Revue de presse

A.-M. Le Pourhiet : « La loi de moralisation est liberticide » (Le Figaro, 29 juil. 17)

Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit constitutionnel. 30 juillet 2017

"[...] Ce projet de loi parfaitement démagogique est destiné à donner des gages de probité à un gouvernement et une majorité entachés par les affaires Bayrou et Ferrand. Lʼinterdiction des emplois familiaux relève de la réaction épidermique et populiste. Il me semble que ce qui était reproché à Penelope Fillon, cʼétait la fictivité de son emploi, pas son caractère familial. Au nom de quoi y aurait-il une présomption dʼincompétence du fait dʼun lien familial ? Dʼautant que cela avantage les relations officieuses (maîtresses, amants) aux dépens des liens consacrés institutionnellement. Lʼincompétence accablante de nombreux députés LREM me paraît plus scandaleuse que le fait de recruter son conjoint ou son neveu comme attaché parlementaire. On ferait mieux de faire passer des tests de culture générale et de droit constitutionnel aux candidats à la députation que dʼexiger leur extrait de casier judiciaire.

Lʼune des mesures adoptées par les députés prévoit dʼétendre le principe de lʼinéligibilité aux personnes condamnées pour racisme, antisémitisme ou homophobie. Est-ce une bonne chose ?

Toute personne sceptique qui critique ou émet un jugement de valeur sur des moeurs, des comportements, des cultures ou des croyances est immédiatement considérée comme coupable du délit de « phobie ». Cet amendement nʼest quʼune nouvelle étape dans la tyrannie des minorités. Non seulement nous vivons dans une société bâillonnée où lʼon ne peut déjà plus critiquer un individu ni un groupe sans risquer de se faire traîner en correctionnelle par des associations de militants vindicatifs et sectaires, mais ceux-ci voudraient en outre que les personnes condamnées sur le fondement de lois scélérates extorquées à un législateur complaisant soient interdites dʼexercer un mandat public.

Dans lʼintitulé de lʼamendement, il est affirmé que ces délits « portent atteinte aux valeurs républicaines quʼun élu se doit de partager ». Ces « valeurs républicaines » ont-elles un contenu juridique ?

Les « valeurs républicaines » sont aujourdʼhui invoquées à tort et à travers pour justifier nʼimporte quoi. Avoir été condamné pour « propos sexistes » ou bien être hostile au mariage pour tous ou à lʼouverture des frontières sera bientôt considéré comme « antirépublicain » ! Il me semble que lʼune des valeurs cardinales de la Révolution française est justement la liberté dʼexpression, qui ne consiste sûrement pas à formuler seulement des opinions bienveillantes ! Les valeurs républicaines, historiquement, ce sont la laïcité, lʼunité de la Nation et lʼégalité des citoyens devant la loi. Le b.a.-ba de la Révolution française, cʼest le refus des droits des groupes et des corporations au profit des droits de lʼindividu libre de toute appartenance. Le multiculturalisme normatif est directement contraire aux valeurs républicaines et le droit pénal prend le chemin inverse des principes républicains en sanctionnant systématiquement les offenses aux communautés. Cela a commencé en 1972 avec la loi Pleven très mal rédigée, puis le mouvement sʼest accéléré à partir des années 1980 avec la multiplication des catégories protégées et surtout lʼhabilitation des associations militantes à se constituer partie civile pour les délits de presse. On a ainsi privatisé lʼaction publique et soumis les médias, les intellectuels et les citoyens à la menace permanente de censure et de procès pour délits dʼopinion.

Lʼantiracisme militant établit un continuum entre violence verbale et symbolique et passage à lʼacte. Nʼest-ce pas problématique dʼun point de vue juridique ?

Cʼest insensé. Ce nʼest pas parce que je trouve gênante la mendicité de certains Roms sur les trottoirs que je vais me mettre à les agresser. Le Christ peut sans doute dire à ses ouailles « Aimez-vous les uns les autres », mais un législateur républicain et libéral ne peut pas interdire aux citoyens de ne « pas aimer » tel individu, tel groupe, telle religion, tel comportement ou telle culture. On ne peut pas interdire aux gens de porter un jugement de valeur sur les moeurs dʼautrui, ni de hiérarchiser les comportements. Chacun a le droit de penser ce quʼil veut et de dire ce quʼil pense. Le problème est que les « groupes dʼoppression » (selon lʼexpression de Philippe Muray) ont obtenu la multiplication de lois pénales tendant à réprimer ce quʼils appellent des « phobies ». On veut nous forcer à apprécier le foulard islamique et le burkini, nous obliger à approuver le mariage gay, nous contraindre à accueillir avec le sourire des milliers de migrants, nous imposer de regarder les Jeux paralympiques et dʼadmirer le football féminin. Nous sommes sommés de considérer que tout est équivalent (au sens étymologique dʼégale valeur) au nom de la « non-discrimination ». Et pour être bien sûr que nos assemblées politiques ne comporteront que des moutons dociles bêlant dans le sens du « progrès », on va rendre inéligibles tous les condamnés pour cause de « mal-pensance ».

Assiste-t-on à un retour du « politiquement correct » ?

Un « retour » ? Cela fait près de trente ans que nous nous enfonçons dans la dictature politiquement correcte. Lʼarsenal répressif ne cesse de sʼalourdir, sans compter la multiplication des officines parallèles chargées de nous mettre au pas (CSA, Défenseur des droits, Commission consultative des droits de lʼhomme, haute autorité de ci, observatoire de ça…) et les insupportables instances prêchi-prêcha du Conseil de lʼEurope. Nous croulons sous les normes de contrôle social et les institutions de censure. Et nous avons même le droit à des pétitions sur les réseaux sociaux tendant, par exemple, à faire retirer lʼattribution dʼun prix à un auteur au motif quʼil serait contre le mariage gay et donc « homophobe » ou à faire sanctionner une chaîne de télévision pour avoir laissé passer dans un jeu une séquence « stigmatisante pour les malades mentaux » ! Le premier réflexe face aux imperfections de la société est lʼinterdiction. Désormais tout conflit, tout désaccord doit se terminer au tribunal. Au lieu de laisser sʼexprimer le pluralisme et la contradiction particulièrement chère aux juristes (audi alteram partem = écoute lʼautre partie), lʼon ne songe quʼà faire taire la dissidence.

La France devient-elle lʼune des démocraties les plus répressives en matière de liberté dʼexpression ?

Si les États-Unis ont été précurseurs en matière de « politiquement correct », le 1er amendement à la Constitution de Philadelphie et la jurisprudence pointilleuse de la Cour suprême protègent efficacement les citoyens américains contre toute répression pénale de la liberté dʼopinion. Chez nous, même le Conseil constitutionnel a renoncé à protéger la liberté dʼexpression. Hormis le délit de négation des « génocides reconnus par la loi », il a laissé passer toutes les lois liberticides. La liberté et le pluralisme sont en train de disparaître du pays de Voltaire. Cʼest irrespirable. [...]"

Lire « La loi de moralisation est démagogique et liberticide ».



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