Revue de presse

"Affaire Mila : l’étrange silence des féministes françaises" (P. Sastre, lepoint.fr , 11 juin 21)

Peggy Sastre, journaliste scientifique et essayiste. 15 juillet 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’affaire Mila a mis en lumière la tendance de certaines féministes françaises à choisir leurs combats. Comment l’expliquer ?

Par Peggy Sastre

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Les esclandres féministes français sont des phénomènes chaotiques quasi parfaits. Ils semblent n’être régis par aucune loi, et impossible de savoir ce qui va les déclencher, et donc de les prévoir. Pourquoi telle affaire va susciter la bronca et pas une autre, pourquoi le soutien collectif sera galvanisé pour telle personne et pas pour une autre alors que les faits concernés sont similaires et cohérents avec ce qui devrait être exposé, dénoncé, conspué ? À première vue, c’est bien l’aléatoire qui règne en maître absolu.

Mais à bien y regarder, les esclandres féministes français ne sont pas de véritables phénomènes chaotiques. Il y a au moins un élément, une tendance, qui joue lourdement sur les probabilités que la sauce prenne ou non : l’indignation des féministes françaises les plus en vue, les censément plus représentatives du très légitime mouvement pour l’égalité entre les sexes et de la priorité accordée aux intérêts des femmes se reconnaît à ce qu’elle est forte avec les faibles et faible avec les forts.

Sur ce point, la spirale du silence dans laquelle semble les embarquer l’affaire Mila ne pourrait être plus édifiante. Les mêmes qui s’étaient massées en février 2020 devant la salle Pleyel, accueillant alors la 45e cérémonie des César, pour protester contre les nominations de Polanski, et quitter la salle avec fracas à l’annonce de son prix de meilleur réalisateur pour J’accuse, étaient aux abonnées absentes le 3 juin dernier lors de la première audience pourtant parfaitement publique du procès des persécuteurs de Mila.

On parle ici, rappelons-le, de harcèlement sexuel, d’insultes homophobes, de menaces de meurtre et de viol contre une jeune femme mineure au moment des faits. D’une jeune femme obligée d’arrêter de facto ses études et de vivre sous protection policière, à un âge où l’on a envie de tout sauf d’être protégé. D’une personne dont la seule « fenêtre sur le monde », comme on dit, se limite aujourd’hui en grande partie aux réseaux sociaux. Soit le lieu même d’où ne cesse d’être battu le rappel d’une guerre unilatérale contre elle, dans l’attente, dans l’espoir, qu’enfin elle s’épuise, qu’elle se taise, qu’elle ravale sa morgue et arrête de vouloir mettre des doigts dans les orifices de fictions collectives. Qu’elle s’excuse, même, tiens, qu’elle fasse amende honorable, qu’elle avoue enfin tous ses péchés et articule bien distinctement son repentir, la tête basse.

Sauf que Mila la garde haute. Elle plie, mais ne rompt pas. Ce qui, là encore, devrait être un motif de panégyrique pour des féministes autrement assoiffées d’exemples, de modèles, de figures auxquelles s’identifier et sur lesquelles calquer leur trajectoire d’émancipation. Elles sont les premières à voir rouge quand un personnage de fiction est construit de manière à résonner avec des archétypes, mais lorsqu’une femme en chair et en os défie ce « pour quoi » une existence féminine a été « faite » depuis des milliers d’années – se soumettre à la loi des hommes s’inventant des dieux pour mieux la faire respecter –, elles ont aquaponey. Ou séances de spiritisme entre « sorcières féministes », le dernier avatar en date d’une idéologie autant dévoyée qu’à bout de souffle.

L’affaire Mila coche pourtant toutes les cases de ce qui, d’habitude, fait monter les féministes officielles au créneau. Il y a le sexisme, la lesbophobie. Il y a un patriarcat qui voudrait des jeunes filles bien rangées et promet de les violer si jamais elles ont l’outrecuidance de ne pas vouloir rester à la place qu’il leur a assignée (ne serait-ce pas là une culture du viol ?). Il y a des attaques et des menaces de mort contre une femme parce qu’elle est une femme (ne faut-il pas y voir le sombre augure d’un féminicide ?).

Alors pourquoi une telle désaffection ? Est-ce une conséquence de la crise sanitaire ? Pas vraiment, si on en juge par les manifestations organisées massivement dans toute la France en février dernier dans le cadre de « l’affaire Julie » et de l’examen de son pourvoi en cassation pour requalifier en « viol sur mineure » les accusations « d’atteinte sexuelle » dans son dossier. Parce que c’est un site de la droite identitaire qui a sorti le premier l’affaire Mila et que cette scène primordiale entache à tout jamais la jeune femme d’un vernis politiquement peu ragoûtant ? Là encore, nombre d’« héroïnes féministes » de ces dernières années, à commencer par Jacqueline Sauvage, n’étaient ni ne sont des parangons de vertu progressiste. Alors on en vient à cette dernière hypothèse : c’est peut-être parce que, dans le cas de Mila, s’insurger contre les manifestations les plus violentes et rétrogrades de la religion musulmane exige de prendre de véritables risques et peut déboucher sur des conséquences autrement plus réelles que celles qui nous attendent lorsqu’on quitte une salle de spectacle en faisant autant attention à brandir un poing rageur qu’à remonter sa robe de soirée pour ne pas s’étaler dans les escaliers. Ce qui serait bien amer à avaler."

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