Fischer. Le reste n’est que conjecture."


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