(L’Express, 14 sept. 23). Abnousse Shalmani, écrivain et journaliste 19 septembre 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Répliques, l’émission hebdomadaire d’Alain Finkielkraut, sur France Culture, est l’une des rares à faire honneur au service public au nom du débat contradictoire. La première de la rentrée réunissait les philosophes Marylin Maeso et Norman Ajari autour de la question "Où commence et où finit le racisme ?". Outre la qualité du débat, l’émission fut surtout l’occasion de comprendre, à travers le discours de Norman Ajari, les mécanismes de l’islam politique. C’est-à-dire un discours faussement humaniste, cachant la volonté d’un séparatisme se refusant à toute intégration – voire à tout dialogue culturel –, le tout au nom des crimes du colonialisme et autres événements historiques du passé qui servent d’excuses pour se retirer des règles du jeu social.
Répondant à une question franche et simple sur l’interdiction de l’abaya, Ajari laisse échapper cette phrase glaçante : "C’est une manière de pousser les jeunes femmes à révéler davantage de chair, ce qui me semble une idée en soi assez étrange de la part d’une institution éducative." Sous-entendu parce que la chair des jeunes femmes musulmanes ne peut être qu’un enjeu sexuel ? Parce que montrer plus de chair équivaut à provoquer le désir, à réveiller la concupiscence des hommes qui ne sont bons qu’à ça ? La réponse d’Ajari est la raison pour laquelle il faut justement interdire l’abaya. Parce qu’il réduit les femmes à leur chair, parce qu’il veut créer une frontière visible entre les musulmanes et les autres, entre les femmes offertes et les femmes interdites.
Les choses se corsent sérieusement quand arrive sur la table l’expression "police du vêtement" utilisé par nombre de néoféministes de gauche pour décrire l’interdiction de l’abaya, police qui existe pour de vrai dans des pays comme l’Iran et qui est à l’origine de l’assassinat de Mahsa Amini pour avoir mal porté son voile. Le retournement rhétorique qu’effectue Norman Ajari pour expliquer qu’interdire ici, à l’école laïque et républicaine, et obliger là-bas en République islamique reviendrait au même résume l’utilisation contre les démocraties libérales… de la démocratie libérale : "Le désir des personnes qui manifestent en Iran pour l’assouplissement ou l’abrogation de ces lois me semble lié à un désir de démocratie libérale. Ce sont ces limites aux principes des démocraties libérales qui sont également brandies par les tenants de la spécificité culturelle de la laïcité française." Et de bien vouloir concéder que le degré de répression n’est pas exactement la même - elle est plus "intense" en Iran… Sans rire ?
On règle ça entre nous, passez votre chemin !
Lorsque Alain Finkielkraut cite le rapport Stasi qui a présidé à l’interdiction des signes religieux à l’école en 2004 et les témoignages des jeunes femmes concernées qui se sentaient libérées par la possibilité d’échapper à la domination familiale, Ajari refuse que l’école puisse être un lieu d’émancipation, refuse d’imaginer qu’offrir un espace de doute, hors famille, hors origine, puisse être une chance, puisque toute possibilité de toucher à une autre culture relève… de la mission civilisatrice, donc de la colonisation : "Je ne crois pas à la mission civilisatrice de ces institutions d’Etat. Croire se donner cette mission, c’est s’illusionner soi-même. Je ne crois pas que ce soit la mission des collèges et des lycées de libérer les jeunes femmes de leur propre famille, de l’image qu’on s’en fait de l’arriération de leur propre culture." Et de renvoyer ces questions de libération – bassement occidentales, c’est moi qui ajoute – à des problématiques communautaires. On règle ça entre nous, passez votre chemin !
Enfin, Alain Finkielkraut s’interroge sur l’extension du domaine du racisme : défendre les frontières est raciste, manifester la volonté de rester un peuple et une civilisation est raciste. Réponse d’Ajari : "Je pense que si ce que vous appelez la volonté de rester un peuple ou une civilisation n’est pas immédiatement le racisme, elle en est l’implacable condition de possibilité. Dire ’je veux rester ce que je suis’, c’est la pire devise qui puisse être, vouloir rester ce qu’on est, cela suppose fondamentalement un manque de réflexivité, un manque d’examen de soi… Une vie sans examens ne veut pas la peine d’être vécu."
Nous voilà enfin d’accord ! Mais que fait le communautarisme, au juste ? Si ce n’est refuser l’examen de soi, si ce n’est vouloir rester ce qu’on est, en important, non pas coutumes et cultures, qui relèvent du sain cosmopolitisme, mais en se drapant dans un islam politique aculturel qui n’est qu’une volonté d’opposer brutalement une civilisation et une manière de vivre à une autre, installant le séparatisme ?"
Voir aussi dans la Revue de presse Marylin Maeso : "Le réinvestissement du mot ’race’ me semble une mauvaise idée" (lexpress.fr , 24 mai 23),
le dossier Voile, signes religieux à l’école dans Atteintes à la laïcité à l’école publique dans la rubrique Ecole (note de la rédaction CLR).
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